La justice a souvent fait la preuve qu'elle ne trace aucune ligne claire entre le droit à la vie et le droit à la mort. Au tour des médecins d'apporter le brutal témoignage de la pratique: l'euthanasie a beau être illégale, elle se pratique quand même. Il s'agit d'une précieuse expérience qui révèle le retard des lois sur la société.
La mort n'attend pas. Pendant que les parlementaires font des questions de l'euthanasie et du suicide assisté des sujets à enterrer, les praticiens de l'éthique médicale y font face au quotidien, comme en font foi les résultats du sondage de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), dévoilés cette semaine. 81 % des répondants le confirment: l'euthanasie est une pratique au Québec.
Vraisemblablement, sur le terrain, là où s'entremêlent les douleurs des patients, les déchirements des familles et les questionnements des médecins, on n'a rien à faire du manque de courage des politiciens quand il s'agit du passage obscur de la vie vers la mort. La position du Collège des médecins du Québec est attendue sous peu. Les spécialistes affirment que malgré les lois, l'usage est confirmé.
Le Code criminel associe l'euthanasie et le suicide assisté à des meurtres. Bien que le Parlement canadien se soit déjà penché sur la décriminalisation de ces actes, les discussions n'ont jamais franchi de cap critique. Mariage gai et avortement font frémir les parlementaires; on imagine l'affolement que peut engendrer l'euthanasie! La députée du Bloc québécois Francine Lalonde a courageusement déposé un projet de loi privé (C-384), espérant ouvrir le dialogue.
Sur le plan légal, la question interpelle en effet le gouvernement canadien et son Code criminel. Mais ce sont les provinces qui appliquent le droit criminel et qui ont la responsabilité des hôpitaux et de la réglementation de la profession médicale. Dans les couloirs des hôpitaux, les voies de la santé et du droit se traversent.
La santé démontre son évident malaise devant les limites actuelles de la loi en la contournant, carrément! Mais la justice aussi révèle son impuissance, notamment au moment du prononcé de la sentence, puisque le motif de compassion a souvent servi à amoindrir des peines. Quelques causes célèbres ont montré la division évidente de la population, une rupture qui se traduit aussi chez les juges, et les médecins.
Dans l'affaire Sue Rodriguez, en 1993, cinq magistrats de la Cour suprême du Canada avaient refusé de légaliser le suicide assisté, contre quatre. Le sondage de la FMSQ révèle aussi un flagrant désaccord: si les trois quarts des médecins interrogés sont favorables à la légalisation de l'euthanasie dans un cadre balisé, 20 % affirment qu'ils ne la pratiqueraient jamais.
Un autre point du sondage est convaincant: interrogés sur la sédation palliative -- endormir le patient afin de le rendre inconscient de sa douleur --, les médecins n'arrivent pas à dire s'il s'agit ou non d'une forme d'euthanasie. 48 % estiment que oui, alors que 46 % disent plutôt que non. Un débat public permettrait de mieux éclaircir ces questions de définitions, cruciales en bioéthique.
Les limites sont frêles entre l'euthanasie, l'aide au suicide et l'interruption d'un traitement médical, mais s'y croisent des malades qui veulent mettre fin à une souffrance, des proches et des médecins qui jonglent avec de lourdes questions morales, nourries par la compassion. Aux gouvernements de permettre maintenant un débat nécessaire.
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machouinard@ledevoir.com
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