Financement de Kairos - Outrage aux électeurs

Droits et Démocratie - KAIROS - Développement et Paix



Trois petites lettres et puis s'en va? Pour avoir orchestré l'ajout d'un «not» manuscrit sur une décision administrative et pratiqué ensuite la contrevérité en pleine Chambre, la ministre de la Coopération internationale Bev Oda occupe désormais un siège éjectable. La seule élégance qui lui reste est la démission.
Un malheureux mais décisif petit mot de trois lettres. Ajouté à la main sur un document officiel, le mot «not» a changé une permission de financement destinée à l'organisme Kairos en un refus. L'impair instrumenté par la ministre Bev Oda, de son propre aveu cette semaine, lui était pourtant totalement inconnu, avait-elle d'abord juré en décembre 2010 devant un comité parlementaire.
Le non-financement de Kairos se sera échafaudé sur une succession de demi-vérités. Quand on apprit l'arrêt du financement en décembre 2009, le ministre Jason Kenney avait lié la fin de ce soutien à des positions trop critiques envers Israël émises par Kairos. Mme Oda s'était empressée ensuite d'affirmer plutôt que c'était l'absence de concordance entre les objectifs de l'Agence canadienne de développement international (ACDI), responsable de l'octroi des subventions, et ceux de Kairos qui expliquait le choix du gouvernement.
La vérité était tout autre, comme permit de le comprendre la Loi sur l'accès à l'information: l'ACDI recommandait de maintenir le financement et même de le majorer. Mme Oda, qui avait elle-même signé le document, expliqua aux parlementaires qu'elle ne savait pas par-qui-par-quoi-comment le feu était passé du vert au rouge. Son équipe s'excusa d'avoir défendu une version selon laquelle les fonctionnaires de l'ACDI avaient prôné la fin du financement de Kairos.
La ministre exprima ses regrets cette semaine pour la «confusion» causée par la saga et lâcha le morceau. La décision de «not» financer Kairos? C'était la sienne. Avec raison, la Chambre retint son souffle après cet aveu. La pratique de la demi-vérité a beau être rituelle en politique, il est rare qu'on en fasse une confession. L'art du mensonge est justement de le maquiller.
Le premier ministre Stephen Harper, exaspérant dans son rôle de gardien de l'indéfendable, voudrait bien que l'on ne retienne de cette affaire que sa conclusion; que «dans une démocratie c'est une ministre élue qui prend les décisions». S'il avance sur le terrain de la démocratie, nombreux seront ceux qui lui rappelleront que ses règles ne font place ni au mensonge ni non plus à la dénaturation de documents.
Acteurs principaux de la démocratie, les électeurs assistent à ce théâtre de l'invraisemblable où un premier ministre autorise la tromperie dans sa propre assemblée, pourvu qu'on la masque en une confusion passagère.
Cela n'a rien de passager. Le mensonge est la lamentable nourrice du monde politique, quoi qu'il en dise. Pour nous le rappeler, chaque semaine apporte son scandale. Leur multiplication nous entraîne dans une insidieuse banalisation. Un autre? Encore? Bof. Dans son rapport, le commissaire Bastarache n'a-t-il pas noté qu'au sujet de la prétendue rencontre du 2 septembre 2003 entre le premier ministre Jean Charest et l'ex-ministre de la Justice Marc Bellemare, il lui fut impossible de savoir qui disait vrai, la preuve présentée par les deux adversaires étant «entièrement contradictoire»? Qui est le menteur?
Vérité et politique ne font sans doute pas le meilleur des ménages, mais cela ne justifie pas qu'on laisse passer les errements lorsqu'on les repère. Nul besoin d'attendre de savoir si un outrage au Parlement fut commis pour comprendre que Mme Bev Oda n'a plus qu'un geste honorable à poser: renoncer à ses fonctions de ministre.


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