C'est l'idéalisme plutôt que le pur intégrisme religieux qui incite des jeunes Québécoises à prendre la route du Moyen-Orient pour appuyer la cause des djihadistes, constate une étude commanditée par le Conseil du statut de la femme.
Le document, un texte dense de 120 pages, doit être rendu public aujourd'hui par la présidente Eva Ottawa en présence des ministres Lise Thériault, Christine St-Pierre et Kathleen Weil. L'enquête réalisée auprès de jeunes Québécoises attirées par l'« hijra » - l'« exil » dans le Coran, l'émigration d'un musulman d'un pays non musulman vers un pays musulman - ne propose toutefois pas de recommandations pour freiner « l'engagement des femmes dans la radicalisation violente ».
Bien que « les départs ou les tentatives de départ ne s'inscrivent pas dans la logique de lutte armée, une volonté de poser des actions violentes une fois sur place, ils sont tout de même l'illustration de la radicalisation », affirment les auteurs.
RÉSEAU D'INFLUENCES
« Pour les jeunes femmes que nous avons rencontrées, l'idée de quitter le Canada pour rejoindre la Syrie se construit à l'interface de leur exposition à une certaine forme de propagande djihadiste sur internet, aux discours tenus par des figures charismatiques » et à un petit réseau de connaissances interpersonnelles. On doit aussi compter avec le rôle de « modèle » de celles qui sont déjà sur place, un élément souvent souligné par les jeunes femmes qui ont fait l'objet de l'enquête. Le fait que ces femmes « exilées » soient du même âge qu'elles « semble rendre plus concret leur projet de départ ».
« Je suis réveillée par les cris de ma mère dans la maison. Elle me dit que mon cousin avait disparu depuis vendredi soir, il était censé aller chez un copain, mais il n'y a jamais été [...]. Quand j'ai entendu dire qu'il était parti en Syrie, ça m'a vraiment donné l'impression que c'était possible, que c'était la bonne chose à faire », a expliqué une jeune femme qui comptait quitter le Québec pour se rendre en Syrie. Ce choix du jeune homme a inspiré sa cousine.«Quand j'ai su qu'il était parti, j'ai pensé que c'était le bon choix, il connaissait vraiment ça, c'était une personne très instruite.»
- L'un des témoignages recueillis par les auteurs
Les deux spécialistes responsables de l'enquête constatent pour l'essentiel que les jeunes qui songent à partir sont davantage incités par leur groupe, leur désir de « changer le monde », leurs rapports parfois conflictuels avec leur mère que par la défense d'un État islamique. Le rapport à la mère est une « piste importante » pour comprendre le phénomène, mais le père peut aussi « jouer un rôle majeur comme catalyseur de la radicalisation ».
Les jeunes femmes observées « ont un jugement solide, plusieurs étudient en sciences de la santé », mais présentent souvent une personnalité fragile. « Elles ne viennent pas de milieux familiaux pouvant être qualifiés de problématiques ou dysfonctionnels [...]. Issues de la classe moyenne, scolarisées en milieu francophone, elles sont généralement dans la classe d'âge 17-19 ans. Elles ont pour la plupart des parcours scolaires couronnés de réussites, plusieurs se destinant d'ailleurs à une carrière dans le milieu de la santé. Elles n'avaient donc pas d'office un profil de personnes irrationnelles, obnubilées par un discours extrémiste, n'ayant rien à perdre dans l'aventure djihadiste. »
RÉVOLTE ET IDENTITÉ
Certaines, toutefois, ont des « zones de fragilité », un « terreau fertile de radicalisation ». « C'est un phénomène d'adolescence de révolte générationnelle contre les parents et la société, qui s'inscrit dans le désir de vivre une expérience significative au sein d'un groupe de pairs. »
« Sans évacuer les dimensions religieuses ou idéologiques, poursuit-on, il semble important de souligner que celles-ci sont souvent un écran qui cache des réalités quotidiennes de construction identitaire propres à la jeunesse. » Peu à peu, elles en viennent à la conviction que la société est corrompue. Les jeunes tentent d'atteindre la Syrie avec la conviction qu'elles pourront y « vivre leur foi sans contraintes », s'y marier et fonder une famille. Le projet de départ pour la Syrie semble se cristalliser chez de petits groupes de jeunes fréquentant les mêmes lieux, les mêmes réseaux de socialisation.«On a le sentiment de ne pas aider la communauté là-bas, on se sent mal parce qu'on ne fait rien, alors qu'on devrait être de bons musulmans.»
- L'une des jeunes femmes interrogées par les universitaires
« Des facteurs personnels forgent le terreau de la radicalisation, des épisodes de vie traumatiques, des incertitudes identitaires ou encore une quête de sens et de repères [...] rendent difficile la réconciliation de ces jeunes femmes avec l'identité québécoise et l'héritage familial. » Elles ont « un rapport complexe avec le modèle de féminité qui leur est proposé au Québec ».
« Dans ce contexte, l'adhésion à un islam intégral offre une réponse au besoin d'appartenance de ces jeunes femmes », observent les spécialistes. Leur « identité coquille » entre peu à peu en rupture avec la famille et les proches.
Ces femmes sont aussi parfois « parties prenantes ou complices assumées » de la violence, elles sont actrices plutôt que victimes. La radicalisation peut mener à la violence, prévient-on.
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