Défendre le rêve québécois

Chronique d'André Savard


On a tant dit au cours de la dernière semaine que le cas du Kosovo est bien différent de celui du Québec. On a tant documenté à propos de son cadre historique et géopolitique. Après autant d’articles, il serait superfétatoire d’en rajouter sur l’histoire du conflit. Le cas du Kosovo est certes bien particulier.
Un pan important de l’affaire est susceptible néanmoins de toucher tous les humains sur terre. Il est important pour chaque personne d’avoir un pays viable, reconnu, jouissant de l’autodétermination, garantissant la liberté de ses citoyens. Il est important pour chaque humain de voir son pays tenir ensemble et d’y voir sa langue d’usage respectée. Hillary Clinton l’a bien dit au cours de sa campagne à l’investiture démocrate le 21 février: “L’anglais doit demeurer notre langue principale commune. Cela tient le pays ensemble, cela fait partie du rêve américain”.
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Au Québec, on devrait tout autant avoir le droit de défendre le rêve québécois. Un des premiers points de ce rêve, ce n’est pas d’être défendu en tant que province. Avant même l’indépendance du Québec, l’Etat québécois devrait être consacré comme instance nationale représentative. Ensuite, on devrait avoir le droit de dire, en imitant madame Clinton, que « le français doit demeurer notre langue principale commune. Cela tient le pays ensemble, cela faire partie du rêve québécois ». On devrait avoir le droit de le dire sans se faire accuser d’outrepasser nos droits.
Comme Québécois, nous voulons nous aussi faire tenir notre pays ensemble, garantir l’intégrité de son territoire, s’assurer du respect de son Etat. C’est une aspiration incontournable partout dans le monde.
Or Jean Charest ne paraît pas comprendre cela. Dans son conseil de la fédération, il transige comme si le Québec était un pouvoir local qui vise à améliorer ses mécanismes, ses techniques, faire des échanges de bons procédés pour apprendre comment les perfectionner. Il est coincé dans un aller-retour perpétuel sur le terrain provincial afin d’apprendre à le développer sans cesse. Mais où est le rêve québécois là-dedans? Il nous répondra que ce rêve, s’il existe, n’a pas à s’opposer au rêve canadien.
Le Québec a énormément peur de perturber la paix sociale canadienne et peur aussi du déferlement de son opinion publique unanime. Il y a au Canada une tendance à l’auto-référence qui confine à l’autisme intellectuel. Quand le Québec veut s’émanciper de son rôle de « province fondatrice du Canada » et conséquemment de province modèle, il est d’emblée perçu comme une zone tribale vouée à une politique malfaisante, contre-nature même.
Pourquoi les Canadiens se font-ils un tel cinéma quand il s’agit de défendre les privilèges de leur État au Québec? On pourrait s’en étonner d’autant plus que beaucoup de leurs médias voient le Québec comme un arrière-pays qui doit à peu prés tout à leur générosité et au raffinement de leur civilisation. Là-dessus, le Kosovo peut nous instruire dans une certaine mesure.
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Derrière des cas très différents, on peut trouver des habitudes, une dynamique sociale qui mène à la réactivation des mêmes thèmes. Au moment de l’indépendance du Kosovo, on entendait beaucoup de Serbe dire que l’indépendance de la province était impossible car « un corps ne peut pas perdre son âme sans mourir ».
Comme au Canada lorsqu’on traite de la question de l’indépendance du Québec, les Serbes utilisèrent beaucoup la métaphore de l’unité anatomique. On se souvient de Trudeau affirmant qu’un bras ne pouvait quitter de son propre chef le reste du corps. Un psychanalyste avancerait que le pays devient, dans l’esprit du citoyen, une projection de son propre corps. Une fois une nation incorporée, elle est vue comme un organe qui appartient en propre au plus vaste ensemble. Le citoyen ne peut envisager ses composantes qu’en termes de parties en relation avec le tout.
Le phénomène est en soi naturel. Tous peuvent le comprendre, quelle que soit la famille politique. Comme indépendantistes, nous sommes identifiés à l’espace québécois. L’intégrité de son espace résonne en nous et nous le percevons comme l’unité d’un corps qui a droit à toutes ses parties.
Quand Stephen Harper et Stéphane Dion, au cours des années 90, proposèrent les premiers plans de partition du Québec, ils misaient tous deux sur cette disposition foncière chez les Québécois. La faussement appelée “loi de la clarté” aurait dû s’appeler la loi du corps criblé. En disant “si le Canada est divisible le Québec l’est aussi”, Stéphane Dion voulait déplacer la crainte du corps morcelé du Canada au Québec. Par rapport à ce point essentiel, le thème de la clarté ne fut qu’un alibi.
Si vraiment la clarté avait été le véritable motif de cette loi, elle aurait dû spécifier quelle règle de droit remplace au cours du processus d’indépendance lesdites “règles de sécession” qu’il semble appartenir au Fédéral de définir de façon omnipotente. Si vraiment le souci de clarté avait été le souci premier, la loi aurait spécifié la matrice de la régulation entre les deux Etats nationaux pendant le transfert des pouvoirs plutôt que de laisser planer ce gigantesque trou noir.
On aurait plus justement appelé loi du trou noir et du corps morcelé ladite loi de la clarté. Qu’importe. Pour se faire bien comprendre, cette appellation officielle étant rapidement installée dans l’usage, tout le monde l’a reprise avec servilité.
Plusieurs grands acteurs de la vie publique québécoise sont intervenus. Louis Bernard a évoqué la loi de succession des Etats comme véritable matrice de régulation du processus. Des articles sont parus sur la jurisprudence car plusieurs pays qui se déclarèrent souverains ont été menacés par le passé d’être passés au crible. Souvent les instances internationales n’ont pas favorisé des élans partitionnistes aux dépens de la souveraineté de l’État légitime à moins que ce dernier soit immoral et commette des sévices contre ses minorités.
Mais l’insécurité est grande. Le Québec a déjà perdu le Labrador dans le passé. L’arbitraire du pouvoir monarchique anglais dont le Canada est le prolongement a fortement marqué notre imaginaire. Si le Québec a perdu près du tiers de son territoire alors qu’il se comportait en province soumise, qu’adviendra-t-il de lui quand le Fédéral assumera ce que Stéphane Dion appelait « le droit souverain des citoyens canadiens de rester canadiens »?
Tout un travail de préparation idéologique a eu lieu à cet égard au Canada. Nous en avons tous été les témoins. Même pour promulguer une loi favorisant le partitionnisme, le Fédéral, comme forme de pouvoir qui se représente, s’est donné comme langage le vocabulaire du droit. On s’est retrouvé face à une loi qui, au regard du droit international, est pourtant un barbarisme. Personne au niveau international n’a réagi car, ainsi que le Fédéral s’en vante par la bouche de tous ses tribuns, le “Canada a une excellente personnalité internationale”.
En revanche, cela étant du ressort des affaires internes, le Canada a usé de tous les moyens imaginables pour salir la réputation de ceux qui croient dans les droits souverains du Québec. Pourquoi le Fédéral et ses tribuns ont-ils, au cours de lointaines décennies comme dans les temps plus rapprochés, commencé à définir le pouvoir québécois comme aussi pauvre, aussi restrictif et aussi négatif?
Pourquoi le pouvoir québécois est-il si souvent conçu comme loi et prohibition tandis que le pouvoir judiciaire qui appartient au Fédéral se présente comme la marge de liberté inaliénable garantie par lui exclusivement. Ils voulurent planter un décor parfaitement faux mais qui leur permettrait de s’interposer comme ils veulent au Québec au nom de la liberté. Et surtout ils ont voulu, par la désinformation, enterrer le rêve québécois sous la boue.
Le passé étant garant de l’avenir, le Canada veut nous prouver de quelle audace il est capable dans la mauvaise foi au point que nous en soyons dégoûtés, appréhensifs, au point que nous désespérions du rêve québécois. Il veut aussi que nous ayons l’air de fachos qui refusent a priori de négocier avec le Fédéral de crainte du guet-apens.
On est porté à penser: dans un cas de négociation, si on en juge par le passé, le Canada n’hésiterait pas à faire passer le Québec pour un État-voyou qui retient en otages les citoyens canadiens. Le pire c’est que, les gens craintifs ou attachés à la dominance canadienne, s’estimant comme conscrits, il serait facile aux médias canadiens de trouver des bons citoyens pour donner chair et os à un procès monté de toutes pièces. Il n’y a qu’à se souvenir de la loi 101.
Chaque jour les médias diffusaient alors des capsules illustratives où des visages éplorés se prétendaient réduits à l’exode. Le Canada n’est pas la pire marâtre mais quand il s’agit de dresser un panorama informé et de permettre à tous ses partisans de jouer sur l’administration de la preuve, ce satané pays est champion.
Depuis très longtemps, les Canadiens se font croire que l’indépendance du Québec n’est pas une question d’autodétermination de la nation québécoise mais bien une question d’hostilité de principes. Il y aurait un mouvement indépendantiste parce qu’on préfère la race à la citoyenneté. On voudrait parler en français pour s’assurer que tout le monde est linguistiquement pur, écrivait Richler qui prenait bien soin de souligner ses racines juives afin d’accréditer davantage son allusion au nazisme. Absolument n’importe quoi du moment que ça défigure le rêve québécois! N’importe quoi afin que tous ceux qui sont habités par ce rêve n’osent plus parler afin de préserver leur bonne réputation.
On nourrit la problématisation de la question du Québec de façon malsaine au Canada. Des paroliers dignes de Richler, il en existe plusieurs. Pourtant ce devrait être simple. Le Québec est un État national et non pas une délégation de pouvoir provincial. Le pouvoir lui appartient. Il a droit de promouvoir sa langue commune, il a droit à l’intégrité de son territoire.
André Savard


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