Dans une tentative pour le moins échevelée de réconcilier les dispositions du projet de loi sur le cannabis présenté par le gouvernement Couillard avec celles du projet fédéral, l’impayable ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, a énoncé un autre de ces sophismes dont il a le secret.
Pour n’importe qui d’autre, la contradiction sauterait aux yeux : Ottawa prévoit d’autoriser une culture domestique n’excédant pas quatre plants, tandis que Québec veut l’interdire totalement. M. Fournier voit cependant la chose autrement : « La loi fédérale prévoit que cinq plants et plus ne sont pas autorisés. Zéro, c’est moins que cinq. »
S’il décide de prendre sa retraite, comme le veut la rumeur, il va presque nous manquer.
La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, ne semble toutefois pas adhérer à sa logique. Elle a clairement signifié aux deux provinces (l’autre est le Manitoba) qui comptent interdire la culture du pot à la maison que le gouvernement Trudeau entend faire respecter la préséance que la jurisprudence reconnaît aux lois fédérales.
Il est vrai que sa collègue de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, semble plus accommodante, mais c’est normalement la ministre de la Justice qui exprime la position officielle du gouvernement en ces matières.
M. Fournier a aussitôt réagi. Il ne veut pas d’un « fédéralisme qui donne des leçons », mais plutôt ce « fédéralisme coopératif » dont Jean Lesage parlait déjà au début des années 1960. « Le fédéralisme coopératif n’est pas simplement d’obtenir le concours des provinces à des politiques centralisatrices. Pour le Québec, il signifie plutôt le début d’une nouvelle ère dans les relations fédérales-provinciales et l’adaptation dynamique du fédéralisme canadien », avait expliqué l’ancien premier ministre dans un discours prononcé à l’Université de Moncton en 1964. Un demi-siècle plus tard, on l’attend toujours.
Fort des avis juridiques que sa collègue déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, dit avoir en main, le gouvernement Couillard est prêt à s’adresser aux tribunaux pour obtenir gain de cause, a déclaré M. Fournier.
Après lui avoir si souvent reproché sa mollesse face au gouvernement fédéral, on ne peut que le féliciter de vouloir défendre les champs de compétence du Québec, même si l’approche de l’élection n’est sans doute pas étrangère à cette soudaine pugnacité.
S’il est toujours de bon ton de rouler des mécaniques devant Ottawa, ne serait-ce que pour épater la galerie, il est surtout important pour les libéraux de ne pas laisser à la CAQ le monopole de la fermeté sur la question du cannabis.
Dès le départ, la CAQ a adopté la ligne dure, qu’il s’agisse de l’âge légal pour acheter de la marijuana, qu’elle a fixé à 21 ans, des peines à imposer aux automobilistes conduisant sous son influence ou encore de la culture à la maison. Les libéraux n’ont pas tardé à réaliser qu’elle était au diapason d’une grande partie de la population.
Il semble pourtant incongru de criminaliser tous ceux qui décideraient de cultiver quelques plants alors que la consommation sera parfaitement légale. L’important est d’interdire la culture à une échelle commerciale. Une culture destinée à la consommation personnelle contribuera plutôt à réduire le recours au marché noir.
Le fédéralisme canadien n’est pas à un paradoxe près. Ainsi, en ce qui concerne la culture à la maison, les deux partis fédéralistes représentés à l’Assemblée nationale désapprouvent l’approche d’Ottawa, tandis que les deux partis souverainistes la partagent.
La rhétorique guerrière fait partie des relations fédérales-provinciales, mais aucun des deux camps ne doit avoir sérieusement envie de passer de la parole aux actes et de s’adresser aux tribunaux. Ce qui n’empêche évidemment pas les uns et les autres de faire de la politique.
Le gouvernement fédéral a renoncé à contester lui-même la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, dont l’article sur l’obligation de recevoir les services publics « à visage découvert » pourrait contrevenir à la Charte canadienne des droits, que le premier ministre Trudeau s’est pourtant engagé à défendre bec et ongles. Il a plutôt laissé aux membres de la société civile le soin de la contester, quitte à intervenir ultérieurement si le besoin s’en fait sentir.
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