Allocution du président de l'Industrielle Alliance

Gare à la colère populaire

M. Charest n'avait vraiment pas de compliments à faire à l'ensemble de la communauté des affaires, particulièrement celles des États-Unis et de Grande-Bretagne.

«Les indignés» dans le monde

Yvon Charest, président et chef de la direction d'Industrielle Alliance, invite la communauté des affaires à mettre rapidement en place des solutions à la crise, sinon la colère de la population amènera des solutions que les gouvernements imposeront, mais il reconnaît aussi que, jusqu'à maintenant, cette population a fait preuve de bon jugement dans ses mouvements de colère.
M. Charest, qui dirige une institution financière parmi les plus respectées au Canada, a prononcé hier devant le Cercle canadien de Montréal une allocution magistrale sur cette crise qui secoue l'économie mondiale. Il l'a décortiquée sous presque toutes ses coutures, a montré du doigt ses «excès» et ses «défaillances» de mécanisme d'autorégulation. Il a aussi dit qu'il demeurait optimiste pour une sortie rapide de la crise, tout en prévenant que l'on subira une économie languissante à moyen terme. Pour ce qui est de l'industrie de l'assurance de personnes au Canada, il soutient qu'elle «est dans l'ensemble solide et continue d'être bien capitalisée». Dans le cas de l'Industrielle Alliance en particulier, diverses mesures préventives ont été ajoutées à celles déjà en place. Mais il y a une chose qui ne change pas, et c'est le budget des dons. «Si les plus démunis ont besoin de notre aide, c'est aujourd'hui», a-t-il souligné.
La crise des baby-boomers
M. Charest n'avait vraiment pas de compliments à faire à l'ensemble de la communauté des affaires, particulièrement celles des États-Unis et de Grande-Bretagne. Toutefois, son propos hier ne visait personne en particulier, mais un peu tout le monde. «Cette crise a été construite de main d'homme. En fait, c'est la crise de notre génération, de nos façons de concevoir et de gérer l'économie. C'est la crise des politiques publiques que nous avons contribué à mettre en place et que nous appuyons depuis 10,15, 20 ans. C'est la crise de nos inventions financières. C'est, si je peux dire, la crise des baby-boomers. Le blâme pour cette crise, on doit l'assumer collectivement», a soutenu le conférencier.
Il trouve tout de même «frappant que cette crise ait été, jusqu'à un certain point, imprévisible». Personne ne l'a vue venir, même pas Alan Greenspan. «En fait, on vivait tellement sur un nuage que l'on pensait que les autorités monétaires avaient réussi à si bien gérer l'économie que les crises de ce genre ne pouvaient plus se produire. C'est la grande désillusion qu'on vit aujourd'hui», a-t-il poursuivi.
M. Charest a été particulièrement frappé par la réaction de la population à certains événements. «Quand j'ai vu la colère de la population aux primes versées aux dirigeants de AIG, j'ai réalisé tout le pouvoir de la population. En temps de crise, j'ai l'impression que la colère de la population est un puissant moteur d'action pour les gouvernements. Mais on sait que la colère est mauvaise conseillère. Si l'on ne veut pas que la population, par sa colère, nous impose des solutions, mieux vaut mettre en place nous-mêmes les solutions. Et le plus tôt sera le mieux», a conclu le conférencier. Celui-ci a d'ailleurs constaté «cette pression populaire au Canada, qui a forcé en décembre dernier le gouvernement Harper à reculer rapidement
après avoir déposé un budget qui niait, en quelque sorte, la gravité de la crise». En somme, jusqu'à maintenant, la population a fait preuve de «bon jugement», reconnaît-il
Cette crise qui a de multiples facettes (immobilier, finance, économie, mondialisation) s'est transformée pour devenir une crise de valeurs. C'est aussi une crise des excès: des taux d'intérêt trop bas qui donnent un rendement réel après impôts négatif pour un certificat de placement garanti à court et moyen terme, bref des taux qui n'incitent pas à l'épargne, mais plutôt à la dépense et à des placements plus risqués sur les marchés boursiers. Excès de déréglementation dans le secteur financier, par exemple dans la titrisation en dehors de tout cadre réglementaire.
Comparer la rémunération des dirigeants avec celle des employés
Il y a eu aussi excès dans la rémunération des cadres. Dans plusieurs cas, affirme M. Charest, «la rémunération est tout simplement excessive au point de soulever l'indignation populaire»; en plus, elle n'est pas toujours reliée au risque: si la performance est bonne, les dirigeants reçoivent une prime bien méritée, si elle ne l'est pas, le conseil leur accorde une généreuse indemnité de séparation. Jusqu'à maintenant, on a comparé la rémunération des dirigeants avec leurs pairs dans d'autres entreprises. Mais, il faut aussi tenir compte de «l'équité interne», en comparant les salaires des dirigeants avec ceux de leurs employés, «sinon on en arrive à des écarts qui sont difficiles à justifier», déplore le président de cette compagnie d'assurances.
M. Charest n'est pas d'accord avec ceux qui prétendent que l'économie s'autoréglemente: «On constate que sans réglementation appropriée, le système de libre marché ne tend pas toujours vers l'équilibre de lui-même, rapidement et de manière harmonieuse. Des déséquilibres importants peuvent durer longtemps. En fait, le système est à ce point créatif et entrepreneurial qu'il pousse continuellement les frontières du possible. Ce constat signifie qu'il doit y avoir un contrepoids à l'intérêt particulier des entreprises. C'est pourquoi nous avons besoin de gouvernements qui voient à l'intérêt général par des lois et règlements.»
À l'avenir, selon lui, il faut absolument dans l'industrie canadienne de l'assurance une action concertée des gouvernements dans la surveillance des institutions financières. «On essaie d'empêcher les virus d'entrer dans un pays en inspectant la viande, le fromage et les fruits. On devrait aussi inspecter les institutions financières.» M. Charest propose aussi une réglementation pour toutes les activités financières, avoir des exigences de capital plus sévères et des exigences de capital anticycliques. En revanche, il ne pense pas que les nouvelles normes comptables internationales soient un pas en avant. Il y voit des normes incompréhensibles, mais l'Institut canadien des comptables agréés ne veut pas reculer et sa décision est sans appel. En somme, «cela démontre qu'il n'y a pas de solution aux produits financiers complexes».
Sur un plan plus personnel, il a démenti une rumeur voulant qu'il ait été pressenti pour devenir président de la Caisse de dépôt et placement du Québec. À LCN, il a dit que M. Sabia pourrait réussir en s'entourant d'une bonne équipe qu'il saura bien motiver.


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