La politique autrement pour les indépendantistes

Chronique d'André Savard

Jacques Duchesneau a-t-il raison de blâmer les médias et spécifiquement TVA pour avoir tenté de l’intimider? Il faut se souvenir que TVA a été le maillon d’une fuite orchestrée lors de la dernière campagne à la mairie de Montréal. À deux semaines avant le fil d’arrivée, TVA se retrouvait avec le relevé de tous les appels entrants et extrants de Tony Accurso faisant état de ses contacts téléphoniques avec Labonté. Comme on le notait alors, le seul rapport détaillé des entrants et extrants avaient été expédiés à Accurso lui-même.
Et TVA avait été assez pugnace, courant au micro des conférences de presse de Louise Harel, lui demandant ce qu’elle savait avec des connotations assez malveillantes. À deux semaines des élections, le syndrome « tout le monde dans le même sac » fleurissait et tout le monde sur la rue suivait la pente de la facilité. Si Labonté avait eu recours aux capacités de financement d’Accurso, c’est que tous se confondaient dans la pègre.
La nouvelle fut une bénédiction pour l’actuel maire de Montréal. Louise Harel aussi avait été aveugle. On ne faisait pas de différence. Tremblay dirigeait une administration où malotrus, marlous, malfrats se voyaient accorder des contrats faramineux par des collaborateurs, les membres même de la garde rapprochée, et ce, depuis des années. En comparaison, Louise Harel ne connaissait pas un événement spécifique, l’identité d’un bâilleur de fonds de la campagne à la chefferie de Labonté.
Les différences de degrés ne sont souvent pas même une notion dans les raccourcis qu’affectionne l’opinion publique. « Tout le monde est sale et tous pourris ». Cette phrase est celle dans laquelle Jean Charest investit ses espoirs. Pas pire, du kif au même, et tous dans la même pièce enfumée. Avec une telle phrase qui culmine en maxime dans la langue de bois, cette langue qui de nos jours est en fait une langue verte truffé de raccourcis paresseux, Charest peut espérer voir le sort du Parti Québécois et le futur parti de Legault se sceller comme ce fut le cas pour les élections municipales de Montréal.
Vous montez une malversation inconnue en épingle puis tout alors se fond dans le même brouillard. Vous promettez de faire la lumière, une lumière qui n’épargnera personne, une lumière qui fait fi du clivage partisan. Le tour est joué. Tout à coup le pouvoir incarne l’autorité et la présomption de culpabilité générale l’embellit. Jean Charest sait que la présomption de culpabilité générale est un bon ami du parti Libéral.
Oui, direz-vous, mais un nouveau parti ne pourrait pas avoir l’air de transcender? Il faudra bien que Legault recrute et dans le lot, il y aura bien un candidat qui vaut une bonne fuite. Ou Charest tapera sur le clou ou il dira qu’il y a déjà trop eu d’allégations et qu’il réserve ses commentaires jusqu’à plus ample informé. D’une façon ou d’une autre, il aura l’air de la figure d’autorité pondérée au-dessus du panier de crabes.
Et les indépendantistes sont-ils une source d’espoir? S’ils voulaient l’être, il aurait fallu qu’ils prennent acte de la perception de la population envers eux. Les indépendantistes ne passent pour des bénis oui-oui. Les chefs du Parti Québécois ont plus l’air de victimes innocentes trahies. Jamais la population n’a demandé aux indépendantistes une manifestation de leur libre pensée et une multiplication des architectes de l’indépendance. Elle n’a pas demandé une documentation prolifique pour diriger la sortie de piste de Pauline Marois. La population ne rêvait pas à propos du mouvement indépendantiste qu'il se montre d'une parole éclatée comme on orne de graffitis les toilettes.
Les indépendantistes étaient, il y a quelques mois à peine, après le vote de confiance massif en faveur de Pauline Marois, une source d’espoir. Pauline Marois se rangeait selon les sondages comme première ministrable et le parti tenait la tête, le parti Libéral, lui, dans l’hypothèse de la fondation du parti Legault, voguait vers la disparition, un peu comme le Parti Libéral du Canada qui ne domine plus que dans les enclaves anglophones.
Ensuite la démission du club des divas a projeté l’impression que les masques étaient tombés. Les indépendantistes se révélaient pour ce qu’ils ont toujours été : des êtres irrationnels, chiant sur la tête de leur chef, tout en pontifiant sur les vertus de l’indépendantisme pur avec de grands airs de fripon bien élevés.
Le club des divas n’a pas convaincu du tout qu’ils étaient menés par une volonté de faire de la politique autrement. L'un qui fonde un parti, un autre qui veut la chefferie du parti Québécois, ils se sont tous mis à croire qu’ils captaient les forces sociales pour résoudre au mieux le sentiment de solitude du politique. En étant irrationnels, chacun de son côté, on sera le réservoir des impulsions essentielles du peuple.
En fait, les indépendantistes n’ont absolument pas besoin de convaincre qu’ils sont capables de rompre les alignements. Ils n’ont pas compris que les gens ne s’attendent pas ça d’eux. Ils l’attendent des membres du parti Libéral, pas du mouvement indépendantiste qui n’a vraiment pas attendu le printemps arabe pour se camper en acteur qui n’a pas peur d’anéantir son intelligentsia. Trop de chefs, pas d’indiens, jeunes et moins jeunes, tous les indépendantistes sont les dignes héritiers des tortionnaires de René Lévesque. Autant ils ont exaspéré René Lévesque, autant ils se promettent de décapiter les autres à venir car René Lévesque aussi se mesurait aux adeptes du chaos créateur...
Les indépendantistes ont eu tort de croire que le dégoût du politique se traduisait par une attente commune à l’endroit de la classe politique en général. Les indépendantistes passaient pour des gens incapables de tolérer la houlette du berger. Des divas, des libres penseurs qui n’ont pas peur de commettre des sacrilèges, des gardiens du temple qui chient sur la tête du chef après lui avoir taillé une réputation de faussaire, ces traits passent depuis longtemps comme la façon de s’enrôler des indépendantistes. La révolte des divas n’est pas une façon de faire de la politique autrement, juste une manifestation à l’exposant dix de la manière habituelle chez les indépendantistes.
Regardez les sites indépendantistes, dont ceux qui se sont sabordés comme Avant-Garde Québec. On prônait une vaste coalition des « vrais » et on avait des listes mirobolantes de noms de vrais militants censés faire gagner, sous condition que le parti Québécois rallie la gauche et prône une formule minute d’accession à l’indépendance. On détestait les référendums et on les disait inutiles.
On parle beaucoup contre la langue de bois. En fait, des langues de bois, il y en a plusieurs. Avant, on entendait par « langue de bois » un plan de communication farci de poncifs qui s’enchaînent. Aujourd’hui, les langues de bois se superposent. Après le plan de communication bien lisse, vous avez les interprétations toutes prêtes qui gueulent contre l’arbitraire, la répression et la dictature : « Tout est sur la table quant à moi ».
Dans la pièce enfumée, la pègre d’un bord et, pour donner une idée exacte de la situation, ne comptez pas trop sur les indépendantistes. Ils sont intéressés par des genres d’action librement et individuellement, et non par une organisation, ou sinon, par plusieurs organisations.
Vigile a fait paraître une longue lettre prônant la fondation d’un nouveau parti. Où en est la nouvelle organisation qui proposera une séquence opérationnelle? On voit paraître des lettres qui réclament un nouveau chef de ceux-là même qui, dans d’autres lettres, réclament la disparition du PQ. Cou’donc, vous étiez pas sortis du PQ vous autres?
Qu’est-ce que vous faites à vous mêler de la chefferie? Vous êtes incapables de vous déprendre de votre vieille langue de bois? La langue de bois, dans les foyers éternellement contestataires, c’est espérer pousser des chefs, comme si être chef, c’était se faire pousser par des gens qui ne savent pas quoi inventer tant ils s’ennuient.
Pauline Marois ne va pas donner une interprétation sur mesure pour les adeptes du chaos créateur. Elle ne dira pas que l’indépendance à main levée ou par pétition, c’est faisable. Sachons-lui gré de son honnêteté intellectuelle.
Ce n’est pas le parti Québécois le problème, ni le chef. Le problème, c’est un aspect foncier du mouvement indépendantiste. Il y a une mentalité anarchiste, plus ou moins nihiliste, des poses, une tendance à conforter sans vergogne des interprétations sur mesure du genre : peu importe, vive le chaos créateur, vive les mouches de coche. Ça va réaliser l’indépendance et en attendant ça chatouille les nerfs.
Legault séduit, notamment dans les couches d’électeurs souverainistes. C’est parce qu’il semble promettre que l’Etat québécois sera à nouveau le juge et qu’il ne dédaignera les responsabilités. Dans le contexte actuel, les indépendantistes vont carrément se marginaliser s’ils se disent intéressés à occuper le pouvoir que dans les conditions qui les arrangent. S’ils racontent qu’ils ne sont pas même intéressés à diriger un gouvernement dédié à la gouvernance souverainiste, pourquoi les mettre au gouvernement? On les mettra là la semaine des quatre jeudis, juste pour la mission exclusive du grand Jour. Ils sont des spécialistes. En attendant, élisons des généralistes.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 octobre 2011

    Je dois dire que votre interprétation est assez particulière. En premier lieu, je crois qu’il est fondamental de mettre en perspective la crise nationaliste en lien avec le phénomène du 2 mai. Je n ‘ai nul envie de réexpliquer ma théorie sur la signification de notre comportement collectif assez percutant lors du scrutin fédéral. J’ajouterais cependant que cet événement politique a été le déclencheur d’un réalignement des forces indépendantistes qui se préparait depuis un certain temps ; en fait depuis 1996. Le 2 mai a été ressenti comme une rupture de plaques tectoniques dont nous vivons encore les répliques. Cet événement a accentué d’avantage le sentiment d’urgence chez les vrais qui, pour la plupart avaient déjà fait défection des rangs du PQ. C’est chiant mais c’est ainsi !
    Que cette réalité compromette les chances du PQ de prendre le pouvoir aux prochaines élections, c’est indéniable. Mais il faut être assez honnête pour admettre que les tergiversations du parti relatives à la question nationale y sont beaucoup pour quelque chose dans cette division. Il est parfaitement stérile de tenter de trouver des bouques émissaires en dehors des rangs péquistes.
    Contrairement à ce que vous percevez, les vrais n’en sont plus à questionner le leadership de Mme Marois. C’est plutôt une question interne au PQ. C’est votre affaire maintenant. Pour ce qui nous concerne, nous avons trouvé une certaine sérénité, un certain équilibre qui permettra de nous organiser pour se donner les moyens de défendre, parallèlement à vous les péquistes, notre projet commun de pays.

  • Marcel Haché Répondre

    3 octobre 2011

    Parce qu’ils se croient les seuls dépositaires du Rêve, les grands gardiens de la Cause, les indépendantistes les plus radicaux ne sont pas habitués à être critiqués. Les critiques leur provenant généralement des fédéralistes, cela leur coule sur le dos comme la pluie sur le dos d’un canard.
    Il y a quelque chose de salutaire dans votre texte, m. Simard. Tous les indépendantistes sont des radicaux. Ils le sont tous. Il n’y a pas un projet plus radical nulle part dans toute l’Amérique du Nord, elle pourtant réputée vaccinée contre toute idée subversive, et blindée contre toute révolution.

    L’ennemi n’est donc pas seulement en face, ou partout dans un système clos et totalitaire, il peut être parmi nous : dans nos chapelles mêmes, car ce fut un grand progrès dans le passé que le P.Q. puisse devenir un grand parti souverainiste à la manière des grands partis fédéralistes, c’est-à-dire un parti capable d’arbitrer différentes tendances en son sein. C’est à cette condition, la capacité d’arbitrage d’un parti, que l’électorat— et encore, cette « partie » seulement de l’électorat, celle qui fait et qui défait les gouvernements—c’est à cette condition que l’électorat consent à la règle de l’alternance.
    L’émergence des druides et des gourous excentriques qui font chapelle, tout absorbés par leurs recettes infaillibles, s’activent en fait dans l’indifférence à l’égard des règles élémentaires du jeu politique. Ils croient être l’Alternative et s’avancent masqués. Ils pensent que l’électorat ne les reconnait pas. Et chaque fois que le P.Q., le grand parti d’opposition—le seul véritable grand parti que partagent les indépendantistes, et le seul véritable grand parti radical de toute l’Amérique du Nord—chaque fois qu’il montre sa faiblesse dans les sondages, cela réconforte les druides dans leurs idées et leurs recettes, alors qu’en réalité ils sont ceux-là mêmes qui confortent l’électorat dans son idée de ne pas consentir à la règle de l’alternance en faveur du P.Q. Comment dit-on ? Capables de mettre le feu…
    Le P.Q. est faible maintenant. Mais il est tenu par des mains solides. À quoi cela avait-il servi dans le passé d’être fort, s’il avait été tenu par des mains moites ?

  • Pierrette St-Onge Répondre

    2 octobre 2011

    M. Savard,
    Je doute souvent de mes capacités à exprimer ce que je ressens et je voudrais bien être capable de le dire avec autant de justesse que vous le faites.
    Merci de le dire avec autant de lucidité. Vous me réconfortez dans mes convictions et vous me faites le plus grand bien.
    Pierrette St-Onge