C’est cette rude tâche que vient de me confier Vigile en m’invitant à produire une chronique traitant de l’image négative que projettent continuellement du Québec les journaux du Canada anglais.
J’ai pris un temps fou avant de me décider. Comment aborder tout cet amas de thèmes négationnistes jour après jour développés tant dans notre bonne vieille Gazette et le Suburban que dans les journaux du ROC? Mais une belle opportunité m’a été offerte sur un plateau les 5 et 6 mars dernier ! Deux jours fastes pour Darrell Bricker et John Ibbitson puisque le National Post y publia deux extraits tirés de leur livre, The Big Shift. Je ne pouvais mieux tomber pour débuter cette chronique.
Présentation d’abord de deux personnalités ayant la réputation de fortement compter dans la fabrication du Canadian consensus, question ici d’utiliser les termes de Chomsky pour appeler un chat un chat.
Darrell Bricker est président d’Ipsos Reid Public Affairs et John Ibbitson est « chief political writer » du Globe and Mail. Dans le texte du 5 mars, ils se présentent :
« Nous sommes deux hommes d’âge moyen faisant partie du Wasp (White Anglo-Saxon Protestant) et résidant en plein environnement laurentien. Nous bossons chacun dans des firmes qui restent des leaders en information. »
Mais le plus important à retenir de leur curriculum reste comment ils ressentent leur propre cheminement idéologique. Une véritable conversion ! Qu’on en juge.
« Tout au long de notre carrière, nous avons défendu des positions que l’on se doit aujourd’hui de rejeter. C’est pourquoi nous avons écrit ce livre. Nous réalisons que n’existe plus le Canada que nous pensions connaître (has gone away). Tout a changé et chacun se doit donc de changer. Ou de rester en marge. »
C’est dans cet extrait du 5 mars coiffé d’un explicite Saying goodbye to the Laurentian Consensus que Bricker et Ibbitson font leur mea culpa. Tous deux tournent le dos à leur ancien amour appelé très dédaigneusement : « The Laurentian consensus». Les gens dont nous parlons, précisent-ils, on les retrouve dans les salles de cours, les bureaux de direction et les salles de nouvelles des grandes villes de l’Ontario et du Québec. Ce sont eux qui ont longtemps dirigé le pays, mais leur pouvoir est en train de s’effiter. Ou, tout au moins, de glisser vers l’Ouest.
Leur pouvoir disparaît parce qu’il est remplacé par celui des nouvelles élites qui se retrouvent parmi les « Westerners, bien sûr, mais également parmi la population issue de l’immigration et vivant en banlieue des grandes villes ontariennes. Ce Big Shift, cette grande glissade des pouvoirs économiques, culturels tout autant que politiques est un fait que le Parti conservateur de Stephen Harper a compris bien avant toutes les autres formations politiques canadiennes. Thomas Mulcair l’a maintenant compris. Et, s’il ne veut être confronté à un très mauvais réveil, le PLC devrait très vite le comprendre.
Importe peu pour les Bricker et Ibbitson de ce monde le fait que les Québécois et les Québécoise aient massivement voté pour le Bloc au cours de six élections fédérales s’étant déroulé entre 1993 et 2011. Cela n’a pas d’importance puisqu’à leurs yeux, la nation québécoise n’existe pas. Le consensus laurentien n’était l’affaire que des franco-québécois fédéralistes - vivant surtout à Outremont comme ils s’empressent de le noter -, acceptant de jouer dans la platebande Canadian. Peu importe non plus le phénomène du 4 mai 2012, où feu le bon vieux Jack à la canne d’or avait réussi à subjuguer les gens de la partie-fleuve de la vallée laurentienne mais aucunement ceux des hautes-terres. Vivant à proximité des Grands-lacs.
On aura vite compris que nos deux larrons veulent lancer un important message aux Liberals de la « wasperie » ontarienne, le message que le nouveau visage du Canada n’est plus du tout blanc et européo-centriste. Avec les vagues d’immigration venant d’Asie et d’Afrique, écrivent-ils, il est plutôt brunâtre. Et il est surtout tourné vers le Pacifique plutôt que l’Atlantique.
Et le Québec là-dedans ? Dans leurs deux extraits du Big Shift parus dans le NP des 5 et 6 mars, Bricker et Ibbitson n’en parlent que pour dire que la seule différence avec les autres régions du Canada, c’est que l’on y parle français. Peut-être que, dans l’essai lui-même, quelques pages ont été noircies pour ergoter sur une province, laquelle à leur avis, n’est pas si différentes des neuf autres. Quoi qu’il en soit, on sait très bien, à partir de ses papiers dans le Globe, ce que pense Ibbitson du Québec. Surtout depuis l’élection de Pauline Marois. À son avis, « Quebec’s separatism is dead » et la première ministre devrait en prendre acte et dorénavant s’intéresser d’abord à l’économie. Un message qui, par les temps qui courent, semble très bien reçu du côté de Québec.
Attardons-nous maintenant à ce que propose The Big Shift pour nos voisins des provinces maritimes. Leur est complètement consacré le texte du 6 mars. Avec titre signifiant : Inside the Atlantique Canadian Mind. Traduire : « Ce qui mijote dans les cerveaux de nos Maritimers ».
Il se pourrait que ce soit Bricker qui a surtout mis la main à la pâte dans la rédaction de cette partie de l’ouvrage puisque c’est par un sondage de la maison Ipsos-Reid qu’on commence à nous démontrer que, dans leur vaste majorité, les Maritimers voient le régime canadien d’Assurance-Emploi comme si c’était la même chose qu’une assurance pour leur auto. Ou leur maison, à savoir comment ils peuvent en tirer des bénéfices sans le moins possible payer de cotisations. Grave erreur que de leurs donner tort puisque que c’était sur ce principe que le régime avait été conçu. Avant d’être outrageusement violé par les Paul Martin et consorts!
Grave leçon de morale que nos deux compères infligent à tous ceux de ce coin de pays qui n’ont pour survivre que des emplois saisonniers provenant des industries de pêche et de forêt! Quel culot que de terminer leur texte par une insulte à leur intelligence! Qu’on en juge : « Le jour viendra où les ouvriers d’Oakville jetteront leurs outils à terre parce qu’ils n’accepteront plus de supporter les pêcheurs de l’Île-du-Prince-Édouard. La rébellion est à nos portes »
La façon d’appréhender la réalité contemporaine de nos deux ex-Laurentians ressemble étrangement à celle d’une certaine Angela Merkel dans les « Vieux pays ». Vous savez. C’est la très sévère dame qui dit aux Grecs et aux Portugais de se serrer la ceinture. Et qui leur répète : « Contentez-vous des McDo-jobs de votre patelin. Mais envoyez-nous vos cerveaux en Allemagne. Ou dans les autres pays du nord de l’Europe où les taux de chômage sont si peu élevés. Dire que là-bas certains de leurs intellos à la p’tite semaine se penchent sur le modèle canadien en vue de transformer la Zone-Euro en véritable fédération!
Dans un passé pas si lointain, le Québec a connu un émule de Bricker en la personne d’André Bérard. Ce triste sir, utilisant sa prestance de président de la Banque nationale du Canada, suggérait rien de moins que l’on ferme définitivement tous les villages de la Gaspésie. Parce que peu rentables. Quel sens du partage!
Comment les Québécois peuvent-ils vouloir rester dans ce Canada si la pensée « anti-Laurentienne » des Bricker et Ibbitson ne devient pas uniquement celle de Harper, mais tout autant celle de Justin Trudeau? Et même de Mulcair, le vote des Québécois n’ayant plus aucune importance pour prendre le pouvoir à Ottawa.
Il faut systématiquement déconstruire le discours négationiste du ROC
Le continuel déni qu'il existe une nation québécoise
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6 commentaires
Jean-Claude Pomerleau Répondre
16 mars 2013@ Marcel Haché,
Vous suggérez très justement que les souverainiste devraient profiter de la "brèche" pour forcer le jeu et accentuer la nouvelle dynamique politique.
Mon prochain texte (quatrième sur le thème de la dislocation) portera justement sur ce constat que le pouvoir est passé à l'Ouest ; et, conséquence, le gambit que le Québec peut et doit jouer : Négocier avec Calgary et non Ottawa.
En fait répondre à l'appel de l'Alberta qui depuis 2 ans a précisé : son agenda, les termes de la négociations et ce que le Québec pourrait gagner.
JCPomerleau
Marcel Haché Répondre
15 mars 2013Le Canada des libéraux, c’était le Canada central, c’est-à-dire Québec-Ontario. Tout le reste, c’était la périphérie, les maritimes, l’ouest, qu’ils étaient prêts à consentir aux démocrates et aux créditistes.
Mais le Québec de l’équation « Canada central », ça n’a jamais été le Québec qui Nous tient à cœur. Le Québec de ce Canada central dominant Ottawa, c’était en réalité l’hégémonie du West Island au Québec, en jonction avec les « hautes terres » comme vous dites, M. Charron, ce qui est bien différent de ce qu’il est maintenant.
Les nostalgiques de la domination du West Island sur le Canada peinent à réaliser que le pouvoir est maintenant passé à l’ouest. Hélas, mille fois hélas, maudit hélas,
les indépendantistes québécois peinent encore plus que ces nostalgiques à réaliser la brèche qui leur est ouverte pour la première fois depuis 50 ans.
Et plutôt que de reculer sur les villes « bilingues », encouragé par tous nos démissionnaires, si le gouvernement Marois faisait un pas décidé en avant, s’il tenait son bout qui se trouve à être le nôtre, il verrait ceux d’ici, ceux « d’en face » qui sont proches, il les verrait reculer, sans support qu’ils sont à Ottawa, il verrait ceux « d’en face » qui sont loin, ceux d’Ottawa, reculer eux aussi. Et pourquoi ? Parce que les conservateurs de l’ouest ne voudront jamais mettre en balance un pouvoir ennemi déjà abattu (le West Island) et risquer de perdre la nouvelle hégémonie qu’ils sont en train de construire à l’ouest du Québec.
La brèche est là, béante. Il ne manquera bientôt que l’Union sacrée de tous les indépendantistes qui, pour le moment, préfèrent dormir et rêver.
Lise Pelletier Répondre
15 mars 2013M.Charron, désolée pour l'erreur dans mon commentaire précédent.
Lise Pelletier Répondre
15 mars 2013M.Thompson,
Une chose est certaine dans votre nouveau poste, vous ne manquerez pas de travail. Beaucoup de matière.
Vous ne serez pas touché par la réforme de l'assurance-emploi à la Harper.
Merci !
Jean-Claude Pomerleau Répondre
15 mars 2013"Big shift" : La géopolitique de l'énergie a fait son œuvre.
Le constat s'impose que le pouvoir est passée de l'Est à l'Ouest.
Pour nous la question se pose, en quoi cela sert la cause.
Ce "Big Shift" a mené à une profonde métamorphose du Canada, qui en même temps qu'il se définit sans le Québec, s'en éloigne définitivement.
Quand les propagandistes de l'Idée fédérale constatent que ; "Monsieur Harper il est moche votre Canada" ; que :'Indépendance du Québec est inévitable" (Ignatieff); que " je choisirais le Québec un pays" contre celui de Harper (Justin Trudeau), on se rends compte à quel point les plaques tectoniques ont bougé. Comment expliqué qu' au moment même où le Bloc disparait de la scène fédérale et que la souveraineté n'est plus perçu comme une menace crédible, la "séparation" semble se poursuivre toute seule ?
Pendant que les commentateurs cherchent leurs mots pour expliquer ce phénomène de grande amplitude, leur échappe la véritable nature des forces souterraines qui conduisent à la dislocation de facto de la fédération : La genèse des États.
La fédération suppose deux niveaux d'État : L'État fédéral, arbitraire et de convention;et, les provinces, États naturels.
La dislocation survient quand un membre de la fédération fait primer ses intérêts au détriment de l'unité de l'ensemble, et que la rapport de force est favorable. C'est ce qui est arrivé en 2008 et qui a mené à la fin du Canada de Trudeau (et de la doctrine politique d'un pouvoir central fort de J A McDonald, du moins pour les provinces pétrolières).
http://www.vigile.net/La-fin-du-Canada-de-Trudeau
J'observe le phénomène de la métamorphose de la fédération depuis quelques années à partir de la seule grille de lecture qui permet d'appréhender le phénomène de la genèse des État : Voir mes trois dernier textes sur la dislocation de la fédération ;
http://www.vigile.net/_Pomerleau-Jean-Claude_
La géopolitique, discipline qui fait de l'État l'objet premier de son étude.
JCPomerleau
Serge Jean Répondre
15 mars 2013André Bérard, oui, oui, je me souviens de ce beau sans-génie.
Jean