Monsieur Sansfaçon, l'éditorial que vous signez dans l'édition du Devoir du 17 février 2009, intitulé [«Décrochage scolaire, l'affaire de tous»->17980], m'interpelle à plusieurs égards.
Si je partage en bonne partie vos appréhensions, je ne peux pas appuyer votre raisonnement en ce qui concerne les causes et les solutions que vous mettez de l'avant.
Premièrement, l'école privée n'est ni coupable, ni remise en question dans le débat sur le décrochage scolaire. L'Alliance, les syndicats de l'enseignement et la plupart des administrateurs du réseau scolaire public n'ont jamais réclamé de faire disparaître ces écoles, mais de cesser le financement public de ces entreprises privées.
Deuxièmement, des études de l'UQAM et du ministère de l'Éducation démontrent que l'abolition des subventions aux élèves des écoles privées ne ferait pas en sorte «qu'il en coûterait beaucoup plus cher à l'État de financer la formation de ces 30 % de jeunes qui choisissent l'école privée». Les élèves du privé comptent pour 12 % et non pas 30 % de la population scolaire. De plus, sans les subventions au privé, de 30 % à 50 % de ces élèves resteront à l'école privée pour des raisons économiques, culturelles ou linguistiques. À 30 % de rétention au privé, l'État devrait débourser environ 60 millions de dollars de plus. À 40 %, il en coûte moins cher à l'État. L'exemple ontarien est éloquent à ce sujet.
L'investissement et l'économie ne sont pas les principales vertus de l'abolition ou de la diminution de la subvention publique aux écoles privées. Le rapatriement d'élèves sans difficulté d'apprentissage et de comportement dans les écoles de quartier offrirait une plus-value inestimable.
Par ailleurs, vous citez l'Alliance comme un mauvais exemple de corporatisme syndical, «... qui se félicite d'avoir arraché deux journées pédagogiques de plus pour ses membres...». Vous savez comme moi et comme la plupart de vos lecteurs que les journées pédagogiques sont essentielles au travail des profs. Ces deux journées supplémentaires, qui amènent les profs de la CSDM à parité avec les autres profs du Québec, servent en grande partie à la concertation des ressources enseignantes, professionnelles et de soutien pour planifier les interventions auprès de tous les élèves, mais particulièrement des élèves en difficulté, qui comptent pour une très grande partie des décrocheurs potentiels. Loin d'être une victoire du corporatisme syndical, les deux journées pédagogiques de plus à la CSDM sont un moyen, convenu avec la commission scolaire, d'aider les élèves en difficulté et de faire la lutte au décrochage.
L'appel à la concertation générale que vous lancez, nous y avons répondu depuis longtemps. Le ministère, les commissions scolaires, les syndicats de l'enseignement et les parents travaillent d'arrache-pied à mettre en place des solutions depuis la tenue des états généraux de l'éducation en 1995-96.
Un sommet sur l'éducation comme vous le proposez? Les états généraux ont été ce sommet. Ses conclusions de donner une chance égale de réussite à tous les élèves ont fait l'unanimité. Cependant, en période de compressions budgétaires pour atteindre le déficit zéro, trop peu de moyens ont été mis en branle. L'Alliance est d'avis que cette conclusion signifie en faire plus pour ceux qui ont plus de difficulté à atteindre la réussite.
En faire plus, c'est cesser de financer des écoles privées pour ramener ces ressources financières aux écoles publiques. C'est aussi ramener bon nombre d'élèves doués, sans problèmes, pour rééquilibrer la classe ordinaire avec une proportion représentative des élèves forts, moyens et faibles. C'est aussi réduire le nombre d'élèves dans les classes où il y a des élèves en difficulté, dans les écoles de milieux défavorisés. C'est également instaurer des classes de maternelle à 4 ans dans tous les quartiers défavorisés pour leur donner une longueur d'avance sur les autres, pour combler leur retard de développement langagier ou social, et c'est aussi maintenir des classes spécialisées pour les élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage tant au primaire qu'au secondaire. C'est également stopper la réforme de l'éducation pour la corriger. Une réforme instaurée pour lutter contre le décrochage dont le remède est pire que le mal.
Si toutes ces suggestions pour donner une chance égale de réussite à tous les élèves ne font pas partie des solutions potentielles, si elles sont du corporatisme syndical parce qu'elles nécessiteront un effort financier supplémentaire ou l'embauche d'enseignants, alors toutes les interventions sociales se retrouveront au banc des accusés, chargées de mauvaises intentions.
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Nathalie Morel, Présidente de l'Alliance des professeures et professeurs de Montréal
Le décrochage scolaire à l'école publique
L'affaire de tous... même de l'école privée
Réplique à l'éditorial de Jean-Robert Sansfaçon
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