« L'erreur stratégique ne résulte pas d'une erreur de calcul, mais d'une absence de calcul. »
(Bernard Schnetzler, Les erreurs stratégiques du IIIème Reich, éd. Economica)
A tout observateur prenant le recul de l'Histoire, la dislocation de la Belgique apparaît inéluctable. Non pas que cette perspective doive effrayer ni chagriner les Français, au contraire, mais il convient de se préparer à l'événement en prenant quelques précautions.
Il n'est pas non plus besoin de croire à une volonté extérieure consciente de dissocier le pays, dans un contexte difficilement maîtrisable où les conflits locaux menacent à tout moment de dégénérer de manière imprévisible.
Nous ne reprendrons pas ici l'exposé, que nous avons fait dans d'autres articles, du caractère artificiel de cet objet politique qu'est la Belgique, qui n'est pas une Nation, mais une machination, créée à l'initiative de l'Angleterre, mais qui est un Etat, même si, de l'aveu même du Conseil de l'Europe, il ne respecte pas, sous certains aspects essentiels, les droits de l'Homme les plus élémentaires (non-nomination de bourgmestres élus, irrégularités électorales, etc ...).
Il convient tout d'abord de remarquer que la France, après Waterloo, a joué le jeu imposé par d'autres, laissant même – à quel prix ! - l'initiative militaire à l'Allemagne, campant sur une frontière rendue à dessein indéfendable, puis acquiesçant à divers regroupements « européens », à commencer par le « Benelux ».
De la même façon, le caractère francophone de la région de Bruxelles (à 93 % dans la « Région capitale ») n'est en aucune manière dû à l'initiative française, ni d'ailleurs wallonne, dans le gouvernement d'une ville qui, à proprement parler, n'est historiquement ni flamande, ni wallonne, mais en réalité « bourguignonne ».
Nous constatons aujourd'hui que la Belgique n'a plus de gouvernement depuis trois ans, et que les actuelles élections ne devraient pas permettre de dégager une solution pour résoudre les problèmes fondamentaux qui se posent au pays.
La Flandre, de façon de plus en plus majoritaire, veut son indépendance, n'ayant retardé l'ultime étape que pour « désosser » l'Etat belge, profiter aussi longtemps que possible de la « marque déposée » Belgique, et s'efforcer par tous les moyens de circonvenir le fait français à Bruxelles.
Dans ce but, toute mesquinerie est bonne à prendre, qu'il s'agisse du « wooncode » où les candidats au logement sont soumis à enquête préalable, afin de déterminer, non seulement s'ils savent le néerlandais, mais s'ils sont suffisamment « vlaams voelend » et quelles sont leurs fréquentations ... ou qu'il s'agisse des restrictions routières sur les accès à Bruxelles, des interdictions de parler français dans la rue ou dans les cours de récréation, de la non assistance à personnes en danger non néerlandophones, etc. Les frères Van Rompuy sont passés maîtres dans cette politique de harcèlement.
Face à cette offensive de plus en plus soutenue, les politiciens francophones n'ont jamais su opposer une stratégie cohérente, se réfugiant dans un « belgicanisme » de principe – de plus en plus dépourvu de fondement dès lors que la majorité de la population ne se définit que comme « flamande » et appuie des partis qui exigent une « réforme de l'Etat » menant à ce que les observateurs décrivent comme son « évaporation ».
Si la Wallonie semble aujourd'hui économiquement à la traîne, c'est que le régime belge a depuis plus d'un demi-siècle favorisé la Flandre, et à cet égard, une sortie d'élections paradoxale, offrant le poste de Premier ministre à un Wallon, ne serait qu'une « solution » cache-misère accentuant la dépendance de Francophones atteints d'un véritable « syndrome de Stockholm ».
Le temps ainsi « gagné » serait en réalité perdu, car ouvert aux manoeuvres flamandes autour de Bruxelles. Car les enjeux sont clairs : dépendance prolongée d'une région francophone stratégique, et risque d'asphyxie, et, à terme, de basculement, d'une des grandes métropoles de langue française du monde.
La classe politique belge francophone, pléthorique et peu soumise à l'alternance, se raccroche à une Belgique de plus en plus fantomatique, et ne fait que retarder les échéances. Et si les électeurs hésitent encore à voter directement « rattachiste », cette option est dans tous les esprits, alors même qu'existe un danger de capitulation, sur des points fondamentaux, de la part de certains (« Encore un instant, Monsieur le bourreau ... »).
Car chacun sait, en réalité, qu'une Wallonie indépendante ne serait pas viable ; en outre, il est tout à fait envisageable que les Bruxellois se rallient à une solution française, par peur de se trouver à la remorque d'une Wallonie « rouge ».
Face à cette situation, où les problèmes de tous ordres (sécurité sociale, financement de Bruxelles, affaires diverses comme celle du Jardin botanique de Meise ... ) risquent à tout moment de transformer un pourrissement en débandade, quelle doit être la politique de la France, sinon celle qui fut énoncée, en son temps, par le général De Gaulle ?
1) « Non ingérence – non indifférence ». S'il ne peut être question d'interférer dans la politique d'un Etat souverain, il existe des moyens de faire savoir officieusement aux autorités flamandes qu'il y a des limites à ne pas franchir dans le mépris des droits des Francophones. Les moyens de pression franco-wallons ne manquent pas ; citons en particulier la maîtrise des ressources hydrauliques ou d'éventuelles restrictions d'accès au tunnel sous la Manche pour les transporteurs flamands ...
2) La scission de la Belgique comportera inévitablement une période de transition, tout d'abord belgo-belge, puis, le divorce acquis, des négociations avec la France. Si donc cette dernière, tout en se préparant, doit attendre l'acte officiel de décès de la Belgique pour agir, elle doit pouvoir faire sentir son poids dès que possible, afin que les Francophones ne soient pas lésés, et qu'elle puisse obtenir des frontières acceptables autour de Bruxelles.
3) Le point de départ de l'ouverture officielle de l'action diplomatique française sera celui d'une demande d'autorités wallonnes et bruxelloises représentatives, à laquelle il serait impensable de ne pas répondre, l'enjeu étant d'une tout autre importance que celui, par exemple, de Mayotte.
Les autorités françaises doivent être bien conscientes qu'une abstention persistante, ou qu'une capitulation annoncée à l'avance, ne réglerait pas la question – puisque le renoncement forcé depuis Waterloo ne l'a pas fait disparaître. Outre qu'une telle attitude porterait atteinte au prestige et aux intérêts de la France dans le monde, elle entraînerait plusieurs inconvénients graves :
Elle vaudrait acquiescement à la politique de « nettoyage ethnique » anti-francophone pratiquée par la Flandre, premier précédent désastreux ;
Elle semblerait justifier, en cas de résignation à la création d'une « mini-Belgique » sans la Flandre, une politique d' « Europe des régions » à base ethnique : pourquoi pas, à ce compte, une Savoie ou une Corse indépendantes ? Car c'est bien dans ce cas, artificiellement créé, qu'un précédent fâcheux serait institué, alors que personne, ni en France, ni ailleurs, ne fait cet amalgame, et que le récent référendum en Corse a bien montré où se situe la volonté du peuple.
En outre, un tel mini-Etat, anti-français par nature, puisque constamment obligé de justifier sa non-francité, réelle ou supposée, ne serait qu'un jouet entre les mains des Anglo-Saxons et des Allemands, otage d'un groupe de banques et vulnérable aux dérives maffieuses ...
La France abandonnerait à son sort l'agglomération de Bruxelles, soit l'une des principales métropoles de langue française au monde, qui serait alors vouée à la minorisation, au morcellement et à l'anglicisation – et cela, au moment même où l'Empire anglo-saxon voit apparaître des rivaux qui, eux, ne renoncent pas à priori à défendre leurs intérêts.
Beaucoup de scénarios circulent – leur caractère commun étant celui de « TSF » : Tout Sauf Français ... Ils font bon marché de la permanence d'un sentiment national français qui n'est que sous-jacent en Francophonie belge, mais qui ressurgira face à l'agressivité flamande, dès lors qu'il sera avéré pour tous que la Belgique, en dépit de sa réussite industrielle du XIXème siècle, n'a plus d'avenir.
Il convient à ce propos d'éviter toute assimilation hâtive avec des épiphénomènes tels que celui de la Ligue du Nord italienne : l'Histoire montre qu'une plus ou moins grande richesse comparée n'est en aucun cas le facteur premier, ni déterminant, du sentiment national. La réunification allemande, à laquelle on peut comparer la réunion de la Wallonie à la France, en est un éclatant exemple. A ce propos, on peut s'étonner des réticences de certains milieux « souverainistes » en France, et rappeler que ce n'est pas la France qui est à l'origine du problème, et que celui-ci peut se résoudre pacifiquement, à l'image de la scission tchécoslovaque.
Les Wallons et les Bruxellois auraient tout intérêt à se libérer, enfin, de la tutelle flamande, et à pouvoir déployer leur énergie (qui les avait propulsés, un temps, au rang de quatrième puissance industrielle du monde) dans un cadre plus vaste. La France verrait sa population passer à quelque 70 millions d'habitants, au moment où celle de l'Allemagne descend au-dessous de 80 millions.
Et surtout, elle serait davantage présente en Europe du Nord, incontournable face à une stratégie adverse qui prétendrait utiliser la fameuse « banane bleue » contre elle. Elle pourrait enfin tirer pleinement parti de sa position géostratégique, et, ceci favorisant une plus grande lucidité, tourner ses yeux vers le « grand large ».
Rappelons que l'existence même de la « Belgique », création de l'Angleterre et de la Sainte-Alliance, a exposé pendant plus d'un siècle – jusqu'à l'avènement de l'arme nucléaire – la France au double chantage permanent d'un Sedan doublé d'un Trafalgar, et a, dans les faits, subordonné la diplomatie française à celle des Anglo-Saxons ... Nous avons montré ailleurs l'importance cruciale de cette situation dans les deux Guerres mondiales.
Le cas de Bruxelles, agglomération qui jouxte la Wallonie, mais qui reste aujourd'hui corsetée dans des limites étroites, imposées, sans consultation populaire, dans les années 1962-63, est le plus délicat à résoudre. Il paraît impensable d'imposer des frontières internationales sans référendum. Il convient de distinguer :
1) La région bruxelloise, regroupant 19 communes ;
2) Les 6 communes « à facilités », qui bénéficient d'un régime linguistique différent de celui du reste de la Flandre, ce régime, contrairement aux allégations flamandes, n'ayant aucun caractère provisoire, et permettant à la population de vivre et d'être administrée en français ;
3) L'arrondissement dit « BHV » (Bruxelles-Hal-Vilvorde), dans lequel les habitants ont le droit de voter pour des listes francophones et d'être jugés en français.
Il convient de noter qu'au-delà des 19 + 6 communes, certains quartiers ou anciennes communes sont à dominance francophone, en dépit de fusions communales imposées par la Flandre.
C'est donc dans l'ensemble de cette agglomération, ainsi que dans divers secteurs de la frontière linguistique (comme les Fourons) que la population doit être consultée.
Il convient d'insister sur le caractère crucial de ce district BHV, dont l'existence permet d'affirmer que les limites administratives ne sont pas univoques en Belgique, et ne justifient juridiquement en aucune manière une transformation automatique en frontières d'Etat en application du principe « Uti possidetis ».
Sur le plan concret, il serait enfin de la dernière maladresse de créer ex nihilo un nouveau « Territoire de Dantzig » dont le destin serait soumis à un chaos prévisible, sinon voulu par certains. La continuité territoriale entre Bruxelles et la Wallonie est donc indispensable. Elle correspond à une géographie humaine qui est ici francophone, et la Flandre devra céder sur ce point.
Au surplus, la forêt de Soignes permettrait d'assurer une base solide à la continuité territoriale nécessaire à la vie d'une grande métropole. Il va de soi que la minorité néerlandophone qui serait ainsi incluse pourrait bénéficier, sur une base de réciprocité, de droits linguistiques particuliers, de même, d'ailleurs, que la minorité francophone dans les autres régions de Flandre – ce qui n'est pas le cas actuellement (par exemple à Gand et à Anvers).
Des manoeuvres de diversion pourraient être entreprises pour ériger Bruxelles en « territoire fédéral européen » ... Le moins qu'on puisse dire, c'est que les institutions européennes n'ont pas démontré leur aptitude à gérer un territoire, et que cette solution n'aboutirait qu'à un déni de justice, et de représentation, pour les Bruxellois francophones, avec un risque « collatéral » d'anglicisation et de chaos administratif.
La France n'a aucun intérêt à laisser pourrir la situation, ni à favoriser l'apparition d'un Etat croupion, qui ne pourrait être qu'utilisé contre elle, comme l'ont été, au cours des siècles, la Lotharingie, puis la « Bourgogne » ... jusqu'aux projets incongrus du président Roosevelt à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ...
L'essentiel étant, et devant rester, ceci : La France, qui n'est en aucune manière responsable de la situation, n'est demandeuse que d'une chose, à savoir que soit respecté le choix des populations. Cette position, qui fut celle d'Ernest Renan, puis du général De Gaulle, n'est en rien assimilable à l'imposition d'une caractérisation qui serait une prédestination de nature ethnique, mais elle respecte les fondements politiques de notre République. S'ils veulent redevenir Français, les Wallons et les Bruxellois, qui le furent sous la Révolution, qui participèrent à la Fête de la Fédération, ont le droit strict de le manifester, de même que les Flamands ont le droit de constituer, s'ils le veulent, un Etat indépendant. Mais le respect de la souveraineté populaire implique obligatoirement la consultation des électeurs par référendum.
Denis GRIESMAR
Juin 2010.
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ADDENDUM
Chers Amis,
Je ne puis être d'accord avec le message récemment reçu, impliquant un automatisme entre la dissociation de la Belgique et des menaces sur l'unité française, qui, sous cette forme, n'existent que dans l'imagination de l'auteur.
Il est pour le moins curieux que ce soient les défenseurs de la souveraineté nationale et populaire, fussent-ils de gauche, qui le propagent, à la manière d'un incendiaire criant au feu !
Il faut analyser les faits, et se poser quelques questions fondamentales :
Comment peut-on croire que la dissociation d'une construction artificielle ailleurs puisse déclencher automatiquement la fin de l'unité française ?
Comment peut-on à ce point manquer de confiance en son pays ?
Croire que la Corse, la Savoie, l'Alsace, etc., n'attendent qu'une occasion pour se détacher du reste de la France ?
Croire que les déboires de petits arrangements entre amis impériaux auraient le pouvoir de détruire, sans coup férir, la lente construction, justement et précisément politique et non ethnique, de l'unité française ?
Non pas que les menaces n'existent pas. Non pas que l'empire et ses avatars, l' "Europe" en particulier, ne souhaitent avoir affaire à un ramassis de régions esseulées et éplorées, manipulables au gré de la finance transnationale ?
Certes, non !
Mais enfin, on peut trouver curieuse cette frilosité absolue, cette peur panique de faire droit à ce qui ne serait que l'expression d'une volonté populaire, face aux abus de la Flandre au sein d'un ensemble qui n'a jamais été qu'un collage, qu'un bricolage artificiel préfigurant, justement, l' "Europe" !
La situation belge est entièrement différente de celle de l'Italie du Nord, par exemple : ce ne sont pas les différentiels de richesse qui créent, ou qui sont le substrat fondamental, du sentiment national !
La réalité est que l'Angleterre, et la Sainte-Alliance, ont fait fi, après Waterloo, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et que la situation actuelle de la "Belgique" en découle : il faut savoir prendre en compte l'Histoire et le temps long.
Il n'y a pas de Belges. Il n'y a pas de nation belge. Et cela est vrai dès le début.
La dissociation de la "Belgique" n'est pas celle d'une nation, mais le retour du refoulé de deux nations retenues dans ce qui n'est, au-delà d'apparences bonasses, mais trompeuses, qu'une petite "prison des peuples".
(Imagine-t-on les Champenois ne pas vouloir payer la Sécurité Sociale des Auvergnats, ou l'inverse ? )
Sur le reste : sortir de l'UE, revenir au programme du CNR, d'accord !
Mais la situation de la Wallonie n'est due qu'à un accident de l'Histoire, qui peut être réparé sans agresser personne, de même que la réunification de l'Allemagne. Encore faut-il connaître l'Histoire, et ne pas se contenter d'appliquer un schéma trop sommaire ...
Ne pas être naïfs, certes. Tenir compte des rapports de force, oui.
Mais les peuples ont une Histoire.
Denis GRIESMAR
Juin 2010.
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