Les yeux de la justice humaine nous paraissent parfois similaires à ceux de l'amour. Ceux-ci sont mono, et aveugles à la réalité. Je ne saurais surement pas juger Munyaneza. Je ne saurais dire si oui ou non il a des crimes roulés dans ses manches. De même je ne saurais me satisfaire du verdict rendu par le juge montréalais André Denis. Plutôt suis-je curieux de l'éclairage des sombres fonds des horreurs qui font des ravages au Rwanda depuis plus de 15ans, lequel éclairage devrait avoir guidé la lecture du magistrat André.
Les allégations jugées remontent à 94. Le sang coulait tel une pluie torrentielle, sous l’œil de cameras. Est-ce que sans camera le génocide n’en aurait pas été un? La violence était extrême, celle que montraient sélectivement ces caméras. Mais elle fut en réalité, beaucoup plus extrême, pour les victimes et là où les cameras étaient interdits. Qui dira le contraire? La situation se serait améliorée, la justice s'est mise à l'œuvre pour permettre le deuil et faciliter la reconstruction. Indéniablement, ceci est juste et vrai pour ceux qui «devaient mourir parce que «tutsi»». Mais qu’en est-il des autres qui devaient également mourir, non pas nécessairement parce que «hutu», plutôt parce que l’appât du pouvoir devait valoir leur sang?
Hélas 94 baigne encore dans la noirceur, et sans y voir claire l’on ne saurait faire le vrai bilan de la suite du déluge, l’on ne saurait valider les jugements qui s’en font. Qui saurait dire si ces châtiments n’en sont pas le prolongement ? Je ne suis pas juriste, mais je sais que l’un des principes sacrés de la justice est la prévalence de la présomption d’innocence en cas de doute raisonnable. De quels crimes s’agit-il, et qu’en sait-on hors de tout doute raisonnable ? Jusqu’à date, aucune instance n’a établi clairement ce qui s’est passé en 94 au Rwanda, encore moins les responsabilités impliquées. On se satisfait de citer «800 milles tutsi et quelques hutu», un constat théorique estimatif jamais confronté à l’autre triste réalité. Des tutsi et des hutu ont été tués en masse, il serait sans recensement hasardeux d’avancer des chiffres. Et Kigali en est conscient, raison pour laquelle il refonde les registres administratifs et démographiques, pour rendre l’exercice impossible. Seules les collines jadis verdoyantes et fourmillantes de cultivateurs en témoignent, aujourd’hui elles sont cruellement désertes.
Dans cette saga juridico-génocidaire, il serait tout à fait envisageable de juger un suspect pour meurtre ou toute autre accusation, mais non pour un crime de génocide. Il faudrait pour ce dernier crime en éclairer la mécanique, les causes, et le cadre des responsabilités. Or, 15 ans après, nous en sommes toujours dans un tunnel sans soleil. Le génocide est un fait indéniable. Il aurait été planifié, c’est très plausible. Par qui ? Depuis sa création en octobre 1994, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, TPIR, s’est attelé à y répondre. A date, le tribunal semble faire du surplace, obstiné à juger les vaincus et à rechercher la lumière dans cette seule direction. Ces années n’auront toutefois pas été vaines, aujourd’hui le TPIR peut affirmer hors tout doute raisonnable que ses clients «hutu» n’ont pas planifié le génocide. Pour y voir clair, d’aucuns dont les procureurs qui se sont succédés au TPIR jusqu’à la suissesse Carla Del Ponte, sont d’avis qu’il est indispensable d’élucider le mystère du déclenchement des carnages et des crimes du vainqueur, en l’occurrence le FPR. Hélas, la volonté d’investigation aura buté sur un muret de glace, empêchant tout regard dans la cour du FPR ou celle de ses parrains. A date, ni le TPIR, ni les juridictions nationales, ni les experts, personne ne saurait identifier formellement sans l’ombre d’un moindre doute, le ou les responsables de l’attentat déclencheur des tueries. Parmi les suspects de premier rang, se trouvent les membres du FPR, actuellement au pouvoir.
Cependant, nous savons pertinemment qu’en 94 deux machines à tuer ont conjugué leurs folies meurtrières, dans leur lutte pour conquérir ou garder le pouvoir. Ce sont d’une part les tristement célèbres «interahamwe» et des extrémistes hutu, et les bien mal connu «inkotanyi» avec quelques extrémistes tutsi, d’autre part. Alors que plus d’un attribuent au président Habyarimana la paternité et le haut commandement de la milice Interahamwe, sa mort laisse un vide béat à la direction de cette milice. Il sied de se demander de qui elle reçut les ordres de foutre le bordel sur tout le territoire, sans que personne put l’arrêter. Nous n’avons pas de réponse à ce sujet, ou plutôt des indices qui pointent vers le FPR.
Le FPR a systématiquement commis des massacres systématiques, qu’il voudrait de toute évidence minimiser, voire forfaitiser. Le FPR s’est opposé à tout secours extérieur qui aurait pu limiter l’étendu des carnages. Nous le savons, et nous ne l'aurons jamais décrié suffisamment, les tueries ont suivi ou précédé de très près la progression du FPR, à quelques rares exceptions. Le FPR avait infiltré à tous les niveaux les organes de la sécurité civile, voire l’état major de l’armée. On le sait, nous le savons, le FPR ne donne pas de préavis à ces cibles, et ne revendique jamais ses crimes. De plus, on le sait, le régime en place gère toute l’information en provenance ou à destination du Rwanda, ne laisse aucun témoin libre de s’exprimer ni de survivre, aucun touriste libre de regarder, aucun enquêteur libre d’écouter, … Ainsi, des massacres de famille tutsi, commis par le FPR, seront pendant des années portés sur le compte des interahamwe, avant d’être élucidés. C’est le cas des Ndasingwa (Landoald, Hélène et leurs enfants), des Nyungura et plusieurs autres dont des paysans noyés dans l'anonymat. Sans nul besoin d’aveu ou d’enquête, on ne peut ignorer les massacres étendus de fugitifs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Rwanda, à Kibeho ou à Kisangani notamment, ou les assassinats systématiques des témoins gênants tels des intellectuels, des religieux rwandais ou étrangers, des évêques à Gakurazo, des prêtres canadiens Simard et Pinard, des 9 coopérants espagnols, etc. Et je ne parle pas des destructions par l’emprisonnement, les acharnements judiciaires ou les diffamations préjudiciables réservés aux Rwandais, mais dont certains humanistes expatriés comme le père Guy Theunis, ont fait l’horrible expérience. On ne saurait non plus passer sous silence les horreurs d’une guerre exportée au Congo, le pillage des minerais et le cauchemar des populations des régions assiégées. Telle est l’esquisse du portrait-robot du FPR. Et c’est curieusement le même FPR qui instruit les poursuites et dicte les verdicts !
Si la thèse que le Rwanda est depuis 94 sous le joug de criminels masqués est sérieuse, et c’est hélas le cas, il devient évident qu'un doute s'impose quant à l'objectivité d'un jugement comme celui de Montréal basé sur l'autre thèse «officielle» d'un génocide de tutsi planifié et exécuté par des hutu. Il y a bien de solides raisons de douter de l'objectivité du jugement, entre autres que les criminels au pouvoir ont les moyens de noyer les poissons, de rééditer leurs forfaits, de se maintenir ad aeternam à l’abri de toute poursuite judiciaire. Ils ont mis le pays à sang et à feux, et ne s'en repentent pas. A défaut d'atteindre de balles ou de baïonnettes leurs cibles, ils leurs lancent des filets justiciers. Ils sont plus motivés que jamais à mener à bout leur diabolique plan. Lequel serait-il ? Semer le chaos, prendre et s’assurer de conserver le pouvoir par l’élimination de toute source potentielle de résistance ou de lumière sur les faces cachées du génocide, déjouer par tous les moyens la justice. Leurs lobbies sont partout, autant actifs que leurs épées. N’ont-ils pas induit en erreur bien de décideurs occidentaux et humanitaires qui auraient pu faire la différence en 94? N’ont-ils pas fait errer scientifiques et juristes? Que font-ils et où sont-ils à ce jour?
Dans ce contexte, où le Canada ne saurait clairement dire qui sont et où sont les acteurs masqués de la tragédie rwandaise,
Dans le contexte où la justice et la diplomatie canadienne sont muettes sur les assassinats de citoyens canadiens (Mme Hélène, Pères Simard et Pinard) par la junte au pouvoir à Kigali,
Dans le contexte d'une institutionnalisation de la fabrication de charges et de témoins à charge, et de la banalisation du faux et de la parjure,
dans le contexte de saignées ininterrompues depuis 94, de guerres auto-entretenues, de massacres de civiles, d’assassinats ciblés, de prisons mouroirs, de crimes d’une justice de vainqueurs criminels dont les fameux Gacaca et la présomption de culpabilité constituent l’iceberg, etc, etc.,
Saurait-on vraiment dire que la justice au Canada nous fait progresser? Ou plutôt risquerait-elle si elle n'allait pas plus loin, d’avaliser un génocide en cours à ciel couvert en plus d'aider des génocidaires au palais à reporter ad infinitum leur procès! Le pire étant évidemment que faillir de faire la lumière ne peut que trahir l’espoir des innocents, victimes par millions d'une criminalité institutionnalisée.
Je crois en la sagesse du Juge André et en l'imperméabilité de la Justice canadienne. Un bon jugement, n'est jamais une «vite». Tout en évitant de donner l'impression de s'endormir, la justice doit se donner le temps et les moyens de mâcher les «vérités» que les parties lui soumettent. Elle doit pouvoir mettre à l'épreuve du temps et de l'espace, les affirmations et les fabrications de témoignages. Ainsi, devrais-je attendre des prochaines épisodes un éclairage solide sur ces horreurs génocidaires. Afin que justice puisse être rendue, que le deuil puisse être permis, que les peuples et les acteurs puissent se réconcilier et réinventer un avenir serein
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La vie et la dignité de tout humain sont sacrées. Vivre, ce n’est pas un droit, ni un dû. C’est un acquis sacré, non cessible et inaliénable. Nul n'a le droit de tuer, et rien ne peut justifier d'enlever la vie à qui que ce soit. Nul ne peut, soit-il faible, légitimer le pouvoir ou s’arroger le droit de supprimer une vie. Tuer est aussi lâche que barbare. Qu'il faille prévenir ou punir, corriger ou venger, redresser ou modeler, l'efficacité est mille fois mieux servie (par la communication) que par le sang. Francois Munyabagisha (Rwanda: Faces cachées de la tragédie, Head 1998, inédit).
Et, pendant qu'ici nous sommes occupés à élaborer des théories sur les horreurs de 94, au Rwanda chaque jour fait le lot de plusieurs milliers de victimes qui perdent la vie ou la dignité dans le déni absolu des droits, sous le joug de gouvernements criminels que notre silence cautionne à notre insu.
Enigmatique génocide rwandais
Soif de Vérité à la lumière du procès de Montrèal
Tribune libre
François Munyabagisha79 articles
Psycho-pédagogue et économiste, diplômé de l'UQTR
(1990). Au Rwanda en 94, témoin occulaire de la tragédie de «génocides»,
depuis consultant indépendant, observateur avisé et libre penseur.
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
5 novembre 2009Madame Guillot,
Je pense que vous n'avez pas compris et que vous souffrez du syndrome de l'autoflagellation, qui court beaucoup en France. La France n'a rien à se reprocher, du moins elle n'avait rien à se reprocher jusqu'à ce qu'entrent en scène MM. Sarkozy et Kouchner. C'est la France qui voulait intervenir, en 1994. Elle a fini par le faire, après des semaines interminables de blocage de la part des États-Unis, au Conseil de sécurité. La France dirigea l'opération Turquoise, une opération de sauvetage des Nations-Unies, à laquelle participèrent beaucoup d'autres pays. Ce fut trop peu, trop tard, mais la France a vraiment essayé de sauver des vies.
En revanche, c'est le FPR qui, avec ses puissants alliés étasuniens et britanniques, ne voulait pas que cesse le génocide. Et puis, tout à coup, en juillet 1994, il a osé dire qu'il avait arrêté le génocide. Quel mensonge!
La France de Sarkozy et de Kouchner, elle, a du sang sur les mains. Elle a décidé de suivre bêtement les maitres américains et de protéger Paul Kagame, l'un des plus grands assassins que la terre ait portés.
Je vous conseille fortement la lecture de Paul Kagame a sacrifié les Tutsi, de Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda en France et ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda dans le gouvernement de transition de 1994. Ce livre a été publié aux éditions La Pagaie en 2009. Vous le trouverez en France. Malheureusement, il n'est pas encore disponible au Québec, à ce que je sache.
Pour ce qui est de Désiré Munyaneza, cet homme est innocent. Il est victime des syndicats de délateurs de Paul Kagame et du puissant lobby de l'histoire convenue qui oeuvre au Canada. La politique du Canada à l'égard du Rwanda lui est dictée par Washington, où la secrétaire d'État, Hillary Clinton, ainsi que son mari, Bill, sont de grands amis de Jeannette et Paul Kagame. Le procès de Désiré Munyaneza est un procès politique, et n'a rien à voir avec la vérité et la justice.
Merci, François, pour ce texte touchant. Je sais que la communauté rwandaise du Québec a peur du sanguinaire Kagame. Il te faut beaucoup de courage pour écrire comme tu le fais. Je suis de tout coeur avec toi.
Archives de Vigile Répondre
3 novembre 2009Monsieur Munyabagisha,
Permettez moi de renouveler mon profond dégoût dans le rôle que mon pays la France a pu jouer lors de ce génocide terrible. Les responsables en France ne sont pas prêts d'être inquiétés ... Auront ils au moins un procès par contumace ? Je l'espère.
Mais tout autant que le scandale de ce qui se passe au Congo, que les honteux privilèges qui profitent à quelques trop rares Gabonnais encore aujourd'hui, je crains qu'avec les discours Sarkoziens à Dakar, la France Afrique ne soit pas prête de s'amender dignement de son passé de France colonisatrice, raciste , xénophobe , meutrière.... etc...
Je renvoie le lecteur à l'excellent ouvrage de Jean Zigler, la Haine de l'Occident pour mieux comprendre ce qui se joue en Afrique sous nos yeux encore aujourd'hui. Continent si riche aux nombreux habitants si pauvres que nombreux sont ceux encore aujourd'hui qui croulent dans la misère et ne mangent même pas à leur faim, tandis que nous mourront en Occident de trop et mal nous nourrir ... Ironie de l'histoire sans doute.
Aujourd'hui en France s'ouvre un "débat" prétendument "démocratique " sur "l'identité nationale". En réalité il s'agit plutôt d'une des pierres du gouvernement Sarkozy en la personne de Eric Besson ancien socialiste , de la prochaine campagne électorale pour les régionales de 2010. Il s'agit en fait une fois de plus de réveiller les plus bas instincts de l'extrême droite française, pour nous parler encore une fois d'insécurité nationale, d'immigration clandestine et de notre soi disant fierté d'être Français. Il faut récupérer encore les voix du Front national pour ces élections, c'est tout.
Mais moi aujourd'hui, quand je vois qu'en trois ans, le gouvernement Sarkozy a expulsé par l'intermédiaire de Brice Hortefeux , le triste sire qui fait des blagues racistes à tout va, et par le non moins sinistre Eric Besson, pas moins de 80 000 personnes hors de notre territoire, je me dis que la devise de notre pays Liberté Egalité Fraternité est bafouée de plus en plus et j'ai honte, je le confesse d'être Française. Terre des droits de l'homme, prétendument ... ça serait plutôt terre de non droits de l'homme présentement. On est même capables du pire, remettre dans l'avion pour Kaboul des réfugiés Afghans en leur donnant 2000 € à l'atterrissage. Alors que tous les textes internationaux stipulent qu'on n'a pas le droit de renvoyer dans son pays un citoyen d'un pays en guerre. Sans doute dans la soute, y avait il aussi des armes pour les militaires Français en poste en Afghanistan. Allons enfants de la Patrie le jour de gloire est arrivé ... la tyrannie... le sang impur abreuve nos sillons... Composé en pleines guerres Napoléoniennnes , voici que le Petit Caporal voudrait nous en remettre une couche.
Voilà en quelques brefs mots la triste réalité. Nous ne sommes rien d'autre qu'un Etat à l'hymne national guerrier qui incite à la haine de l'autre, au rejet et à la selection de la qualité du sang en fonction de la nationalité ou de la couleur de peau sans doute. Pourtant, le sang lui est de la même couleur pour tous.
J'ai envie de vomir. Pourquoi donc sous Sarkozy n'existe t il pas un ministère de la solidarité et des Droits de l'Homme ? Parce que ce ne sont assurément pas ces valeurs qu'il entend défendre. Qu'on se le dise.
Les valeurs que les Résistants au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale entendaient défendre sont bien piétinés dans la France d'aujourd'hui.
Caroline Moreno Répondre
1 novembre 2009Je suis curieuse de savoir depuis combien de temps vous êtes au Québec.
Vos textes me touchent beaucoup. Merci.
C.