Jouets et idéologies

Tribune libre

Afin de cerner et de critiquer la réalité sociale dans toute sa complexité, j’ai toujours eu la conviction que les enjeux les plus fondamentaux et globaux s’expriment dans les faits et les objets petits et particuliers. C’est dans cette optique qu’en feuillant le catalogue d’un grand magasin très populaire, j’ai été abasourdi d’y voir un guichet automatique jouet qui permet à l’enfant de déposer et de retirer de l’argent factice avec l’aide d’une fausse carte débit. Loin d’être anodine et insignifiante, l’émergence socio-historique d’un tel jouet est révélatrice d’une époque dans laquelle les compagnies et les consommateurs ont à ce point intégré les pratiques liées à la consommation et, plus généralement au capitalisme, qu’ils vont jusqu’à produire, pour les premiers, et consommer, pour les seconds, des objets destinés aux enfants célébrant l’argent et, par le fait même, l’acte d’achat en soi, ce qui aura des effets idéologiques réels sur leurs comportements futurs lorsqu’ils seront à leur tour des consommateurs.
Dans ce cas-ci, la présence de l’idéologie consumériste dans l’objet particulier est d’autant plus importante à mettre en lumière qu’elle renvoie à l’univers des jouets, éléments créant des situations d’apprentissage influençant de façon significative le développement de l’enfant et ultimement, celui de la société à travers les idéaux et les valeurs qu’ils véhiculent et les comportements qu’ils valorisent. Il ne s’agit pourtant pas de dénoncer les jeux de rôles dans lesquels les enfants se mettent à la place des adultes en imitant, par exemple, les actions liées à un métier. En effet, de tels jeux sont sains puisqu’ils permettent à l’enfant de se mettre à la place des autres, d’apprendre par imitation et de développer ses habiletés dans toutes les sphères de son développement global. Il est à noter que le fait de jouer au «magasin» en simulant un acte de vente est, selon moi, pleinement légitime dans la mesure où il met en scène une interaction humaine dans laquelle un enfant cherche à répondre au besoin fictif d’un autre enfant. Un tel jeu ne se réduit pas à l’action répétitive d’un humain avec une machine comme un guichet automatique; action qui, par ailleurs, crée l’illusion d’une fausse abondance donnant l’impression que l’argent est gratuit et disponible sans limite. À cet effet, certaines compagnies de jouets devraient davantage prendre conscience de la responsabilité qu’ils ont face aux enfants qui entreront en contact avec ceux-ci. Ce qui se passe, en réalité, est un malheureux dressage d’enfants au culte de l’argent et de la consommation qu’elle rend possible.
Je ne défends pas l’idée que le monde actuel serait le théâtre d’un vaste complot capitaliste (représentation trop simpliste), pas plus que les enfants (et les adultes qu’ils deviendront) seraient de simples éponges totalement vulnérables et démunis face à l’idéologie. Autrement, il s’agirait d’un acte de résignation face à l’idée selon laquelle la liberté de jugement est encore possible en ce monde, ce que je ne veux absolument pas laisser entendre. Toutefois, l’enfant en bas-âge n’a pas de capacité réflexive pour juger des conséquences morales inhérentes à un objet particulier comme un jouet. Il en va des parents d’assumer pleinement leur rôle en questionnant la pertinence de certains jouets que l’industrie de la consommation met à leur disposition en posant un regard critique sur la dimension idéologique qu’ils recèlent. Dans cette perspective, c’est selon moi l’imagination ainsi que la créativité qui devraient être valorisées et non pas la copie directe du monde consumériste des adultes auquel ils seront confrontés bien assez vite.
Avec Noël qui s’en vient, je pense qu’il serait souhaitable d’encourager le développement d’une sensibilité individuelle et collective face au fait que les idéologies sont susceptibles de se manifester à travers des objets ayant l’air tout à fait inoffensifs, mais qui participent de manière effective à l’endoctrinement au capitalisme, à la consommation et à la monétarisation indue de la réalité. À cet effet, comme l’a souligné Noam Chomsky dans le petit livre Un monde complètement surréel, «[p]our ceux qui recherchent obstinément la liberté, il ne peut y avoir tâche plus urgente que d’arriver à comprendre les mécanismes et méthodes de l’endoctrinement. Ce sont des choses faciles à saisir dans les sociétés totalitaires, mais elles le sont beaucoup moins dans le système du «lavage de cerveau sous régime de liberté» auquel nous sommes soumis et que nous servons que trop souvent en tant qu’instruments consentants ou inconscients.» (Lux, 2004, p.81)


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 octobre 2013

    Effectivement, bel article M. Guzzo. Par contre, j'ai bien de la difficulté à comprendre le précédent message et j'aimerais comprendre en quoi l'article parle de la laïcité de l'état!

  • Archives de Vigile Répondre

    29 octobre 2013

    Bel article M. Guzzo, qui témoigne du revers de la laïcité de l'état et de la spiritualité ou morale. Naïvement réserver à la religion, qui dans les faits, n'en n'est qu'une infime partie.