Hommage à François Schirm

Tribune libre


François Schirm (1932-2014)

Quand tu sortiras de prison
Personne voudra savoir ton nom
Bozo-les-culottes
Quand on est d’la race des pionniers
On est fait pour être oublié
Bozo-les-culottes

Paroles et musique de Raymond Lévesque
1967

Le 21 mai 1932, Rosa, née Hiftwagner et épouse de János Schirm, donne naissance, en le petit village d’Ortaháza sis en Hongrie tout près de la frontière qui sépare ce pays de la Slovénie et de la Croatie, à un garçon que l’on prénomme Ferenc, Joseph.
Le 21 mai 1965, à Montréal, le juge André Sabourin condamne François Schirm à la peine de mort par pendaison, l’exécution étant prévue pour le 22 octobre suivant.

Que s’est-il passé pendant les trente-trois années qui séparent ces deux dates?
À dix-huit ans, le jeune Ferenc (« yeux marrons, cheveux châtains, nez rectiligne, visage oval, taille d’un mètre 81, cicatrice au sein gauche, naevi au visage, pieds plats ») s’est engagé dans la Légion étrangère, cette « troupe combattante interarmes encadrée par des officiers français » et « composée de sous-officiers et de militaires du rang servant à titre étranger. Tous sont liés au service par un contrat d'engagement : ils souscrivent le premier en qualité de simple légionnaire . »

Engagé volontaire pour cinq ans à l’Intendance militaire de Marseille, il est sur-le-champ (1950) affecté à l’Algérie, où les forces nationalistes bouillonnent et bravent vaillamment les arrestations massives opérées par les Français.

Mais le 28 janvier 1951, il ne répond pas à l’appel du soir. Les recherches sont lancées et la gendarmerie de Blandan finit par lui mettre la main dessus ; on l’incorpore aux locaux disciplinaires de Bône (ville algérienne située près de la frontière tunisienne) dont il s’évade trois semaines plus tard pour se présenter de lui-même à la gendarmerie de Tunis, laquelle le restitue à son Corps à la fin mars. Affecté au régiment d’Extrême-Orient en juillet, il se retrouve dans les premiers jours de septembre à Saïgon (aujourd’hui Hô-Chi-Minh-ville), où la guerre d’Indochine française bat son plein. Nommé l’année suivante « à l’emploi de 2e classe, rapatrié par anticipation », il regagne la métropole en 1953 à partir de Haïphong, importante ville portuaire de ce l’on appelait alors le Tonkin et qui deviendra le Vietnam. Renvoyé à nouveau en Algérie, où il accède au grade de caporal-chef au début de l’année 1954, il rengage pour un an et repart pour Haïphong. Il se voit alors rétrogradé au stade de simple caporal à compter de juin 1955 (le rapport consulté ne s’en explique pas). Rapatrié en Afrique du Nord, affecté à l’Escadron de reconnaissance et nommé au grade de sergent, il est, à la fin de cette même année, déclaré libérable dans l’année qui suit.

Il quitte la Légion le 1er décembre 1956, nanti d’un certificat de bonne conduite qui l’autorise à se rengager avec le grade de sergent. Et d’une citation à l’ordre de la brigade. Et de trois décorations : Croix de Guerre des TOE (Territoires d’opérations extérieures – en l’occurrence Afrique du Nord et Indochine) avec étoile de bronze, Médaille coloniale avec agrafe E.O. (Extrême-Orient), Médaille commémorative de la campagne d’Indochine. Il n’aura, de toute sa carrière de légionnaire, jamais reçu aucune blessure .

Après un an passé en France, Ferenc Schirm émigre en 1957 au Québec. Il y devient François Schirm. Rapidement porté par ses sentiments nationalistes et par l’horreur des guerres coloniales qui lui est restée de son expérience de légionnaire, il prend contact avec un mouvement fondé en 1960 afin de promouvoir l’idée d’indépendance : le RIN (Rassemblement pour l’indépendance nationale). Rapidement se dessine au sein de ce mouvement de citoyens une tendance radicale qui donne naissance à des branches armées, parmi lesquelles l’Armée révolutionnaire du Québec, fondée par Pierre Tousignant, Gilles Turcot et François Schirm – trois anciens militaires. Ce dernier, dit le Général, domine manifestement par sa personnalité, par son ascendant. Tous aiment à se retrouver au Cochon Borgne, à la fois café et boîte à chansons, sur la rue Sainte-Catherine, là où Raymond Lévesque vient de créer son fameux « Bozo-les-culottes », une chanson écrite en hommage au FLQ .

Pour obtenir les munitions indispensables à toute entreprise guerrière, le Général organise un coup de main sur le magasin International Firearms, une armurerie sise rue Bleury. Il s’est assuré la participation de Cyriaque Delisle, Edmond Guénette, Marcel Tardif et Gilles Brunet. Et le 29 août 1964, le groupe passe à l’action – laquelle tourne vite à la catastrophe : un employé a repéré des policiers qui patrouillaient aux alentours, il les a alertés, des coups de feu sont échangés, et dans la confusion générale deux personnes y laissent leur vie : le commis Alfred Pinish, tué par erreur par la police, et le gérant, Leslie McWilliams, abattu par un des membres de l’ARQ dont il s’était approché plus qu’il n’aurait fallu. Schirm, blessé à la cuisse, est appréhendé, de même que Brunet, Tardif et Delisle; Guénette réussit à s’échapper mais sera repris trois jours plus tard : il s’était réfugié au camp d’entraînement qu’avait fondé Schirm en Mauricie, près de Saint-Boniface.

Schirm et Guénette devaient comparaître à titre de co-accusés devant la Cour supérieure du Québec (soit 1 juge et 12 jurés). Comme ils étaient sans un sou, un avocat commis d’office leur fut affecté, que Schirm refusa : « La Couronne m’a bien offert un avocat, mais la Couronne, c’est la Couronne britannique, donc mon ennemie, et je ne peux en accepter nulle faveur. » Me Gilles Juteau ne se trouva donc défendre que le jeune (20 ans) Edmond Guénette. Il me contacta, je ne sais toujours pas pourquoi – nous ne nous connaissions pas. Est-ce parce que j’étais professeur au département de Sociologie de l’Université de Montréal ? Il voulait présenter à la Cour une expertise sociologique de la personne et des actes d’E. Guénette dans le but de démontrer que les faits incriminés relevaient du politique et non du droit commun; que par conséquent la sanction ne saurait être celle habituellement rattachée à un crime banal. C’est ainsi que je me trouvai suivre le procès du premier au dernier jour.
Schirm se défendit brillamment; tous les journaux devaient le souligner. Quant à mon expertise, elle fut refusée par le juge André Sabourin qui déclara tout net : « C’est ici une cour de justice, et non un parlement ». Le but du procès, expliqua-t-il, était de faire la preuve du crime, non de l’expliquer.

Un mois environ après le prononcé de la sentence, 60 étudiants québécois résidant à Paris signèrent une protestation qui fut présentée à M. Jules Léger, ambassadeur du Canada à Paris. Par ailleurs, de nombreuses personnalités françaises (parmi lesquelles, assez curieusement, ne se trouvent ni Jean-Paul Sartre ni Simone de Beauvoir) adressèrent au premier ministre du Canada, Lester B. Pearson, et au premier ministre du Québec, Jean Lesage, une requête dûment étayée, demandant que « la sentence ne soit pas exécutée, par respect pour les valeurs de cœur et de raison qui fondent la justice. » Sans succès.

Pour finir, le dossier conjoint n’étant pas prêt, la Couronne demanda et obtint, selon l’usage, un sursis d’exécution. Me Robert Lemieux, alors, se chargera de l’affaire et obtiendra que la peine de Schirm se trouve réduite dans un premier temps à l’emprisonnement à vie puis à 14 ans – la plus longue peine jamais infligée à un felquiste quel qu’il en soit .

Tous les compagnons de cellule de Schirm sont formels : constante aura été tout ce temps-là sa volonté de se tenir physiquement et moralement en forme, et revigorante sa camaraderie.

Ich hatte einem Kameraden, chantonnait François .

Nous qui parlons Indépendance, nous qui avons facilement à la bouche ce mot « les Patriotes » (sous-entendu : « de 1837-38 ») alors même que bien souvent leur histoire nous est plus ou moins inconnue, nous ne sommes pas conscients que nous occultons par le fait même leurs descendants directs, felquistes et autres – ceux-là même qui, il y a une cinquantaine d’années, ont sans hésiter sacrifié leurs années de jeunesse pour tenter de nous donner un pays. Ce silence, cet oubli, François Schirm s’y attendait, lui qui, publiant en l982 ses souvenirs de prison, les intitulait « Personne ne voudra savoir ton nom. »


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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 janvier 2015

    Merci Andrée pour ce texte - et désolée pour le retard de mes remerciements mais le temps passe si vite - je pense à lui tous les jours - souvent, lors d'un évènement d'actualité, je veux prendre le téléphone pour lui parler et je réalise qu'il n'y est plus...
    Mais il y a de l'espoir - il y a un projet de documentaire sur le FLQ et on est interessé à l'histoire de mon père. On verra.
    Sylvie Schirm

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2014

    Merci aussi à Jacques Lanctôt...
    Pourquoi pas le dire à ceux qui sont vivants !
    Michel

  • Archives de Vigile Répondre

    1 octobre 2014

    Titre: "Personne ne voudra savoir ton nom"
    Auteur: François Schirm
    Éditeur: Montréal, Quinze, 1982
    Autobiographie; 211p,

  • Archives de Vigile Répondre

    1 octobre 2014

    Merci pour ce rappel alors que trop de Québecois veulent aujourdhui évacuer cette période de notre histoire, de 1963 à 1970, soit en refusant de reconnaitre que des Québécois aient pu vouloir un jour se révolter et changer le régime de façon radicale en usant de violence ou encore en jettant le doute sur des acteurs d'octobre 70 comme le font certains auteurs d'essais fiction pour qui tout mouvement de résistance ne peut etre qu'une conspiration du pouvoir. Incapables de comprendre et d'assumer cette violence politique, ces conspirationnistes en déresponsabilisent totalement les acteurs. Je pense ici a l'essai "Fabrications"qui n'apporte aucune preuve à ses hypothèses.
    Robert Comeau, historien
    le ler octobre 2014

  • Rhéal Mathieu Répondre

    1 octobre 2014

    Voici un document historique : Le dossier de François Schirm à la Légion étrangère :

  • Michel J. Dion Répondre

    30 septembre 2014

  • Archives de Vigile Répondre

    30 septembre 2014

    Merci, Andrée, pour ce beau texte et pour rappeler à la mémoire de tous, ceux qui ont tout sacrifié, leur jeunesse, leur avenir, et ont lutté généreusement et avec abnégation pour la patrie sans rien demander en échange, ni rien recevoir d'ailleurs, sinon l'emprisonnement, l'exil, les coups de matraque, les injures, la ségrégation, les moqueries et l'isolement.
    Nous vaincrons, pourquoi pas, sinon ce sont les autres, nos ennemis, qui vaincront et c'est déprimant à la longue!
    Jacques Lanctôt