Des Grèce par dizaines

Crise mondiale — crise financière



La Grèce, on le sait, n’est que le premier grain du chapelet. Le deuxième a pour nom Portugal, le troisième, Espagne et ainsi de suite. Mais il n’y a pas que l’Europe : au sein des États-Unis, 46 États sur les 50 que compte l’Union sont aujourd’hui au-dessous du seuil de la solvabilité. Et le gouvernement fédéral est à la même enseigne : il avait promis aux chômeurs 99 semaines d’allocations (45 % d’entre eux sont désormais sans emploi depuis plus de six mois). L’argent, là comme ailleurs, n’a pas pu être trouvé.
Ceux qui ont aujourd’hui pour mission d’accomplir la tâche délicate de réduire la dette publique des États tout en assurant la croissance, recourent pour la décrire à la même expression : « Il n’y a pas de bonnes solutions, seulement de mauvaises ». Mais ce diagnostic est encore exagérément optimiste, car la solution en réalité n’existe pas. Pourquoi ? En raison d’un cercle vicieux : le remboursement de la dette réclame un relèvement des impôts, qui réduit le pouvoir d’achat, entraînant une baisse de la consommation, d’où un fléchissement de la croissance, qui oblige à une relance, nécessitant une augmentation de la dette, etc.
La ligne de crête sur laquelle le système économique se tient est de plus en plus étroite : elle va s’amincissant, séparant deux précipices. Le physicien parle à ce propos, de « processus critique ». Le talent et la chance décideront du temps qu’il reste avant que l’on tombe.
Le moment où le système a atteint son seuil de viabilité, nous le savons maintenant, se caractérise à la fois par une stabilité apparente (celle qui caractérisa les années 2002 à 2007) si grande qu’elle rendit même plausible l’hypothèse d’une « fin de l’histoire », et par une fragilité extrême due à une dépendance hypertrophiée des entreprises et des ménages vis-à-vis du crédit. Alors que cette stabilité reste visible à la surface des choses, la fêlure fondamentale progresse en profondeur, jusqu’à apparaître au grand jour.
A posteriori, les dix-huit ans qui séparent la chute du capitalisme de marché à l’occidentale de celle du capitalisme d’État de type soviétique, apparaîtront anecdotiques, et les explications produites durant ces dix-huit années pour expliquer la supériorité intrinsèque du système qui survécut de peu à son rival, anecdotiques elles aussi. Quand auront été épuisées, en Chine, les vertus d’une combinaison pragmatique du meilleur du capitalisme d’État et du capitalisme de marché, le théorème aura été démontré : il existe au sein des sociétés humaines un obstacle insurmontable : un seuil indépassable dans la logique capitaliste, quelle que soit la variété des formes qui sont choisies – ou, plutôt, expérimentées.
L’impasse est totale dans un contexte où les populations se partagent en deux composantes : une vaste majorité qui n’obtient ses revenus, c’est-à-dire l’accès à la consommation, que par le travail ; et une petite minorité dont les revenus proviennent des intérêts versés comme rendement des avances qu’elle procure à l’économie et à la spéculation en capital.
Le seul espoir de briser cet engrenage infernal est de repenser la manière dont se redistribuent les revenus entre un capital à haut rendement et un travail faiblement rémunéré. Le défi n’est pas mince : il s’agit d’un changement de civilisation. Rien moins.

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Paul Jorion5 articles

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 ) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

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