Le message du pont Champlain

Chronique d'André Savard

Il paraît que l’on doit une fière chandelle à Denis Lebel, ministre d’origine québécoise, pour la reconstruction d’un pont au nom indéterminé. Il paraît que la décision fut emportée à l’arraché, illustration, s’il en est, que l’exercice du pouvoir sans la participation nombreuse de complices québécois au conseil des ministres est tâche ardue.
Pourquoi donc y a-t-il eu un tel bras de fer? La reconstruction du pont n’était plus une option. On frisait l’ultime échéance et les coûts de réfection ne permettaient que de sécuriser une infrastructure en plein processus de déliquescence. Alors d’où est venue cette insistance à mettre en relief le rôle du politique touchant une infrastructure, aorte routière de première nécessité? Ce n’était pas une question de famille d’esprit, d’appartenance spécifique à un parti, de résultats d’élections : le sort du pont Champlain était une pure question de responsabilité gouvernementale.
Un gouvernement légitime a l’obligation d’assurer l’intendance, assumer les devoirs qui lui incombent de par ses juridictions, garantir le maintien des liens nécessaires à la vie économique. Or, depuis des années on nous disait que ce n’était pas du tout cuit, au Fédéral, car il y avait beaucoup de représentants des Canadiens des autres provinces très réticents. Au Canada, on voyait le même problème d’un point de vue différent, allusion au fait que l’on avait tout intérêt à manifester de l’ouverture à l’autre, ne pas avoir peur des autres, messages simultanés qui ne relèvent pas de la menace. Et à bon entendeur salut, entendait-on en filigranes.
Comment se fait-il que la déliquescence du pont Champlain et son remplacement ont été présentés comme une collision de points de vue de la « province » versus le point de vue canadien? On a même écrit dans des grands journaux canadiens que pas un sou ne devait être versé pour le pont dans « la province ». D’où la solution du péage pour parvenir à un résultat.
Simple opinion ou caprice, sentiment d'urgence d'une ethnie trop émotive, cette question fut traitée par l'opinion publique du Canada uni comme typiquement québécoise. D’abord il y avait des si et des mais, en raison de la marge de manoeuvre qui appartient au seul gouvernement national de tous les Canadiens: un résultat, on peut y arriver tôt ou tard, plus tard que tôt s’il le faut, en vertu des priorités canadiennes. On n’était pas loin du discours à la André Pratte sur la nécessité de la vue d’ensemble et de loger nos demandes dans un souci de compatibilité avec les progrès du Canada uni.
Jacques Olivier qui, ni par le passé ni vraisemblablement dans l’avenir, ne loge au sein du courant souverainiste, disait à Anne-Marie Dussault que le remplacement d’un pont de ce calibre, à Windsor, n’aurait jamais fait l’objet de ces atermoiements. Les Québécois se sont carrément fait traiter comme des enfants qui réclament un cadeau, un luxe supplémentaire.
Comment est-ce possible dans une perspective de gouvernement fonctionnel qui professe son souci du réalisme économique? Jacques Olivier a eu raison de noter que semblables tergiversations n’auraient pu survenir ailleurs, hors du contexte canado-québécois. On vit dans un conflit larvé qui s’assimile tout, même les dossiers dits de nécessité pratique. Ces derniers, autant que les autres, deviennent des éléments de l’atmosphère politique.
Le pont Champlain comme tout le reste est devenu un objet de menace, un moyen de passer un message implicite et explicite dans ce satané pays qui a la manie de tout utiliser en croyant faire de la « pédagogie » à l’adresse des Québécois. Les Québécois, et les Canadiens en passant, dépendent de ce truchement routier. On était devant une obligation de résultat, un défi qui prenait son origine dans une constatation objective et neutre, sans "distinction d'origine" pour reprendre l'expression de Stephen Harper.
Les années de déliquescence s’accumulaient sur le pont Champlain et on disait que l’absence de voix ministérielles québécoises, le fait que le vote québécois se cantonnait dans une malformation artificielle nommée le Bloc Québécois, retardaient les dossiers. Et présentement, les analystes du Canada uni nous disent que le cantonnement du vote au Nouveau Parti Démocratique traduit un rapport d’aliénation volontaire des Québécois par rapport au Fédéral. Non, mais, à quel jeu on joue là?
La participation outrancière des Québécois aux rangs de l’opposition traduirait une incompréhension de la voie prise et de l’état présent du système fédéral, lequel serait un état normal, sain pour un système de ce type. S’il y a eu des coups de force, c’est parce que ce système était en train de naître et c’est par une fixation infantile que les Québécois n’adoptent pas de plein pied le régime comme un résultat abouti. Ou c’est ça, les règles de conformité, ou… les Québécois ne feront que parler ou se taire.
C’est le message autour des tergiversations entourant le pont Champlain, le message servi à la référence québécoise jugée comme une référence qui fait obstacle au juste équilibre des pouvoirs, entendez l’état normal du Canada. Le pays normal, abouti, mature, a le droit d’exiger la normalité du Québec en retour.
C’est comme si la société canadienne se comportait à l’endroit du Québec comme un plan de communication gigantesque qui fonctionne : pas de rapport de force, pas de nation minoritaire déjouée, en vertu de l’analyse voulue par le plan de communication. On assiste juste à la promulgation du fédéralisme intégral, un pur régime d’amour et de rationalité. Tout aurait mieux été dans le cas du pont Champlain si on avait aidé le régime à mieux atteindre son but. Il n’y a pas de menace, seulement l’obligation de manifester plus de maturité collective à l’avenir, susurre le plan de communication.
André Savard


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5 commentaires

  • Jean-Yves Durocher Répondre

    11 octobre 2011

    La reconstruction, ou plutôt la réhabilitation du pont, est une option contrairement à ce que vous avancez. Aucune étude indépendante de la galaxie de l'ingénierie canadienne n'a été effectuée, c'est cependant un secret de Polichinelle qu'il faut que les travaux de Champlain (et de Turcot) débute avant le parachèvent de la 30. Dès lors, la circulation par camion sur ces deux structures diminuera de façon radicale. Voyez qui a fait l'étude pour comprendre: http://www.pjcci.ca/Francais/champlain/Etude_de_prefaisabilite_pour_remplacement_pont_champlain.pdf
    Pour ce qui est de Windsor, c'est un foutoir encore pire que Champlain et cette providentielle intervention fédérale est intimement lié au financement fédéral à Windsor. Le nombre d'articles dans le Globe and Mail, le National Post, tous deux disponibles au Québec donne le vertige. Pour comprendre: http://navsite.com/2008/05/12/a-new-bridge-for-the-windsor-detroit-crossing/
    Bizarre tout de même qu'à Windsor-Détroit le tout coûte ce qui est prévue pour Montréal. Sauf qu'à Windsor en plus on construit un Turcot...
    Pas plus tard qu'aujourd'hui on apprend que l'ouverture de l'estacade aux autobus est un fiasco, moins de 30 (vides en plus) l'utilisant par jour. Pourtant le moindre aveugle, non clairvoyant, peut voir qu'il suffirait d'un tunnel de 250 mètres sous la Voie Maritime pour maximiser l'utilisation de cette structure solide en lui permettant de devenir une voie réservée aux autobus. Voir la carte de Radio-Canada: http://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2011/09/12/004-estacade-ouverture-champlain.shtml
    Ce joli bordel, fort dispendieux, est le résultat de la Commission Nicolet,qui en ouvrant la possibilité d'un nouvel ouvrage a fait naître beaucoup d'espoir... Pourtant Roger Nicolet ne voyait pas la nécessité économique d'un nouveau pont et privilégiait l'utilisation de l'estacade, qui peut facilement et sans déboursée faramineux être élargie (avec une structure en aluminium la charge pour quatre voies 2 bus et deux TLR (ou encore de métro) étant la même que les travées de béton actuelles).
    Mais entre quelques centaines de millions, pire pour le transport en commun et des milliards pour les chars...
    Ceci dit, en envisageant une période de 10 ans, Denis Lebel, vient d'enterrer la chose.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 octobre 2011

    Je dois vous avouer, M. Haché, que j’ai de la difficulté à déchiffrer votre argumentation. Vous semblez n’avoir pas encore compris que "votre" pont Champlain, c’est vous qui allez finalement le payer avec vos droits de passages et que c’est le fédéral qui continuera, malgré tout, à être le propriétaire de "votre" pont. En tout cas, je ne crois pas que le petit peuple va comprendre votre façon un peu confuse de décrire la réalité.
    Tiens ! Pourquoi ne pas suggérer un référendum pour demander au peuple si les impôts qu’ils paient au fédéral soient utilisés pour payer la construction des ponts au Québec. Croyez-vous que ce serait assez CLAIR, COMPRÉHENSIBLE et ACCESSIBLE pour le petit peuple ?

  • Marcel Haché Répondre

    10 octobre 2011

    Le cantonnement du vote québécois, tel que décrit et décrié par les fédéralistes, est révélateur d’une méthode suffisamment complexe et subtile pour que la parade indépendantiste ne consiste pas à simplement dire que tout un électorat se fait voler ses impôts. L’aliénation maintenue par les propagandistes du Canada-Uni, ne consiste pas tant à voler des impôts qu’à simplement maintenir cette aliénation.
    Que viendrait faire dans le paysage une autre dénonciation de cet autre « vol » dont Nous serions victimes, si tout l’électorat est d’accord avec la construction d’un nouveau pont sans même en connaître les coûts ? J’ose écrire ici les coûts d’un « pont » comme hier ceux d’un « amphithéâtre »…C’est toujours la même méthode fédéraliste, et toujours la même vieille poutine indépendantiste, qui a pour effet, elle, de conforter l’institution fédérale dans le R.O.C. En s’opposant et en s’indignant à propos de « notre » argent et de « notre » pont, les indépendantistes confirmeraient leur éternelle position de jamais-contents et de mauvais coucheurs. Et rien n’est plus prévisible aux fédéralistes, déjà en position de force, que cette posture indépendantiste déconnectée des aspirations de l’électorat. Et l’électorat veut un pont comme l’électorat veut un amphithéâtre.
    Concernant le pont, il a suffi au fédéral qu’il annonce simplement son intention—strictement rien de plus—pour que toute une classe politique et surtout les médias s’énervent comme si c’était demain matin le début des travaux. On Nous annonce en réalité du zigonnage politique pour 10 ans à venir, comme 20 ans de zigonnage politique pour rembourser Québec quant à l’Harmonisation des taxes de vente, et pendant que tous les usagers devraient se frayer un chemin au travers de milliers de cones mille fois payés, les indépendantistes seraient les premiers sur la ligne, sinon les seuls, à s’indigner du vol de leurs impôts.
    Selon cette logique, il suffira donc demain au fédéral qu’il coupe adroitement quelque part, très légèrement--quelque chose d’aussi symbolique et éloigné de l’intérêt des électeurs du Québec que la photo de la reine par exemple— qu’il coupe finement la prochaine fois dans un programme ayant les allures « d’acquis social », pour permettre cette fois à la gauche N.P.D. de partir en peur, comme maintenant les chambres de commerce avec l’annonce d’un nouveau pont. Il suffira donc aux conservateurs d’Harper de procéder avec des annonces adroites pour lui permettre d’engranger dans le R.O.C. tout le crédit nécessaire—et d’autant plus facilement que tout le Québec, les indépendantistes en première ligne, s’indigneront-- afin que jamais les libéraux ne reviennent les concurrencer dans leur ambition de devenir le nouveau grand parti de gouvernement canadien.
    Car les conservateurs ne cherchent pas à voler qui que ce soit, ils cherchent à dominer. Pour cela, ils servent dévotement l’institution fédérale et ils s’en servent, ce que les indépendantistes d’ici ont toujours refusé de faire à Québec, avant que certains commencent enfin à parler de gouvernance souverainiste. Mais ça, c’est une autre histoire…

  • Archives de Vigile Répondre

    9 octobre 2011

    Pourquoi ne pas dire tout simplement que les québécois se font voler leurs impôts par un ordre de gouvernement étranger. Cette formule est, selon moi, beaucoup plus compréhensible par le commun des mortels, M. Savard.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 octobre 2011

    Monsieur Savard,
    ..."les Québécois ne feront que parler ou se taire."
    juxtaposé au premier alinéa de "Pont Champlain Bridge (partie 2)" de Pierre Cloutier:
    [1] Si le Québec était un État souverain et indépendant, il aurait, entre autres, le plein contrôle de ses voies de communications maritimes, y compris bien sûr la Voie Maritime du Saint-Laurent jusqu’à la frontière de l’Ontario.
    me suggèrent le commentaire suivant:
    quand nous en aurons assez d'être considérés comme des citoyens de deuxième classe, nous nous réveillerons, nous nous prendrons en main, ferons notre indépendance et assumerons toutes nos obligations tant à l'échelle du pays qu'au plan international.
    C'est ici que prend tout son sens le premier alinéa de Pierre Cloutier. Les grands Lacs sont enclavés et nous contrôlerons alors la Voie Maritime du Saint-Laurent. Quoi de plus normal, comme ça se pratique ailleurs dans le monde, d'imposer un droit de passage équitable pour justement remplir nos obligations qui en découlent soit l'entretien de la voie maritime de même que de tous les ponts qui enjambent le Saint-Laurent.
    Nous avons là un atout stratégique supplémentaire dans notre jeu qui n'est pas négligeable. Fini le sempiternel quémandage à genoux auprès du fédéral à même nos propres impôts! Soyons maîtres chez nous!!!
    Réal Croteau