Femmes - Le recul

Burqa interdite


Ce qu'il y a de plus frappant dans tout le débat sur le niqab, c'est précisément qu'il y ait débat. Comme si certaines valeurs que l'on croyait communes au Québec s'effritaient au profit d'un individualisme de plus en plus exacerbé. Qui donc, en ce 8 mars, s'indigne encore des symboles de soumission des femmes?
Il y a à peine plus de cinq ans — une éternité! —, le rapport Boyd sur les tribunaux islamiques était rendu public en Ontario. Applaudi par plusieurs au Canada anglais, ce rapport de Marion Boyd, ancienne ministre néodémocrate et féministe affichée, faisait la part belle à l'ouverture aux différences jusqu'à l'acceptation par l'État d'arbitrages religieux.
Le premier ministre de l'Ontario tergiversa, mais il finit par se rendre au bon sens et stopper ce projet que nous avions qualifié de délirant, ce qui n'avait alors choqué personne, car au Québec, la proposition ontarienne était unanimement dénoncée. Notre société distincte, forte n'est-ce pas de ses principes égalitaires, ne permettrait jamais de tels dérapages, et les féministes d'ici n'avaient rien à voir avec leurs consoeurs multiculturalistes du ROC prêtes à tout comprendre et justifier, de la sagesse des tribunaux religieux aux avantages pour les femmes de la polygamie.
Quelque temps plus tard, la présence des femmes dans l'espace public fut à son tour l'objet de discussions. À l'occasion d'un impressionnant procès qui vit parader, à Brampton, 17 accusés de complot terroriste, il y eut pour la première fois sur nos petits écrans des femmes d'ici qui disparaissaient complètement sous leur niqab noir, toutes semblables, interchangeables, sans identité. Le spectacle était choquant pour quiconque croit à l'égalité des sexes: nous l'avions écrit, n'avions reçu que des appuis. Mais l'Ontario était loin: tout cela, bien sûr, n'existait pas ici...
Quand il fut à nouveau question du corps des femmes, en cette même année 2006, ce fut plutôt lorsqu'un YMCA de Montréal accepta d'installer des fenêtres givrées à sa salle d'exercices pour que la communauté hassidique voisine ne puisse pas voir des femmes s'entraîner. Ce fut le tollé: il était entendu que les femmes, au Québec, n'avaient pas à avoir honte de leur corps quand elles se livrent à des activités tout à fait décentes. Sauf dans les milieux fondamentalistes, ces arguments faisaient consensus.
Depuis, le temps a passé, et l'intégrisme religieux n'a évidemment pas reculé. Mais peu à peu, le regard change. Par exemple, le voile islamique fait maintenant à ce point partie du paysage que s'interroger à son égard renvoie aujourd'hui au camp des intolérants — alors que le mot hidjab vient d'un terme arabe qui signifie cacher, dérober aux regards, et qu'il n'est pas un impératif religieux. L'analyse féministe d'ici l'a plutôt rendu acceptable.
Quant à la burqa et au niqab, le débat de janvier en France a fait affirmer qu'au Québec, le phénomène était quasi inexistant, donc qu'il ne cause aucun problème... Jusqu'à la semaine dernière, où l'on a finalement appris qu'il se trouve des femmes en niqab dans des établissements d'enseignement, et que certains s'efforcent jusqu'à l'invraisemblable de les contenter!
Depuis cette révélation, on discute. Il y a beaucoup d'indignation, certes, mais il s'en est trouvé plusieurs, dont des femmes, pour déplorer que l'étudiante en niqab ait été expulsée, ou pour ramener le niqab à un strict problème de communication ou de sécurité. Et puis, surtout, est revenu à répétition cet argument imparable: «Pourquoi interdire si ça ne me dérange pas personnellement?»
Si notre avenir, c'est de n'être qu'une addition d'individus strictement soucieux de leurs choix personnels, alors c'est le sens même de société qui nous échappe. Pour les femmes, c'est là une dangereuse dérive. Le triomphe de l'individualisme couplé au poids des traditions culturelles est pour elles, en termes symboliques pour la société, en pratique pour certaines, une prison.
Il y a eu, ici comme ailleurs, un travail collectif, très dur, très long, pour que les femmes accèdent à la Cité. L'égalité n'est pas encore acquise, ni sur le marché du travail ni dans la vie personnelle. Cette lutte ne doit pas pour autant empêcher de dénoncer les symboles. Ici, les femmes ne se cachent pas et il ne faut pas craindre de l'assumer.
Le gouvernement Charest s'est dit prêt à agir à cet égard: les services publics devront être reçus à visage découvert, a-t-il indiqué. Si cela s'avère, le Québec serait à l'avant-garde, même de la France. Jean Charest a imposé depuis longtemps la parité hommes-femmes au Conseil des ministres. Au nom de l'égalité des femmes, l'heure est venue de faire preuve de nouvelle audace.
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jboileau@ledevoir.ca


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