Robert Lacroix n’a pas aimé mon livre. Il semble ne lui reconnaître aucun mérite. Et pourtant, dans sa réponse, il confirme l’essentiel de ce que j’avance. Je passe sur la caricature ad hominem dont il semble avoir besoin pour se conforter dans ses positions. Je préfère faire porter le débat sur le fond.
Il faut être lucide
Comme lui, je voudrais placer le savoir au-dessus de la politique. Mais contrairement à lui, j’estime que la vigilance commande de ne pas être dupe lorsque la politique s’empare du savoir. Or, c’est très exactement ce qui s’est produit lorsque le Gouvernement fédéral a choisi de se servir du financement de l’éducation postsecondaire pour s’assurer d’une plus grande visibilité et d’une plus grande mainmise dans l’éducation supérieure au Canada. Dans mon ouvrage, je reproche au gouvernement fédéral de ne pas avoir profité du rétablissement de l’équilibre budgétaire pour rétablir les transferts à la hauteur où ils étaient en 1994, une fois que les surplus sont réapparus. Les sommes n’ont pas été réinvesties sous la forme de transferts mais bien plutôt sous la forme de paiements directs aux étudiants, professeurs, chercheurs et centres, ce qui répondait à des impératifs politiques. Or, ce détournement de fonds est à l’origine de la crise que nous vivons, car les transferts servent à financer le fonds de fonctionnement des universités.
Ailleurs au pays, les administrations universitaires ont réagi en faisant porter le fardeau du financement de l’éducation supérieure sur le dos des étudiants, contribuant ainsi à un endettement privé toujours de plus en plus grand. Au Québec, selon M. Lacroix, nous avons eu le malheur de réagir autrement. Le modèle québécois n’est pour lui qu’un résidu de l’époque duplessiste, une trace malheureuse de la société distincte, et il propose depuis quelques années de laminer ces différences en haussant les droits de scolarité pour que ceux-ci rejoignent en cinq ans la moyenne canadienne. Autrement dit, face à l’incurie fédérale, il faudrait réagir en visant les étudiants. Il s’agirait pourtant d’une hausse bien plus importante que celle qui fut à l’origine du printemps érable. On imagine le chaos dans lequel la solution de M. Lacroix aurait plongé le Québec.
Le problème demeure
Contrairement à ce qu’il laisse entendre, le gouvernement fédéral n’a jamais corrigé la situation. Le rétablissement des transferts n’est jamais survenu. Une somme de 800 millions fut effectivement réinjectée à l’échelle du pays entier, mais cela représentait moins de 200 millions pour le Québec, alors que plusieurs évaluent le manque à gagner actuel du Québec à 800 millions. Le gouvernement Charest aurait effectivement dû prendre le milliard additionnel accordé par le Gouvernement Harper pour l’investir dans l’éducation supérieure. Mais cela n’enlève rien à la responsabilité du gouvernement fédéral et au détournement de fonds effectué à des fins politiques.
Plusieurs autres causes
Dans mon livre, je reconnais qu’il existe bel et bien un sous-financement du fonds de fonctionnement des institutions québécoises, mais l’origine du problème s’explique en partie par le mauvais financement du gouvernement fédéral. Bien évidemment, le gouvernement fédéral n’est pas le seul à blâmer et, dans mon ouvrage, j’identifie plusieurs autres causes. Il existe une dérive immobilière qui participe d’une dérive plus large dans les dépenses d’infrastructure que la firme SECOR a bien documenté dans son rapport de novembre 2012. L’étude de la Fédération québécoise des professeurs et professeures d’université montre pour sa part que les sommes toujours de plus en plus réduites au chapitre des infrastructures universitaires québécoises accordées par le Gouvernement du Québec ont forcé les administrations universitaires à utiliser leur fonds de fonctionnement pour financer les dépenses d’immobilisation.
Il ne faut pas oublier que le financement de l’enseignement supérieur est globalement supérieur au Québec que partout ailleurs au Canada, tant en ce qui concerne la proportion du PIB consacrée à l’éducation supérieure que le financement par étudiant. La raison est peut-être à rechercher du côté de la dérive immobilière qui contribue à faire croître les sommes consacrées aux immobilisations, aux dépens de l’éducation.
À cela il faut ajouter les contrats de performance et le financement par étudiant qui a engendré une course folle à la «clientèle étudiante», donné lieu à la prolifération des campus satellites et à des dépenses atteignant 80 millions de dollars consacrées à la publicité dans les cinq dernières années. Il y a aussi eu une augmentation de 150% en dix ans dans la masse salariale des administrations universitaires québécoises. La situation financière difficile dans laquelle se trouve les universités a donc de multiples causes, mais chose certaine, on ne voit pas pourquoi l’incurie dans la gestion et le financement institutionnel de nos universités devrait être assumée par les étudiants.
Le rôle de M. Lacroix
M. Lacroix a joué un rôle actif dans la création des bourses du millénaire et des chaires du Canada. Dans mon ouvrage, je prétends que cela ne provenait pas d’une demande incessante du milieu universitaire. M. Lacroix me contredit en affirmant que c’est lui qui a demandé que soit instauré le programme de chaires du Canada ! Je suis donc réfuté, car une personne les a demandés ! Mais fallait-il absolument implanter un tel programme pour répondre aux attentes d’une seule personne? Je n’ai pour ma part rien contre un tel programme en principe et, à ma connaissance, les collègues qui en ont bénéficié en ont tous fait un très bon usage. Ce qui m’ennuie, c’est que cet argent pour les chaires ait été de l’argent en moins au chapitre des transferts aux provinces.
Un argument politique
Les recteurs s’entendaient tous en 2006 pour dénoncer la responsabilité du gouvernement fédéral dans le sous-financement du fonds de fonctionnement. Mais depuis que les étudiants constituent une cible privilégiée, on n’entend plus souvent parler de cette cause originelle. La critique du gouvernement fédéral n’est plus à la mode. M. Lacroix m’accuse de profiter de cet enjeu pour servir la cause de la souveraineté du Québec, et ce bien que je ne développe pas vraiment cet argument dans mon livre. Quiconque me lira pourra constater que la question nationale n’est pas omniprésente dans mon argument. Ce qui me préoccupe et m’inquiète dans cet ouvrage, c’est le sort de nos universités. Je soumets que la stratégie qui consiste à se servir d’un argument visant mon allégeance politique pour discréditer mon propos au sujet de l’université est lui-même politique et n’a rien à voir avec l’amour du savoir.
Financement universitaire: ne pas occulter la responsabilité du gouvernement fédéral
Le carcan fédéral en éducation
Michel Seymour25 articles
Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à ...
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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.
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