Étudiants: Comment fut bousillée la négo

Conflit étudiant mai 2012 - démission de Line Beauchamp



Une approche tortueuse
Nous avons eu droit ce lundi à la version de la ministre démissionnaire Line Beauchamp. Elle a perdu, a-t-elle dit, toute confiance en la volonté des leaders étudiants d’en venir à une entente. C’est pourquoi elle a fait “l’ultime compromis” de s’effacer pour permettre un nouveau départ*.
La version que j’ai pu colliger à partir de cinq participants côté étudiant et d’une source chez les recteurs est toute autre. En fait, la FEUQ et la FECQ insistent depuis le sept mai pour apporter des éclaircissements précis et balisés à l’entente du samedi 5 mai pour la rendre acceptable, à leurs yeux, à leurs membres (même s’ils affirment ne pas avoir la capacité d’en recommander l’adoption).
Un grand recul
Pour ces deux associations, la clé de la sortie de crise résidait précisément dans le travail du futur Conseil provisoire (puis permanent) des universités prévu à l’entente. Or dans un retournement majeur, ce lundi matin, la ministre Beauchamp a retiré de la discussion l’existence même de ce Conseil pour proposer à la place une Commission parlementaire.
Il s’agissait d’un grand recul pour les étudiants. Au sein du Conseil, les associations sont parties prenantes. Au sein de la Commission parlementaire, ils ne sont que spectateurs .
En fait, les deux associations souhaitaient clarifier de trois façons le travail du Conseil:
- S’assurer que les économies réalisées dans la gestion des universités soient reportées sur les frais afférents (ce qui était prévu) puis que les économies supplémentaires soient reportées en diminution des droits de scolarité (ce qui était implicite dans l’entente, mais contredit ensuite par des déclarations de la ministre);
-Modifier la composition du Conseil pour que les membres externes (deux du secteur privé et le président) soient désignés par consensus et retirer un des quatre recteurs pour le remplacer par un expert;
-S’assurer qu’en cas identification consensuelle par le Conseil d’économies de gestion, il y ait un mécanisme de discussion des propositions à l’Assemblée nationale;
-Sécuriser le “report” de la hausse des droits de scolarité de l’automne 2012. Dans l’entente, elle est conditionnelle à l’identification d’économies. Les associations voulaient qu’elle soit non conditionnelle et qu’elle couvre toute l’année.
Ce sont des positions de négociation, évidemment. On peut penser que tout se jouait en fait sur le premier des points. Les associations étaient prêtes (et le sont toujours) à jouer sur les mots pour éviter au gouvernement Charest d’écrire “Droits de scolarité”: les termes “règle budgétaire” ou “contribution étudiante” pourraient faire l’affaire.
Un énorme compromis étudiant
Il faut bien indiquer que, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement et une partie du commentariat québécois, cette position des associations constituait — et constituerait toujours — un énorme compromis par rapport à leur revendication première qui est l’annulation la hausse et le gel des droits.
Dans le mécanisme incertain du Conseil, rien ne garantit que suffisamment d’économies seront réalisées pour compenser la hausse, en tout ou en partie. Affirmer que les associations sont intraitables est simplement une contre-vérité.
Les recteurs contre-attaquent !
Le retrait pur et simple de la proposition de Conseil des universités, clé du retour en classe, n’est pas fortuite. Selon une source partie à ces discussions du côté des recteurs, les universités “ont clairement indiqué de façon unanime qu’ils ne sont pas favorables à un tribunal” des universités et de leurs dépenses.
Ce qui est précisément ce à quoi le Conseil devait servir. “Les recteurs n’ont pas voulu le dire publiquement, mais les messages sont passés clairement” que les recteurs ne voulaient pas être des “boucs émissaires”.
Il faut indiquer ici que, bien que les recteurs aient été partie prenante du marathon de négociation de la semaine dernière, ils ne sont pas signataires du document. En fait, ils ont fait connaître leur opposition au moment de la discussion des libellés et c’est Michèle Courchesne qui a insisté pour qu’ils acceptent ce compromis.
Pendant la rencontre de ce lundi matin, selon nos sources du côté étudiant, la ministre Beauchamp s’appuyait sur le changement de position du négociateur de la CLASSE quant à l’acceptabilité du Conseil par ses membres pour refuser de s’engager plus avant sur cette voie et la remplacer par la Commission parlementaire.
En effet, si le comité de négociation de la CLASSE avait accepté la proposition pendant la nuit de négo, les associations membres et les instances ont beaucoup critiqué le Conseil, sa composition, son mandat, et le principe même que les étudiants doivent faire le travail de bonne gestion du gouvernement pour dégager des économies. Contrairement à la FEUQ et la FECQ, qui continuaient à vouloir améliorer ce mécanisme, la CLASSE estimait qu’il fallait une autre piste, portant spécifiquement sur la hausse des droits.
Au sujet de la Commission parlementaire, Mme Beauchamp plaidait que l’ouverture de cet espace de discussion entre élus en présence de membres de l’opposition et des députés indépendants serait une “réponse démocratique à la violence de la rue”.
Ce à quoi toutes les associations ont répliqué qu’une Commission parlementaire, où le gouvernement a la majorité, ne fait que remettre un rapport au gouvernement, qui en dispose à sa guise. On s’étonne que la ministre ait pu penser que cette hypothèse tiendrait la route.
Comme elle l’a indiqué en conférence de presse vendredi, Mme Beauchamp a ensuite testé l’idée d’un “moratoire”. On dit bien “testé” puisque la ministre a bien indiqué qu’elle devait revenir au bureau du Premier ministre pour soumettre la chose.
Or la proposition était on ne peut plus vague. Toutes les associations, y compris la CLASSE, ont répliqué qu’un moratoire était intéressant, mais qu’il fallait préciser ce qui arriverait après. Un “moratoire” ou une “trève”, mais pour combien de temps ? Une session ? Deux ? Jusqu’à l’élection ? “Elle n’a jamais voulu nous le dire” affirme le Vice-président de la FECQ, Simon Harvey.
Leur vœu ultime, comme l’a dit la ministre, est la tenue d’États-Généraux sur les universités. “Mais on sait que le gouvernement libéral est allergique à ce terme” me dit-on. Le retour du Conseil des Universités aurait été acceptable pour la FECQ et la FEUQ, mais n’était plus sur la table.
Bref, comme je l’indiquais ici, il aurait été possible au gouvernement, en quelques heures la semaine dernière, de clarifier et de bonifier une entente de sortie de crise qui constituait un compromis considérable de la part des étudiants.
Cette négociation supplémentaire fut rendue impossible par la réticence du gouvernement à capitaliser sur sa propre entente et à passer outre aux objections — parfaitement prévisibles — des recteurs (qui ne sont d’ailleurs pas très chaud pour une Commission parlementaire). Le temps écoulé depuis a provoqué une radicalisation de la base de la CLASSE, qui rend son adhésion à cette entente bonifiée plus problématique. (Mais l’adhésion de deux associations sur trois serait déjà majeur et sonnerait la fin de la crise.)
Le retrait de cette proposition et son remplacement par une Commission parlementaire, puis le refus, parfaitement prévisible, de cette idée par les associations a donné à la ministre le prétexte pour dire ceci:

« Ma dernière conversation téléphonique avec les représentants des quatre associations étudiantes m’a amenée à constater que personnellement, j’avais perdu confiance dans leur volonté de régler le conflit et que nous ne partagions pas les mêmes valeurs du respect de la démocratie et des élus de l’Assemblée nationale »

On attend beaucoup plus de Michèle Courchesne.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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