Deux journalistes surveillés par des agents de la GRC sans autorisation

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Une note de breffage à l'intention du ministre de la Sécurité publique, obtenue par CBC, indique que deux journalistes, vraisemblablement Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin de La Presse, ont bel et bien été espionnés en 2007 par des agents de la GRC.
Pendant neuf jours, en août 2007, des enquêteurs de la GRC ont exercé, sans autorisation de leurs supérieurs, une surveillance physique sur les deux journalistes afin de trouver la personne qui leur divulguait des renseignements.
En 2007, les reporters du quotidien La Presse avaient dévoilé le contenu d'une étude du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) qui faisait état d'une conversation impliquant Adil Charkaoui et un plan pour détourner un avion.
L'authenticité du document n'était pas mise en doute et la GRC voulait déterminer la source qui l'avait remis aux journalistes. Les policiers fédéraux ont donc mis sur pied le projet « Standard » pour lancer une équipe de filature aux trousses des journalistes.
Filature des journalistes Bellavance et Toupin
Dans la note de breffage, les noms des journalistes sont caviardés, mais le lien est évident. En novembre dernier, des médias faisaient état de cet événement, en disant que la GRC avait songé à filer les reporters. Or, les agents ont fait bien davantage que d'y penser; la filature a bel et bien eu lieu.
La note dit qu'en juillet 2007, le directeur du SCRS a porté plainte auprès de la GRC pour qu'elle fasse enquête sur la fuite du document. Les enquêteurs ont établi qu'il y avait deux façons de faire la lumière sur cette histoire.
La première était trop compliquée, puisqu'elle suppose de remonter jusqu'à l'origine du document et tous ceux et celles qui y ont eu accès. Cette première approche a été rejetée, car des milliers de personnes, au fil des ans, ont pu consulter le document.
La deuxième méthode était plus simple : surveiller les journalistes Bellavance et Toupin, en souhaitant que la source soit ainsi découverte.
Ce n'est que neuf jours après le début de la surveillance physique, le 24 août 2007, que les enquêteurs ont demandé l'autorisation au quartier général de la GRC, permission qui leur a été refusée.
Ce refus était assorti d'un ordre particulier stipulant que les journalistes ne devaient pas être considérés comme suspects et qu'aucune autre démarche ne devait être entreprise sans le consentement de la direction.
Une semaine plus tard, les enquêteurs sont revenus à la charge. Non seulement leur demande a été encore rejetée, mais la direction les a blâmés d'avoir entrepris la filature sans autorisation.
Autre demande de filature
Le projet « Standard » a été amorcé en 2007 et s'est conclu en 2014. Il y a un autre cas de demande de surveillance d'un journaliste en 2008. Encore une fois, la demande a été rejetée et aucune surveillance n'a été effectuée.
La preuve que la GRC a pris des journalistes en filature relancera assurément toute la question de la protection des sources journalistiques et la place qu'occupe la liberté de la presse au Canada.
La protection des sources en question
En entrevue à ICI RDI mercredi, Joël-Denis Bellavance rappelle qu'il avait publié un texte révélant les raisons pour lesquelles Adil Charkaoui faisait l'objet d'un certificat de sécurité. « Des soupçons pesaient sur M. Charkaoui à l'époque, explique M. Bellavance, comme quoi il avait un plan pour détourner un avion à partir de Montréal pour frapper une cible en Europe. »
« Nous avons publié le texte en question en juin 2007 et rapidement, en août 2007, environ un mois plus tard, les policiers étaient déjà à nos trousses sans que je le sache, pour découvrir qui était à l'origine de la fuite du document qui nous avait été remis », raconte le journaliste de La Presse. « Les policiers n'ont pas perdu de temps pour tenter de débusquer notre source, un mois après la publication du texte. C 'est assez surprenant de voir ça étalé au grand jour. »
Le journaliste explique que la protection des sources est l'un des « socles du journalisme » puisque c'est ainsi qu'on peut inciter les gens à « nous parler librement sans [qu'ils craignent] d'être dénoncés ou identifiés ».
Bien que choqué par le comportement des policiers, il se réjouit qu'ils n'aient jamais réussi à identifier sa source. « Cette source a été protégée et, pour moi, c'est ma plus grande satisfaction », précise-t-il.
L'événement lui sert aujourd'hui à mettre les gens en confiance lorsqu'ils lui parlent. « Ma source est toujours demeurée secrète et elle le restera jusqu'à ce que mort s'ensuive », ajoute-t-il.
Le journaliste prend ces événements en riant lorsqu'il se remémore ses activités quand les policiers l'ont pris en filature. Il reconduisait ses enfants à la garderie le matin avant d'écrire des textes et de retourner à la garderie, le soir venu, pour récupérer les enfants.
La fin de semaine, je tondais mon gazon, se souvient-il. Ils n'ont pas pu découvrir des choses scandaleuses à mon sujet pendant cette filature.
- Joël-Denis Bellavance

Les policiers ont contrevenu à leur code de déontologie en épiant des journalistes, mais ils l'ont fait sans l'autorisation de leurs supérieurs, se console M. Bellavance. Il rappelle que ces supérieurs en ont toutefois autorisé une autre sans la mettre à exécution. « Il y a quand même des éléments inquiétants pour le travail journalistique dans une démocratie comme on connaît au Canada », poursuit-il.
M. Bellavance cite une décision de la Cour suprême qui, en 2006, avait jugé inconstitutionnelle une perquisition dans la maison d'une journaliste. « Ça n'a toutefois pas empêché des policiers de la GRC de mener une filature sans l'autorisation de leurs patrons », conclut-il.
« Inacceptable » dit Trudeau, Mulcair demande une enquête publique
Le premier ministre Justin Trudeau a réitéré mercredi que cette situation était « inacceptable », rapporte La Presse Canadienne. Il a précisé que des excuses avaient été faites directement aux journalistes, ce que M. Bellavance a confirmé.
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, a pour sa part demandé l'ouverture d'une enquête publique sur cette affaire, qui représente selon lui une attaque flagrante contre la liberté de presse.


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