L’anglais règne sur le nouveau CHUM

Trois ans plus tard, l’OQLF est incapable de forcer l’usage du français sur le chantier

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Le mépris dans toute sa splendeur

Trois ans. Voilà trois ans que l’Office québécois de la langue française (OQLF) sait que quelque chose ne tourne pas rond sur le chantier du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Pourtant, l’utilisation de l’anglais dans les communications, les documents de travail et les plans et devis du mégacomplexe hospitalier subsiste, ont déploré de nombreux travailleurs de la construction, vendredi, à l’occasion de la Journée internationale de la francophonie. Une nouvelle bévue de l’Office qui met en lumière l’hésitation de l’organisme à remplir réellement son mandat, estime un chercheur.

Les travailleurs oeuvrant à la construction du nouveau CHUM dénoncent le fait que l’anglais demeure la principale langue d’échange avec le consortium Construction santé Montréal (CSM), formé d’entreprises étrangères pour la plupart, chargé de construire le complexe en mode partenariat public-privé (PPP). Malgré le dépôt de deux plaintes à l’Office de la langue française, rien n’a changé depuis 2012, déplorent-ils. L’un des principaux chantiers de l’histoire du Québec « se construit en anglais », peste le directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet. Le consortium est composé de quatre firmes étrangères, deux anglaises, une espagnole et une française.

Dans les faits, la plupart des 3000 travailleurs du chantier communiquent entre eux en français. Mais cela se corse lorsqu’ils ont à communiquer avec les représentants de CSM, dont plusieurs peinent à s’exprimer dans la langue de Molière. « Les employés du consortium donnent des directives en anglais aux sous-traitants et entrepreneurs francophones », dit M. Ouellet.

Malgré l’intervention de représentants syndicaux et d’entrepreneurs, malgré les plaintes, malgré les manchettes de journaux depuis 2012, le CSM fournit encore des plans de construction annotés en anglais, selon la FTQ-Construction. Résultat : des erreurs coûteuses sont commises et la sécurité des employés « pourrait être mise en danger », croit Carl Gagnon, l’un des représentants des monteurs-mécaniciens.

« Le plus ironique c’est qu’on a travaillé à la construction du Centre universitaire de santé McGill [CUSM] et qu’on n’a jamais eu de problème à travailler en français là-bas. Tout se faisait en français là-bas. Et là on arrive ici, au CHUM, et il faut parler anglais. »

En réponse à l’appel à l’aide des travailleurs, l’OQLF confirme « avoir reçu des plaintes », mais n’en dit pas plus. Des conseillers de francisation travaillent avec le consortium chargé de la construction afin de lui permettre d’obtenir son certificat de francisation, comme c’est le cas pour toute entreprise comptant 50 employés ou plus. Le chantier doit techniquement être complété l’an prochain.

Un Office en quête de mandat

La ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française, Hélène David, promet d’« évaluer la situation » avec son collègue de la Santé, Gaétan Barrette. Trois ans après les premières plaintes, « on va dresser un état de la situation pour être en mesure d’évaluer quels sont les problèmes, dit-elle. Le travail [de francisation] est en cours. Est-ce qu’il se fait correctement, à la hauteur et à la vitesse que les travailleurs voudraient ? Je veux aller plus à fond. »

C’est trop peu pour la FTQ-Construction, qui juge que Québec aurait dû intervenir depuis très longtemps pour régler le problème.

Comment expliquer que l’OQLF peine à imposer le français sur le chantier du CHUM ? Un an après l’épisode du « pastagate », lorsque des médias ont rapporté qu’un inspecteur de l’OQLF avait reproché au propriétaire du restaurant italien Buonanotte, à Montréal, l’utilisation de mots italiens dans son menu, l’organisme demeure « plus frileux » que jamais par rapport à son mandat, croit le vice-doyen de la Faculté des sciences humaines de l’UQAM et ex-titulaire de la Chaire de recherche identité et francophonie, Joseph Yvon Thériault.

« L’Office a eu des problèmes, a vécu une crise interne, s’est fait échauder avec l’histoire du Buonanotte. On l’a accusé d’être tatillon. Depuis, il semble être trop occupé à s’occuper de problèmes internes [pour] traiter de grands dossiers comme celui-ci », dit-il. Un an après cette crise, « on ignore toujours comment l’Office veut s’occuper de son mandat ».

Hélène David reconnaît que le rôle de l’OQLF dans la société québécoise demeure, en soi, un chantier. « Se préoccuper de la protection et de la promotion de la langue est important. On veut moderniser les pratiques de l’Office. On les appuie en ce sens », dit-elle.

Au CSM, pourtant, on assure qu’il n’y a pas de problème. Si les travailleurs éprouvent des difficultés, qu’ils le signalent, dit le porte-parole Stéphane Mailhot. « Je ne dis pas que c’est tout le temps parfait parfait. Mais deux plaintes en quatre ans… pour moi, c’est ça mon [paramètre]. Si c’était un problème, l’OQLF serait toujours à nos trousses. »


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