Guerres culturelles aux États-Unis

Vieux vin, nouvelle bouteille?

L’Empire - l'instrumentalisation du religieux



S'il ressuscitait aujourd'hui, le pasteur baptiste évangélique Jerry Falwell, décédé en 2007, aurait peut-être du mal à reconnaître le mouvement conservateur aux États-Unis. Célèbre pour ses efforts visant à convaincre Washington de légiférer sur les enjeux qui occupent le cœur du programme de la droite chrétienne, Falwell serait, d'une part, surpris de voir E. J. Dionne, éditorialiste du Washington Post, affirmer que les guerres culturelles sur des enjeux moraux comme l'avortement et le mariage gai préoccupent désormais moins les Américains que l'économie, les impôts et la dette.
Falwell serait, d'autre part, étonné de constater que les conservateurs moraux ont maintenant plus de difficulté que les conservateurs séculiers du Tea Party à attirer l'attention des médias. Mais en y regardant de plus près, Falwell se rassurerait sans doute. En effet, les premières années de la présidence Obama démontrent non seulement que les guerres culturelles continuent de battre leur plein aux États-Unis, mais que le Tea Party n'est peut-être pas, finalement, aussi distinct de la droite chrétienne qu'il n'y paraît.
Les guerres culturelles depuis Obama
L'ultraconservateur Pat Buchanan fut l'un des premiers à recourir à l'expression «guerre culturelle» (culture war) pour désigner les débats sur des enjeux moraux comme l'avortement et le mariage gai. Dans son discours à la convention nationale du Parti républicain de 1992, il implorait les Américains de protéger «l'âme de l'Amérique» et les valeurs morales traditionnelles.
Plusieurs acteurs politiques et sociaux ont entonné le chant de ces «guerres» depuis: des philosophes comme Peter Kreeft ont publié des livres proposant un «plan d'attaque» contre les Américains qui pratiquent l'adultère, des vedettes du réseau Fox News comme Bill O'Reilly ont accusé les médecins pratiquant l'avortement de «tuer des bébés» et des élus comme George W. Bush ont proposé d'amender la Constitution américaine pour interdire le mariage gai.
Pour les guerriers culturels, même si les enjeux économiques revêtent une importance cruciale, la priorité est de reprendre le pays des mains des élites laïques et progressistes qui ont cherché à détruire les fondements spirituels et moraux des États-Unis. Les guerriers culturels ont d'ailleurs poursuivi leurs combats durant la présidence d'Obama. L'adoption, lors de l'élection de novembre 2008, d'une proposition visant à interdire le mariage gai en Californie, l'assassinat d'un médecin pratiquant des avortements tardifs par un militant pro-vie en mai 2009 ou encore la récente controverse entourant la création d'un centre islamique à New York illustrent que les guerres culturelles qui intéressaient tant Jerry Falwell restent au coeur des débats de société aux États-Unis.
Le Tea Party
De leur côté, les leaders du Tea Party ont été plus réticents à placer les enjeux moraux au coeur de leurs revendications. Vu leur tendance à se dire libertariens, conservateurs fiscaux ou partisans du moindre État, ils ont affirmé, par exemple, que leurs priorités sont de réduire les dépenses gouvernementales, les impôts et la dette, ou encore d'abroger certaines lois d'Obama, comme sa réforme de l'assurance maladie et son plan de relance économique.
Glenn Beck, l'une des vedettes de Fox News, qui est devenu la coqueluche des «tea partiers», incarne bien cet esprit quand il dit avoir «bien d'autres chats à fouetter» que de lutter contre le mariage gai et l'avortement. Cette déclaration de Beck cache cependant une partie de la vérité à propos du Tea Party et de la manière dont il a évolué jusqu'à présent...
D'une part, comme l'illustre une récente étude menée par Robert P. Jones, spécialiste de la société américaine au Public Religion Research Institute à Washington D.C., près de la moitié des partisans du Tea Party s'identifient comme faisant partie du mouvement de la droite chrétienne. Qui plus est, contrairement à une croyance répandue, la majorité des partisans du Tea Party partage l'avis des conservateurs chrétiens, et non des libertariens, sur les enjeux des guerres culturelles.
Par exemple, une forte majorité des «tea partiers» estime que l'on devrait interdire l'avortement (63 %) et le mariage gai (82 %), alors que la plupart des libertariens, hormis les membres d'organisations comme le groupe Libertarians for Life, auraient plutôt tendance à affirmer que l'État ne devrait pas légiférer sur ces questions.
Transfuges
D'autre part, parmi les «chouchous» du Tea Party en vue des élections de mi-mandat du 2 novembre prochain, certains donnent avant tout l'impression d'être des transfuges, c'est-à-dire des conservateurs moraux qui, par opportunisme, auraient soudainement troqué le discours des guerriers culturels contre ceux des libertariens et des conservateurs fiscaux pour des raisons électorales. L'exemple de Christine O'Donnell, candidate à la sénatoriale du Delaware, vient évidemment à l'esprit: elle fait campagne sur l'enjeu des dépenses gouvernementales, mais a, tout au long de sa carrière, frayé dans les organisations conservatrices chrétiennes et milité contre la pornographie, la sexualité avant le mariage, la masturbation et l'avortement. Les programmes politiques de Paul LePage (candidat au poste de gouverneur dans le Maine) ou de Sharron Angle (candidate à la sénatoriale dans le Nevada) illustrent également que le Tea Party est loin de rejeter la position des guerriers culturels sur des questions comme l'avortement et le mariage gai.
La trajectoire empruntée par le Tea Party depuis son émergence en 2009 soulève donc plusieurs questions quant à l'identité du mouvement et à ses réels objectifs. Les liens de parenté entre le Tea Party et la droite chrétienne étant relativement évidents, il est à tout le moins légitime que les Américains se demandent si Christine O'Donnell, Paul LePage et d'autres ne sont pas en train de leur servir du vieux vin dans une nouvelle... théière.
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L'Observatoire tient un colloque sur les guerres culturelles aux États-Unis ce jeudi 14 octobre ([www.dandurand.uqam.ca->www.dandurand.uqam.ca]).
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Frédérick Gagnon - Directeur de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et professeur de science politique à l'Université du Québec à Montréal

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Chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal





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