Commission Charbonneau

Éloge de la lenteur

Quel esprit anime Jean Charest?

Chronique de Louis Lapointe

Après les fiascos des commissions Gomery et Bastarache et la maigre récolte de la commission Oliphant qui avait un mandat beaucoup trop restreint pour que nous puissions en apprendre un peu plus au sujet des ramifications de l’affaire Airbus au sein du cabinet de Brian Mulroney, force nous est de constater que Jean Charest a bien appris la leçon.
Après avoir nommé une commissaire au dessus de tous soupçons pour enquêter sur l’octroi de contrats publics dans l’industrie de la construction, il lui a confié un mandat tellement large que la commission qu’elle préside ne pourra atteindre sa vitesse de croisière que dans plusieurs mois, voire à la fin de l'automne prochain.
Imaginez un instant un énorme paquebot qui quitte le port ou une locomotive qui s'ébranle, tirant tant bien que mal un long chapelet de wagons. Quel meilleur éloge de la lenteur !
Cette fois-ci, on ne pourra donc pas accuser Jean Charest d’avoir tourné les coins ronds. Bien au contraire. Il a appris de ses erreurs et de celles des autres.
Dans toutes mes chroniques* sur l’éventuelle commission d’enquête sur la construction, j’ai toujours défendu l’idée que Jean Charest préférerait déclencher lui-même une commission d’enquête dont il nommerait les principaux acteurs, plutôt que de laisser cette précieuse tâche à Pauline Marois, retardant le plus longtemps possible le moment où elle pourrait être enclenchée, le temps jouant ainsi en sa faveur.
Heureusement pour lui et contrairement aux intentions qu’on lui a déjà prêtées, il n’a pas répété les mêmes erreurs qu’il avait commises lors de la création de la commission Bastarache, alors qu'il était intervenu dans le processus de nomination du commissaire via son ministre de la sécurité publique.
Cette fois-ci, le juge en chef de la Cour Supérieure lui a proposé une commissaire réputée pour sa grande méticulosité dans le milieu judiciaire - la juge Charbonneau - une nomination dont il subira certainement les conséquences à long terme, souffrant de ce qu’elle pourrait découvrir sous les tapis qu'elle soulèvera, mais aussi, par ailleurs, il bénéficiera d'un avantage à court terme.
La commissaire n’est pas pressée. Elle souhaite bien organiser sa commission afin de mieux accomplir sa mission, elle aussi ayant bien en mémoire la désastreuse aventure de l'ancien juge Bastarache. Cela laissera certainement suffisamment de temps à Jean Charest pour qu’il puisse déclencher des élections l’automne prochain s'il le désire.
L’enquête sur les fuites policières concernant la présumée taupe du SPVM ne sera pas sans conséquence non plus. Elle dissuadera plusieurs éventuels délateurs, indicateurs et sources au sein des forces de l'ordre de passer aux aveux ou de se confier aux journalistes.
À cela s’ajoutera la réticence des syndicats à transmettre des informations sensibles au sujet de leurs membres. Une réaction prévisible qui découle de l’obligation légale imposée par le Code du travail aux syndicats dont le devoir est de protéger leurs membres dans certaines situations. Une information que devait connaître Jean Charest et qui faisait certainement partie de son plan.

Jean Charest a également pris d’autres précautions, comme celle de nommer Diane Lemieux à la présidence de la CCQ, cette dernière étant littéralement en train de vider la CCQ de ses meilleurs éléments, notamment les plus expérimentés. Des inspecteurs qui ont préféré prendre leur retraite avant que la CCQ coupe tous leurs droits acquis au cours des 30 dernières années. D'autres alliés de moins pour la commission.
Pourquoi faire un tel ménage chez les inspecteurs de la CCQ pour quelques pommes pourries, alors que ces employés ont prouvé leur loyauté en rapportant des centaines millions de dollars au fisc, voire des milliards en amendes et en revenus d’impôt, par leurs nombreuses interventions sur les chantiers de construction du Québec, beaucoup plus qu’ils ont coûté en salaire et avantages sociaux au trésor québécois, distribuant allègrement des constats d’infractions et faisant en sorte que plusieurs entrepreneurs ne puissent impunément embaucher des travailleurs au noir?
Toutes ces mesures initiées par Jean Charest lui permettront sans nul doute de gagner un peu plus de temps, une denrée précieuse pour celui qui a fait du Plan Nord son unique bouée de sauvetage. Des manœuvres qui retarderont sans nul doute le travail de la juge Charbonneau et avec lesquelles elle devra certainement composer. Son récent appel à la délation publique en étant un sérieux indice!
En raison de tous ces écueils semés de main de maître, le temps que prendra le train de la commission Charbonneau à s'ébranler permettra certainement à Jean Charest de patienter un peu plus longtemps qu’il ne le souhaitait, lui permettant même de déclencher des élections l’automne prochain, comme je le suggérais dans une récente chronique.
***
Note à mes lecteurs : la commissaire France Charbonneau et le procureur en chef de la commission Charbonneau, Sylvain Lussier, ont été au service de l’École du Barreau du Québec alors que j’en étais le directeur.
***
* Entre autres sur le même sujet :
Quand le béton craque
Des signes avant-coureurs d’une commission d’enquête
Il n’y a pas de mal à contribuer à un parti politique!
Une commission pour la mafia et les gros bras de la construction?
En attendant la vraie commission

Un coup de théâtre à l’Assemblée nationale?

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Louis Lapointe Répondre

    3 juin 2012

    Bonjour M. Léger,
    Difficile de répondre à cette question... Toutefois, comme on l’a vu lors de la commission Bastarache, le comportement des procureurs et du commissaire de la « commission» peut changer lorsqu’il s’agit d’interroger et de recevoir le témoignage d’un ministre, d’un premier ministre ou un d’ancien ministre qui n’est plus du côté du pouvoir.
    Quelques articles sur le sujet qui répondront à quelques une de vos interrogations :
    Sur la commission Bastarache
    http://www.vigile.net/Autopsie-d-une-pantalonnade
    http://www.vigile.net/La-commission-Charest
    http://www.vigile.net/Tous-pour-un,30786
    http://www.vigile.net/Denegationnisme-a-la-commission
    http://www.vigile.net/Qui-a-peur-de-Marc-Bellemare
    http://www.vigile.net/Quand-le-piege-a-cons-se-referme
    Sur la commission Gomery :
    http://www.vigile.net/Trompeuses-apparences-autopsie-de,14202
    http://www.vigile.net/Le-parti-pris-d-un-editorialiste

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juin 2012

    Bonjour,
    J'ai une question. Qu'arrivera t'il quand les élections auront eu lieu si le PLQ est linché ?
    Est-ce que la Commission Charbonneau fera un meilleur travail ou bien cela ne changera rien ?
    Merci à l'avance,
    Léger,J

  • Archives de Vigile Répondre

    23 février 2012

    Néanmoins Charest est fini. Je pense qu'il le sait. Il peut retarder sa sortie, mais il ne peut pas l'éviter.