Stephen Harper

L'allié objectif?

Un gouvernement conservateur majoritaire pourrait-il devenir l’allié objectif des indépendantistes ?

Chronique de Louis Lapointe

Depuis son élection en 2006, Stephen Harper a prouvé qu’il était tout aussi centralisateur que ses prédécesseurs libéraux. Mis à part la coquille vide de la reconnaissance de la nation québécoise et le remboursement d'une partie du déficit fiscal, rien n’a été fait pour régler les litiges historiques du Canada avec le Québec.
Contre la volonté du Québec, le gouvernement conservateur de Stephen Harper est même déterminé à tout faire pour que les sénateurs soient désormais élus, que la représentation du Québec diminue à la chambre des communes et qu’une commission pancanadienne des valeurs mobilières voit enfin le jour.
Le Québec est habitué à ce genre de situation. Il y a longtemps que ce dernier n’est plus considéré comme un des deux peuples fondateurs de la fédération canadienne. D’ailleurs, l’a-t-il déjà été ?
Le problème du Québec est justement là. Depuis l’Acte de Québec, en passant par l’Acte d’Union et la Confédération de 1867 jusqu’au rapatriement de la Constitution en 1982, tout a été fait au Canada pour affaiblir ceux qu’on appelle aujourd’hui les Québécois. Les coups de force se sont succédé, élargissant ostensiblement à chaque occasion l’écart entre les deux solitudes.
Au chapitre des relations fédérales/provinciales, les conservateurs de Stephen ne sont pas très différents de leurs prédécesseurs libéraux. Peu importe qui est à sa tête, le Canada est incapable de régler convenablement ses contentieux avec le Québec.
Si le Québec est sorti un peu plus affaibli à chacun de ces malheureux épisodes de l’Histoire du Canada, au fil des années, la proportion d’indépendantistes n’a jamais cessé d’augmenter au Québec. Plus que jamais, aujourd'hui, les Québécois se perçoivent majoritairement d’abord comme Québécois alors que, mis à part les anglophones et les allophones, ils sont de moins en moins nombreux à se percevoir comme des Canadiens.
Harper est-il une vraie menace pour le Québec ?
Tandis que les libéraux anesthésiaient la population du Québec avec leurs programmes sociaux et leurs subventions, les conservateurs ont préféré couper là où ça faisait idéologiquement mal au Québec.
Ainsi, les conservateurs n’ont pas pu devenir majoritaire aux dernières élections fédérales parce qu’ils ont eu le malheur de s’attaquer à un petit programme de 50 millions$ destinés aux artistes, des peanuts dans le contentieux Québec/Canada.
Les libéraux avaient compris qu’il fallait donner aux Québécois du pain et des jeux pour qu’ils se tiennent tranquilles, alors que le puritanisme des conservateurs les a empêchés jusqu'à maintenant d’être aussi malhonnêtes que ces derniers dans leur visée de voir un jour le Québec devenir comme le reste du Canada.
Quand les Canadiens comprendront-ils qu’on ne pourra jamais faire d’un Québécois un Canadien ?
Loin de servir les intérêts du Canada au Québec, le programme économique et social des conservateurs ne contribuera qu’à accélérer le processus de détachement du Québec du reste du Canada. Voilà pourquoi les Québécois se méfient autant des conservateurs.
À ce titre, les Québécois ont maintenant encore plus de raisons de voter pour le Bloc québécois à Ottawa. Au repoussoir que constituait la corruption des libéraux, s’ajoute maintenant le puritanisme social et économique des conservateurs.
Bien sûr, l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur sans le Québec ferait mal au Québec. On ne peut donc pas légitimement s’attendre à ce que Stephen Harper soit généreux envers ceux qui auront préféré lui tourner le dos sans que cela ne l’émeuve outre mesure. Il serait même étonnant qu’il n’aille pas de l’avant avec toutes ses réformes qu’il annonce au chapitre de la justice, de l’environnement, de l’économie et des programmes sociaux, bien qu'elles soient largement rejetées au Québec.
Dans cette perspective, même si elle comporte de nombreux inconvénients pour le Québec, l’élection d’un premier gouvernement majoritaire aussi à droite depuis la défaite de John Diefenbaker en 1963 pourrait avoir l’avantage de changer la dynamique du Canada dans ses rapports avec le Québec. En raison du fort ressentiment qui existe contre le Québec dans le reste du Canada pour de multiples raisons historiques, la possibilité d’un « backlash » contre le Québec est donc bien réelle.
Une telle attitude du reste du Canada envers le Québec pourrait raviver, ici, le même genre de sentiments à l’égard du reste du Canada. Les Québécois auraient alors de nombreuses raisons de vouloir se séparer d’un pays qui, en plus d’être belliqueux et pollueur, est trop centralisateur, trop à droite et trop revanchard à leur goût.
***
Paradoxalement, si nous avons toutes les raisons du monde de craindre l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa, nous avons également de bons motifs de croire qu’une telle élection aurait pour effet de creuser davantage le fossé qui sépare déjà le Québec du reste du Canada.
L’hypothèse qu’un gouvernement conservateur majoritaire gouverné par Stephen Harper puisse favoriser la montée de l’indépendantisme au Québec est donc plausible, les conservateurs étant idéologiquement plus faciles à cerner que ne l’étaient jadis les libéraux.
En ce sens, si le Bloc québécois est le meilleur défenseur des intérêts du Québec à Ottawa et les libéraux ses plus perfides ennemis, un gouvernement conservateur majoritaire pourrait devenir, à ce stade-ci de notre histoire, l’allié objectif dont les indépendantistes québécois avaient besoin pour faire avancer la cause de l’indépendance du Québec.

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    26 janvier 2011

    Vous avez tout à fait raison M. Lapointe, s'il advenait qu'un gouvernement conservateur majoritaire prenne le pouvoir aux prochaines élections, tous les paris sont ouverts quant au traitement qu'il réservera au Québec. Nous pouvons miser sur une rapide polarisation des rapports, surtout si le parti conservateur est balayé ici. Même sans cette victoire, le contraste entre ce que le Québec désire et ce que le Canada nous servira ne peut qu'aller en s'accentuant, puisque le PC semble avoir durablement implanté sa logique néoconservatrice aux débats politiques du Canada anglais.
    Je vois mal comment les conservateurs pourraient composer avec une montée de l'indépendantisme québécois. L'absence de représentation québécoise au gouvernement (et sa piètre qualité...), combinée avec le discrédit des ténors libéraux québécois actuels crée un vide qui sera presque impossible à remplir. Je me doute que la "liberté" d'un Maxime Bernier (réduire l'État) ne pèserait pas très lourd contre l'idée d'un Québec libre.
    Il serait totalement impossible de refaire un consensus au Canada anglais sur la nécessité de garder le Québec dans la confédération: chaque jour apporterait son lot de fiel sur Internet et je parierais qu'un partie non négligeable du commentariat prônerait de nous laisser partir. Toute l'hypocrisie du love-in de 95 serait exposée au grand jour: le ROC ne nous aime pas et ne lèvera pas le petit doigt pour nous accomoder. Ça sera encore plus vrai pour un gouvernement issu du Reform party que pour un gouvernement libéral qui faisait le plein de votes et de dollars en combattant les séparatisses. Le front uni du Canada anglais contre l'indépendance est en train de se fracturer et l'argumentaire fédéraliste est à court de munitions. Ça pourrait être le moment.