Essais québécois

Éthique et culture religieuse: la polémique continue

Livres-revues-arts 2011


Alors que le programme d'éthique et culture religieuse (ECR) en est à sa troisième année d'implantation dans les écoles du Québec, la polémique qu'il suscite semble avoir perdu en intensité, sans pour autant s'être épuisée. Des parents, qui souhaitent que leurs enfants soient exemptés de ce cours, ont été déboutés en Cour supérieure, mais se rendront en Cour suprême. En juin 2010, la même Cour supérieure a reconnu à l'école secondaire jésuite Loyola le droit de donner ce cours dans un esprit catholique. Le gouvernement du Québec, actuellement, en appelle de ce jugement.
À l'autre extrémité du spectre idéologique, le Mouvement laïque québécois continue de plaider pour le retrait du volet «culture religieuse» de ce cours. Des militants nationalistes, enfin, souhaitent son abolition parce qu'ils y voient un cheval de Troie du multiculturalisme, auquel ils s'opposent au nom de la préservation de l'identité québécoise. Dans les classes, pourtant, l'affaire ne suscite pas de révolte et semble se dérouler assez bien.
Faire le point
Pour faire le point sur ce dossier, les éditions Médiaspaul ont invité six intervenants à proposer leurs points de vue dans La Religion sans confession, un recueil sous-titré Regards sur le cours d'éthique et culture religieuse. Force est de constater, à lire ces textes, que les positions restent tranchées et ne sont pas près de se rejoindre. En accordant autant d'espace aux opposants à ce cours qu'à ses partisans, l'éditeur fait preuve d'un souci d'équilibre qui peut être trompeur. Les opposants, en effet, parlent souvent fort, mais leur représentativité est douteuse.
Suzanne Lavallée, une mère de famille de la région de Drummondville qui se bat pour avoir le droit d'exempter ses enfants de ce cours, défend le point de vue du catholicisme très conservateur. Elle craint, insiste-t-elle, que le cours d'ECR s'oppose aux valeurs catholiques qu'elle veut transmettre à ses enfants — un argument repris par Paul Donovan, directeur de l'école Loyola — et réclame, comme parent, «le droit de décider du cheminement spirituel et philosophique de [ses] enfants».
Ce dernier argument, aussi avancé par le théologien Louis O'Neill, me semble très faible dans le contexte de ce débat. Personne, en effet, ne nie aux parents le droit d'inculquer les valeurs de leur choix à leurs enfants. Or l'école, elle, n'a pas à se soumettre à ces valeurs. L'école n'est pas au service des parents. Elle assume plutôt une fonction sociale démocratiquement définie. Dans certains cas, elle a même le devoir d'offrir aux enfants d'autres valeurs que celles de leurs parents (il y a, en effet, des parents racistes, sexistes, qui méprisent la culture, etc.) pour leur permettre de s'épanouir en tant que citoyens et êtres humains. À la maison, les parents ont bien sûr le droit d'inculquer leurs valeurs à leurs enfants, mais l'école ne leur appartient pas plus qu'aux autres citoyens.
Le contenu du cours d'ECR, comme celui des cours de français ou de biologie, n'a donc pas à être soumis aux caprices des parents ou des enfants. Suzanne Lavallée raconte, dans son texte, qu'elle a laissé le choix à ses enfants de suivre ou non ce cours. Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire? Leur demande-t-elle aussi si ça leur tente de suivre le cours de sciences? Pourtant, ils risquent d'y apprendre que le monde ne s'est pas fait en six jours!
Il faut souhaiter, dans ce dossier, que le gouvernement du Québec, qui refuse d'accorder des exemptions pour ce cours, gagne sa cause. Sinon, l'école sera soumise à toutes sortes de pressions parentales au sujet de n'importe quel cours. Si le sport ne fait pas partie de mes valeurs, pourquoi n'aurais-je pas le droit d'exempter mes enfants des cours d'éducation physique? On voit où cette attitude peut mener.
Comprendre un phénomène religieux
Dans une société de droit comme la nôtre, le maintien du privilège chrétien en matière d'enseignement confessionnel n'était plus soutenable. Trois options s'offraient alors à nous: permettre un enseignement confessionnel de toutes les religions — «voilà pourtant une option typique du multiculturalisme tant décrié au Québec», remarque Élisabeth Garant, directrice du Centre Justice et Foi —, abolir l'enseignement religieux ou, ce sera la formule retenue, offrir un enseignement culturel des religions.
«À notre époque, écrit Garant, vouloir ignorer totalement les phénomènes religieux et leur influence n'a aucun sens. La réflexion faite au Québec, en choisissant de maintenir dans nos écoles le cours d'ECR, est de considérer qu'il est nécessaire de connaître le fait religieux et les principales traditions qui l'expriment, mais qu'il est essentiel de le faire sous le mode de l'apprentissage culturel sans chercher à influencer les choix de croyance ou d'incroyance des individus.» Certains auraient souhaité que cette prise en compte du fait religieux passe par le cours d'histoire. Le théologien Alain Gignac pense plutôt, avec raison, que «le phénomène religieux et les discussions éthiques ont leur spécificité» et méritent une place autonome. Les insérer dans le cours d'histoire, déjà chargé, risquerait de noyer le poisson.
Ceux que ce cours inquiète encore, enfin, doivent impérativement lire le texte de Sylvain Fournier, qui ouvre le recueil. Président de l'Association québécoise en éthique et culture religieuse et enseignant de ce cours au secondaire, Fournier en offre une présentation claire et convaincante. Il explique qu'il s'agit d'un cours d'une heure par semaine, que l'éthique et la culture religieuse y sont séparées, que l'accusation de relativisme en matière d'éthique ne tient pas devant les finalités du programme que sont «la reconnaissance de l'autre et la poursuite du bien commun», que «le cours sous-entend la présence d'une culture fondatrice avant de parler de diversité» et que les soupçons de «religion d'État» ne tiennent pas puisque le cours «ne repose pas sur la foi». Il ne s'agit pas, insiste Fournier, d'accepter, d'adopter, de critiquer ou de choisir, mais de «comprendre» le phénomène religieux.
«Quoi, Pâques, ça a rapport avec Jésus?», lui lançait récemment un élève de 4e secondaire. «Comprenez-vous pourquoi ce cours est important?», conclut Fournier. Moi, oui.
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louisco@sympatico.ca
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La religion sans confession
_ Regards sur le cours d'éthique et culture religieuse

_ Donovan, Fournier, Garant, Gignac, Lavallée et O'Neill
_ Médiaspaul
_ Montréal, 2011, 176 pages


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