L’aspect constructif de la sécession belge

Chronique de José Fontaine

On parle ouvertement de la sécession possible du pays. Lors de la manifestation factice de dimanche passé 23 janvier (une manif pour un gouvernement!), à la télé on a interrogé des journalistes tchèques qui percevaient Wallons et Flamands encore plus étrangers les uns aux autres que les Tchèques et les Slovaques.
Beaucoup de Flamands à Bruxelles le jour, moins la nuit
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que la Tchéquie et la Slovaquie, n’ayant pas une capitale comme Bruxelles, se sont scindées plus facilement. Bruxelles en effet appartient (d’une certaine façon!), aux deux autres Régions et elle est la ville belge la plus importante géographiquement placée entre la Flandre et la Wallonie. La Wallonie et la Flandre ont des intérêts dans la capitale. Les Wallons ont moins de problèmes dans la mesure où ils ont une langue commune avec Bruxelles. Dont la lingua franca est le français. Ce qui amène parfois des inconvénients aussi comme une vision trop bruxello-centrée des grands médias presque tous logés à Bruxelles et qui, de ce fait, considèrent la Wallonie comme un pays quasiment étranger (avec 80% au moins de leur lectorat ou audience pourtant…). Et c’est inutilement horripilant. Les Flamands ont institutionnellement une place importante dans la Région bruxelloise. ils ont une place automatiquement dans son gouvernement. Avec un électorat flamand très minoritaire à Bruxelles, ils ont un nombre de députés proportionnellement plus élevé [il faut bien moins d'électeurs flamands pour un seul député flamand que pour un député francophone, cela a été admis car la représentation flamande risquait de disparaître], que les Bruxellois francophones qui y demeurent écrasamment majoritaires.
Ils sont peu nombreux la nuit, mais nombreux le jour car de 200 à 300.000 Flamands viennent chaque jour y travailler.
Rien que ce fait révèle la réelle interpénétration des peuples de la future ex-Belgique. Les partisans de l’unité belge ont longuement tablé sur cela pour que le problème communautaire soit dépassé et que l’on ne parle plus ni de Flandre, ni de Wallonie (alors que chaque peuple doit signer de son nom l’universel humain). Mais la séparation des Belges se lit dans la construction (entamée en 1970 et qui prit un tour plus radical depuis 1980), du fédéralisme de dissociation qui caractérise la futur ex-Belgique.

L’ex-Belgique est déjà là : l’exemple des relations européennes
Quand une compétence étatique belge passe aux Régions, celles-ci en héritent la totalité, y compris sur la scène internationale. Leur capacité à signer des traités est entière. Même un problème a priori aussi compliqué que leur participation à l’unité européenne trouve déjà une solution dans la manière dont les entités belges sont représentées dans le Conseil des ministres européens. Il suffit de consulter Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003 (1). Les ministres de l’agriculture par exemple (ou de l’environnement etc.), se concertent avant la réunion ministérielle, adoptent ou non une position commune. Si la position commune est adoptée, l’un des ministres la défend au Conseil européen des ministres, au nom de la Belgique (ou de l’ensemble des trois Etats dira-t-on sans doute bientôt). S’il n’y a pas de position commune, le ministre en question va au conseil des ministres pour s’abstenir. Or c’est la meilleure façon de ne jouer aucun rôle dans une réunion. (2) Et c’est pourquoi Flamands, Bruxellois et Wallons s’entendent pour adopter des positions communes. Pour les Wallons, c’est important parce que, autrefois, le poids de la Flandre étant ce qu’il est, elle imposait son avis. En juillet 91, des fermiers wallons de l'Ardenne ont même tenté (ou donné l'impression) de tuer le ministre flamand de l’agriculture à l'ouverture de la foire de Libramont. Il a été jeté à terre brutalement. Emmené par les gendarmes à la dernière extrémité dans une voiture à laquelle certains voulaient mettre le feu. J'étais présent et j'avoue que cela m'a marqué.
Les relations internationales déjà importantes des futurs trois Etats
En fait, les ambassades ou les délégations belges dans des organismes internationaux incorporent la dimension tri-régionale du pays et une ambassade belge finira par devenir une ambassade à la disposition des trois Etats. (3) Un ambassadeur belge est déjà dans les faits aussi celui de la Flandre, de Bruxelles et de la Wallonie. Il y a aussi des délégations organisées par chaque Région spécifiquement, en fonction de son profil (les Wallons en ont beaucoup dans les pays de la Francophonie : Maghreb, Québec, Congo, Sénégal, Vietnam…). Il y a une lente transformation d’un pays monocolore (la Belgique), en un pays tricolore. La Belgique n’éclatera pas, mais s’évaporera. C’est ce lent processus constructif et émancipateur qui m’amène à ne pas aimer la solution rattachiste dure (séparer la Wallonie de la Belgique et en faire une Région de France). Ni la solution indépendantiste dure qui consisterait à revendiquer un siège à l’ONU. Ces choses sont, au contraire, me semble-t-il, requises pour que l’indépendance du Québec soit réelle. Parce que le partenaire canadien anglais ne voudra certainement jamais de ce « séparatisme d’union » à la « belge » (si l’on peut ainsi en parler), dans la mesure où il estime le Canada uni complètement à l’extérieur de la Confédération. L’idée de l’indépendance internationale des entités fédérées belges existent depuis 1980 et le premier traité signé par la Wallonie l’a été avec le Québec.
Même si je ne suis pas allé « manifester » (est-ce encore cela « manifester » ?), le 23 janvier, contrairement à Philippe Van Parijs, je me sens assez proche de lui. Et, contrairement aux vains partisans de l’unité belge qui se désolent de ce qui arrive, je pense que l’évolution actuelle des trois Régions vers leur indépendance est un exemple paradoxal d’entente entre les peuples. C’est la marche à une solution négociée de la quasi sécession belge qui s’annonce qui devient un exemple (éventuel), pour montrer que des peuples différents peuvent s’accorder, même en allant jusqu’à se séparer. Sans que soit tiré un seul coup de fusil ni même donné un seul coup de poing. Ce qui me plaît évidemment par-dessus tout, c’est que l’évolution présente honore la Wallonie comme elle ne l’est malheureusement pas encore assez dans la Belgique d'aujourd’hui à laquelle des Wallons peu éclairés continuent à s'accrocher désespérément et en pure perte.
Sources et Notes
Notes : (1) CE Lagasse auteur de cet ouvrage de référence nous déclarait il y a quelques années : «Je peux vous dire que l'on commence à connaître le système belge, et parmi celui-ci la capacité autonome de la Wallonie. Ce n'est pas pour rien que l'on vient sans arrêt frapper à notre porte pour avoir des traités avec nous. On doit même refuser à des États la signature de tels traités et nos ministres doivent même résister à cette tendance de vouloir signer des traités avec la Wallonie et la Communauté française. On peut ajouter à cela le fait que des ministres des gouvernements wallons, bruxellois, flamands, de la Communauté siègent au Conseil des Ministres européen. Cela a choqué au départ beaucoup de pays étrangers, mais ils ont fini par s'y habituer. Donc cela se sait et cela a frappé beaucoup d'esprits. Bien sûr il faut voir à quel niveau, ce n'est pas le chauffeur de taxi de Manille qui le sait mais dans le monde politique, administratif, diplomatique, c'est quelque chose qui se sait.» ( Voir texte 2) ci-dessus dans sources: J'avoue regretter cette propension à dire que ces questions n'intéressent pas les citoyens.)
(2) Souvent, on dit que l'Union européenne ne reconnaît que les Etats et pas les Etats fédérés. Voici ce que dit J-M Dehousse à ce propos de son expérience : «La Communauté européenne a eu beaucoup de peine à reconnaître la responsabilité de la région. Les gens des autres États voyaient les aides que nous accordions. Mais l'Union Européenne exigeait que les informations soient transmises par le fédéral. Et à un moment donné les Hollandais on dit que c'en était assez et qu'il fallait aller le demander aux Régions.» (voir à nouveau le texte 2) dans les sources.
(3) «Il n'est pas exclu que d'ici quelques années les Communautés et Régions demandent de participer à la nomination des ambassadeurs, d'autant plus que ces ambassadeurs travaillent pour eux.» (voir numéro 2) dans les sources).
Sources: deux textes
1) Celui-ci est bref mais très technique
2) Celui-ci est une interview d’un spécialiste (C.E. Lagasse) et d’un praticien politique (Jean-Maurice Dehousse) des réformes belges sur ces questions

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    31 janvier 2011

    Je dois signaler un nouvel ennui indépendant de notre volonté pour télécharger le site de la revue. En principe, le problème sera résolu demain dans l'après-midi (heure européenne).
    Il ne s'agit pas de grand-chose mais c'est la deuxième fois en moins d'un mois.
    Rien n'est parfait.
    José Fontaine

  • José Fontaine Répondre

    29 janvier 2011

    Parodions car il s'agit d'idées reçues
    ////////
    Moi je pense qu’il n’y a point de salut pour la France tant la classe politique y est faible et sclérosée. Des années de coalitions obligées (scrutin majoritaire), sous la houlette d'un monarque élu (plus par stratégie télévisée intelligente qu'autre chose:lire Thierry Crouset ou Stiegler) et qui, comme le disait de Gaulle, aime souvent l'argent (comme Chirac, surtout celui des plus pauvres dans le logement social de l'Île de France) ont créé une forme de régime sans vraie opposition tant que le président gouverne, alors que l'opposition est essentielle dans une démocratie de progrès. C’est la « présidentocratie » qui règne - petits arrangements entre le président et ses amis (ou amies riches) - au détriment d’une gouvernance tournée vers l’avenir et de toute concertation sociale (on l'a vu avec les lois sur les retraites), parfaitement inexistante en France. Et les Français sont devenus des moutons en léthargie, totalement ou quasi désintéressés par la chose publique: le parti en progrès c'est le FN fasciste.
    José Fontaine
    Monsieur le Président "Je suis francophile mais j'aime la France telle qu'elle est et même je la salis (par méthode), quand on croit devoir la grandir pour mieux écraser la Wallonie de cette grandeur alors que la Wallonie la vaut bien et valorise la France de mille manières et continuera à le faire si elle demeure libre."
    ////////////
    Evidemment ma réponse, quoique sacrifiant moins aux idées reçues, est polémique. Mais dans son dictionnaire des idées reçues, à "classe politique", Flaubert indique "dire qu'elle est médiocre". Ou Girard spécialiste en boucs émissaire qui considère que l'exemple le plus universel du bouc émissaire, ce sont, dans tous les pays démocratiques, les hommes politiques. Désigner des boucs émissaires, c'est ce qui, toujours selon Girard, a épargné à l'humanité le soin de penser, de chercher, de raisonner, de calculer etc. Ce qui est souvent la tentation en politique (et paf! je me contredis).

  • François Collette Répondre

    29 janvier 2011

    Moi je pense qu'il n'y point de salut pour la Wallonie sans rattachement à la France tant la classe politique est faible et sclérosée. Des années de coalitions obligées (scrutin à la proportionnelle) ont créé une forme de collusion entre les partis en éliminant toute forme classique d’opposition politique, essentielle dans une démocratie de progrès. C'est la « particratie » qui règne - petits arrangements entre amis-ennemis - au détriment d'une gouvernance tournée vers l'avenir. Et les Wallons sont devenus des moutons en léthargie totalement ou quasi désintéressés par la chose publique.
    François Collette
    Site : "Je suis belge mais je me soigne"