Dans les milieux évolués, on se faisait des gorges chaudes au début de la dernière campagne électorale, du chef de l'ADQ qui avait assimilé le cours Éthique et culture religieuse au multiculturalisme qui travaillerait à la censure de la fête de Noël et de ses symboles dans les écoles québécoises. Sottises, répétèrent en choeur les perroquets du régime qui n'en finissaient plus de faire le procès de Mario Dumont. Les événements confirment pourtant la perspicacité du chef adéquiste, dont l'absence se fait déjà sentir, qui avait bien vu que le multiculturalisme est une idéologie qui se déploie en laminant par grands pans l'identité nationale et qui n'entend en épargner aucun.
L'édition du Devoir du 11 décembre le confirme, un communiqué a suivi l'autre. Dans le premier, on annonçait la participation du premier ministre à l'illumination du sapin de Noël de l'Assemblée nationale. Dans le second, on annonce une «légère modification». On parle désormais du sapin des Fêtes. Puis une troisième nouvelle, pour couronner le tout: le premier ministre redonnait son nom au sapin en question. Traduisons ainsi la séquence des événements: les experts en communication du premier ministre ont eu l'impression de commettre une faute grave en rappelant à la collectivité que le temps des Fêtes est associé aux fêtes de Noël, une fête chrétienne. Puis le premier ministre, craignant ce qu'on appelle chez les importants un «dérapage identitaire», a vite redonné à la tradition ses droits malgré le zèle pluraliste de ses ministres. À Claude Béchard la palme du politiquement correct : «Il faut respecter la culture, il faut respecter l'ouverture de tout le monde. Au Québec, nous sommes une société inclusive. [...] C'est ça, le Québec, c'est l'ouverture et le respect de chacune des traditions .»
Lapsus révélateur
Mais tout cela relève bien moins de la maladresse que du lapsus révélateur. Car il y avait une certaine ironie à qualifier de «légère modification» l'abolition symbolique des fêtes de Noël. Deux mille ans d'histoire passent à la trappe, multiculturalisme oblige. Mais le multiculturalisme n'a jamais hésité à confondre l'ouverture à l'autre et le reniement de soi. Il ne faudrait pourtant pas s'en surprendre, car la controverse de Noël a pris forme au Québec depuis quelques années déjà et traverse désormais la plupart les sociétés occidentales. Aux États-Unis, on parle de la «Christmas War» tant les fêtes de fin d'année sont devenues l'occasion pour les multiculturalistes les plus acharnés de reprendre leur lutte pour évider nos sociétés de leurs traditions fondatrices.
Mais les multiculturalistes ont un nouvel argument, directement tiré de la commission Bouchard-Taylor et de son rapport: celui d'une laïcité «ouverte», qui exigerait l'ouverture de l'espace public à toutes les religions, à moins de les fermer à toutes. Il faut décrypter ce langage orwellien pour savoir de ce dont il est question: la «laïcité» du Québec officiel est surtout le nom de code d'un désinvestissement du domaine public de tous les contenus culturels associés au Québec historique. Dans cette perspective, le catholicisme n'est qu'une tradition religieuse parmi d'autres dans un Québec pluraliste. Exit Noël! Pour construire le Québec dont rêvent les pluralistes, il faudra remonter le cadran historique à zéro, comme si quatre siècles d'histoire ne voulaient rien dire. Tous les repères traditionnels qui balisent l'espace public devront être retirés. Au nom du progrès, bien sûr.
Un peuple
Est-il hérétique de rappeler que le Québec n'est pas une terre vierge, non plus qu'une page blanche sur laquelle on pourrait tout gribouiller? Le Québec n'est pas une société sans mémoire mais un peuple, une communauté historique dont l'héritage culturel est traversé par un catholicisme apaisé et heureusement laïcisé, mais néanmoins fondamental dans la morphologie de l'identité nationale. L'histoire du Québec ne commence pas en 1960, encore moins avec la conversion toute récente de ses élites au multiculturalisme, et c'est à partir de cette histoire profondément enracinée sur quatre siècles que doit se déployer la société québécoise et l'espace public dans lequel elle s'exprime. Les fêtes de Noël actualisent chaque année cette identité en rappelant l'enracinement occidental du peuple québécois. Lutter contre Noël en le neutralisant ou en relativisant sa place dans l'espace public, c'est oeuvrer à la désoccidentalisation du Québec, c'est oeuvrer à sa liquéfaction identitaire.
La controverse des accommodements raisonnables qui a duré de 2006 à 2008 n'était pas qu'une mascarade. Loin de là. Elle aura plutôt dévoilé à la conscience collective le travail de déconstruction de l'identité nationale mené par les élites québécoises. Que ces dernières soient parvenues à neutraliser l'indignation populaire à travers la commission Bouchard-Taylor ne change rien au fait que le multiculturalisme continue de se déployer au Québec grâce au détournement idéologique de nos institutions collectives mises à son service. Il faudra bien se résoudre à lutter franchement contre le multiculturalisme et ses avocats, aussi puissants soient-ils. Il faudra faire le procès d'une philosophie mortifère qui abime déjà le Québec et le rend de plus en plus étranger aux Québécois.
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Mathieu Bock-Côté, Candidat au doctorat à l'UQÀM
Exit Noël?
Noël et Jour de l'An - 2010- 2011
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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