Roland Hureaux se demande si au-delà des polémiques sur le pape, nous ne serions pas en train d’assister à un basculement géopolitique. Tandis que Moscou se rapproche de Rome, le monde anglosaxon entre en guerre contre la Vatican.
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Roland Hureaux - Chroniqueur associé - Le bruit médiatique considérable qui a touché l’Eglise catholique au cours des mois passés, a été l’occasion d’un reclassement, passé relativement inaperçu, dont les conséquences géopolitiques pourraient être considérables.
On se souvient que dans La guerre des civilisations (1996), Samuel Huntington opposait la civilisation dite « occidentale », Amérique du Nord et Europe de l’Ouest, tant catholique que protestante, à la civilisation « orthodoxe », Russie, Grèce, Serbie, etc., alors même que les différences théologiques entre catholiques et orthodoxes sont infiniment plus ténues que celles qui séparent Rome des différentes « dénominations » protestantes.
C’est cette césure qui pourrait aujourd’hui être remise en cause.
Le soutien de la Russie à l'église catholique
Qui n’a remarqué en effet, dans les tourmentes successives qui ont secoué la papauté : discours de Ratisbonne, levée de l’excommunication des lefévristes, prévention du SIDA en Afrique, mémoire de Pie XII, et qui ont culminé, ces dernières semaines, avec la question des abus sexuels de mineurs ( une expression que nous préférons à celle de « pédophilie », ce dont il s’agit étant à l’évidence de l’ordre de l’eros et non de la philia) imputés au clergé, l’appui sans faille de la Russie à la papauté ? Tant celui du patriarcat de Moscou que du gouvernement russe.
Qui l’eut cru ? La Pravda, elle-même, jadis organe du parti communiste, dénonce les « attaques déloyales » contre Benoît XVI.
Les faveurs dont son prédécesseur polonais n’avait jamais bénéficié, n’ont pas été marchandées au pape allemand.
L’étonnant « pèlerinage » du chef de l’Etat russe à Notre-Dame de Paris, pour vénérer la couronne d’épines que Saint Louis y aurait ramenée, s’inscrit dans la même volonté d’ouverture au monde catholique.
On dira que tout cela est politique. Bien entendu. Mais les grands événements de l’histoire religieuse, de la conversion de Constantin et de Clovis, au schisme de 1054 entre Rome et Constantinople, du ralliement des princes allemands à Luther au Concordat de 1801, ne furent-ils pas tous politiques ?
Le monde anglo-saxon, épicentre des attaques contre le pape
A l’inverse, qui n’a aperçu que les attaques les plus virulentes contre le pape sont parties du monde anglo-saxon ? Le New York Times s’est trouvé à cet égard particulièrement en flèche ? Des scientifiques anglais et américains voudraient même déférer Benoît XVI devant la Cour pénale internationale ! Au cœur de l’affaire Williamson on trouvait déjà le Spiegel, reflet d’une Allemagne protestante qui, quoique sécularisée, demeure anticatholique.
Il faut bien le dire : la France, dont l’anticléricalisme fut longtemps proverbial, s’est trouvée dans la plupart de ces affaires, en position de suivisme, les organes de presse les plus remontés contre le pape étant ceux dont la ligne pro-atlantique est la plus affirmée, les mêmes qui, par exemple, criaient le plus fort haro sur les Serbes il y a dix ans.
Sans doute les Etats-Unis sont-ils loin d’être unanimes sur la question religieuse. Deux blocs s’y affrontent avec une rare violence, principalement sur la question de l’avortement. Mais New York demeure l’épicentre du milieu WASP (white anglo-saxon protestant), qui domine la sphère occidentale depuis au moins un siècle et où l’on nourrit depuis le XVIIe siècle une solide animosité à l’égard de l’Eglise romaine.
Tout au long de la guerre froide, cette hostilité avait été rentrée, l’Eglise catholique apparaissant à partir de 1945 comme un allié objectif contre le communisme. Dans les quinze années qui ont suivi la chute du rideau de fer, Jean Paul II , polonais élu en 1978 a encore bénéficié de cette bienveillance. C’est peut-être la raison pour laquelle, il fut si timide dans la condamnation de la guerre de Yougoslavie.
Vers un nouveau paradigme
Par rapport à ce schéma, il est clair aujourd’hui que les temps ont changé.
De même que les Etats-Unis supportaient de moins en moins la « différence » française et ont trouvé en Nicolas Sarkozy un agent efficace de normalisation -, tout se passe comme si une partie du monde anglo-saxon supportait de moins en moins la « différence » catholique.
Au sein de l’Eglise catholique elle-même, certains se demandent si elle a, la menace communiste passée, encore beaucoup à gagner à demeurer intégrée à une sphère occidentale où elle se trouve de plus en plus marginalisée. Dès lors que l’Europe commence à basculer, au XVIIIe siècle d’abord, puis, de manière définitive, à partir de 1815, vers une prééminence culturelle anglo-américaine, et que, de manière souvent inconsciente, les Européens ont intégré que la modernité sous toutes ses formes vient du Nord-Est , les pays de tradition catholique ne sont-ils pas devenus les « cousins de province » ?
Une marginalisation non seulement géographique mais historique : dans le même imaginaire, l’histoire moderne se réduit à une cascade d’ émancipations, qui commence avec la réforme protestante, se poursuit avec les Lumières ( françaises mais déjà très anglophiles) et s’accomplit dans l’univers libéral-libertaire , la tradition catholique n’apparaissant dans un tel schéma, que comme une survivance.
A l’évidence les signaux forts que Moscou a envoyés à Rome ne resteront pas sans effet. Les réponses du Vatican sont certes moins visibles que les avances du Kremlin mais qui ignore que le rapprochement si controversé avec les lefévristes, inséparable du souci de restaurer la liturgie, a pour arrière-plan la volonté de se rapprocher de l’orthodoxie, attachée à des rites encore plus anciens ? Si, comme beaucoup le pensent, la différence entre Rome et Moscou est plus politique que théologique, un grand pas aura été accompli ces derniers jours dans cette direction.
Le déchaînement croissant du monde libéral à l’égard de l’Eglise catholique est-il la cause ou la conséquence de cette évolution ? La crise actuelle est- elle le prélude à une remise en cause du schéma huntingtonien qui avait, jusqu’ici, structuré notre conception du monde , le début d’ une « dérive des continents » débouchant sur une nouvelle géographie des civilisations ? Il est à l’évidence trop tôt pour le dire.
Et si la crise papale relevait de la géopolitique ?
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