Faire un bon bilan de la campagne de vaccination

L'Empire - la fabrication de la PEUR


Ces jours-ci, plusieurs responsables gouvernementaux du domaine de la santé nous livrent un premier bilan des divers programmes provinciaux de vaccination contre la seconde vague de la grippe A (H1N1). Certains commentent également l’achat et la fourniture de vaccins, activités gérées par le gouvernement fédéral. Ces bilans sont des exercices difficiles à faire. Il est cependant important de les effectuer avec rigueur si nous voulons améliorer notre capacité de gérer d’autres crises similaires dans le secteur de la santé et, de façon générale, développer l’expertise gouvernementale en matière de gestion de crise.
Les décideurs politiques et les hauts fonctionnaires ont malheureusement souvent tendance à dresser trop rapidement de tels bilans, à présenter des analyses partielles, à minimiser les points sujets à la critique et à mettre uniquement l’emphase sur les points positifs. Il en résulte (1) une perte d’information qui pourrait être utile pour accroître notre expertise et (2) une piètre reddition de compte qui ne favorise pas la formation de décideurs et de gestionnaires de qualité.
C’est un peu ce qui s’est produit après le passage à l’an 2000. On a crié au loup alors qu’il n’y avait pas de loup, tout au plus un moustique. Certains ont même qualifié ce passage de « non event ». Durant les deux années précédant le 1ier janvier 2000, des montants considérables ont été dépensés dans de nombreux pays industrialisés. Ensuite, les bilans ont été bouclés à 300 milles à l’heure. On s’est congratulé allégrement puis on a rapidement tourné la page. Les organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, BRI) n’ont pas fait exception à cette façon de faire.
Dans le domaine de la gestion de programmes mis en place pour réduire les effets néfastes d’une crise appréhendée, il faut éviter de conclure automatiquement que les coûts de ces programmes ont été une perte totale parce que la menace ne s’est pas matérialisée. Le propriétaire d’une maison n’a pas fait une erreur de jugement s’il a contacté, ex ante, une police d’assurance pour l’indemniser en cas d’incendie et que l’on constate, ex post, qu’aucun incendie ne s’est pas déclaré. Il peut cependant se demander si la hauteur de la couverture souscrite et le montant de la prime d’assurance étaient adéquats.
De façon similaire, il est possible que la campagne de vaccination mise en place pour faire face à la seconde vague de la grippe A (H1N1) ait été une bonne décision (ex-ante) même si la virulence du virus avait été encore bien moins forte que ce qui a été observé. Dans un tel cas, il faut analyser la qualité de l’information dont disposaient les décideurs publics à la fin de l’été 2009. Dans l’incertitude, il faut prendre des décisions en se fondant sur les pertes attendues dans le cas où aucune mesure ne serait prise par rapport aux pertes attendues si des mesures seraient prises et ce, tout en tenant compte des coûts de telles mesures.
La menace que constituait le virus H1N1 au mois d’août 2009, à la fin de la première vague, reposait sur une estimation de la probabilité d’autres vagues de la grippe, sur le niveau de contagion attendu du virus et sur la virulence attendue de la grippe. Il semble que les autorités gouvernementales ont bien prévu l’arrivée de la seconde vague, notamment la deuxième, et le haut niveau de contagion du virus. Cependant, la virulence de la grippe a été bien plus faible dans cette deuxième vague qu’on ne l’appréhendait. Il faudra voir pour les prochaines vagues. Il est donc difficile de faire un bilan complet de la campagne de vaccination, car certains bénéfices pourraient être observés lors de prochaines vagues surtout si la grippe devient plus virulente et que le virus ne subit pas de mutation de façon suffisante pour réduire la protection du vaccin administré à l’automne 2009.

Pour le moment, au terme de la seconde vague de grippe, on ne peut faire qu’un bilan partiel de la campagne de vaccination menée. Les bénéfices immédiats de cette campagne ont été réduits comparativement aux attentes en raisons de divers facteurs : la grippe a été moins virulente que prévu, moins de gens ont accepté de se faire vacciner et l’épidémie a débuté avant qu’un nombre significatif de personnes ne soient immunisées.
Sur ce dernier point, il incombe aux autorités gouvernementales de démontrer que la campagne de vaccination a réduit de façon significative les taux d’hospitalisation et de décès durant la seconde vague. Si nous comparons les statistiques du Québec à celles de l’Ontario, nous voyons que le Québec a eu un taux de décès (10,1 contre 7,1 personnes par million) et un taux d’hospitalisation (316 contre 105 personnes par million) bien supérieurs à ceux de l’Ontario, alors qu’un peu plus d’un Québécois sur deux s’est fait vacciné comparativement à moins d’un Ontarien sur trois. Est-ce que des taux de vaccination plus élevés n’auraient pas dû impliquer, toutes choses égales par ailleurs, des taux de décès et d’hospitalisation plus faibles? Ces statistiques s’expliqueraient-elles par le fait que diverses caractéristiques font en sorte que la population du Québec soit plus vulnérable que celle de l’Ontario et du fait que la campagne de vaccination a été trop tardive pour avoir un effet significatif lors la seconde vague?
Il faudra que ces bilans présentent la somme des coûts encourus pour les diverses campagnes de vaccination (1 ou 1,5 ou 2 milliards de dollars…) et les leçons tirées de cette expérience. Par exemple, nous avons beaucoup appris durant cette seconde vague sur la façon optimale de mettre en place un programme de vaccination pour l’ensemble de la population. Il en va de même pour les stratégies de communication destinées à inciter les citoyens à se faire vacciner.
Finalement, il faudra comparer l’expérience canadienne à celle des autres pays de façon à voir s’il y a une corrélation entre les taux de vaccination et une réduction significative du nombre de personnes atteintes de la grippe, hospitalisées et décédées. Par exemple, dans le dossier du « bug de l’an 2000 », le fait que des pays qui avaient relativement peu investi pour se préparer à l’arrivée du millénaire ont été très peu affectés a contribué à démontrer que plusieurs pays avaient surinvesti dans leur préparatif à ce passage.
Le bilan de la campagne de vaccination est l’occasion d’évaluer ce que l’on a fait et d’accroître notre expertise. Il ne faudrait pas gâcher cette opportunité par des analyses de mauvaise qualité.
***
Jean-Pierre Aubry

Économiste

Fellow invité du CIRANO

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Économiste avec plus de 35 ans d’expérience dont 30 ans à la Banque du Canada. Membre du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois Fellow associé du CIRANO





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    11 avril 2010

    Que les québécois soient contents de la gestion de cette pandémie, comme le confirmerait un sondage de Léger Marketing, publié dans le journal Le devoir du 18 janvier 2010, ne prouve pas que notre Gouvernement a bien réagi.
    On a pas besoin d'étudier longtemps les statistiques entre les pays pour voir avec évidence que plus un pays a été vacciné (pourcentage plus grand), plus il y a eu de décès attribués officiellement à la grippe A (H1N1). Ça mérite qu'on s'y intéresse et qu'on tente de comprendre pourquoi !
    En Pologne, la population n'a pas été vaccinée. Parce que la ministre de la santé ne voulait pas, comme elle l'a dit il y a plusieurs mois, donner à son peuple ce qu'elle refuserait de donner à sa propre mère. Et bien ils ont moins de morts attribués au h1n1 qu'ici au Québec, où le taux de vaccination a été de 57%.
    Si on compare la France et le Québec, en prenant les données officielles du Ministère de la santé et des services sociaux qui étaient disponibles le 12 février 2010, et les données officielles de l'Afsaaps disponibles le 23 février 2010, on se retrouve avec les résultats suivants :
    Au Québec, il y a 2.27 fois plus de décès par millions d'habitants qu'en France. On aurait dû, si le vaccin était efficace comme on nous l'a dit, voir moins de morts au Québec n'est-ce pas, puisqu'en France 'leur gestion de la pandémie a été si mauvaise' que seulement 7% ou 8% des gens ont été vaccinés.
    Et si on parle de pharmacovigilance maintenant. Avec les calculs, nous obtenons 1.7 cas d'effets secondaires graves (incluant la mort) par 100 000 doses administrées. La moyenne des cas d'effets secondaires graves pour des vaccins de la grippe saisonnière est de 1 par 100 000 doses. Bien sûr ce résultat de 1.7 par 100 000 n'est pas écrit noir sur blanc sur le site web de santé canada. On a écrit qu'il y a moins de cas graves que dans la moyenne, mais ils ont choisi de prendre les statistiques sur les DOSES DISTRIBUÉES, alors que tout le monde sait qu'on a acheté et distribué pas mal plus de vaccins que ce qui a été administré!
    Avec mes calculs de pharmacovigilance pour le pandemrix en France, c'est bien pire : 3.7 cas d'effets secondaires graves par 100 000 doses administrées. Et il n'est pas question des cas médicalement significatifs, ceux qui ont empêché les gens de fonctionner comme il faut durant un certain temps.
    10.53 effets graves ou médicalement significatifs par 100 000 personnes vaccinées. Si tout le monde avait été vacciné en France, nous aurions eu donc 6845 personnes ayant eu des effets dont l’intensité a entrainé une gêne fonctionnelle et/ou une incapacité temporaire, ou des effets graves. Et il ne s’agit pas d’une population à risque ici, au contraire un fort pourcentage des gens vaccinés en France fut du personnel de santé. Il me semble que ce n’est pas rien, 6845 Français ayant des effets secondaires graves ou médicalement significatifs à l’intérieur de seulement 3 mois après avoir reçu un vaccin contre la grippe, fussent-elle une grippe pandémique. Si toute la population du monde, presque 7 milliards, étaient atteint dans ces proportions d’une grippe ou d’effets secondaires d’un médicament, le nombre serait de : 737 000 personnes ! Beaucoup plus que le nombre de personnes qui décèdent de la grippe saisonnière à chaque année dans le monde, mais cette fois-ci, ce chiffre de 737 000 personnes n’est pas celui des groupes à risque, c’est l’ensemble de la population ! On sait que les gens qui meurent de la grippe sont en grande majorité des gens comportant des facteurs de risque.