Budget 2010 – 2011

L’autre façon de procéder, en toute équité

Restaurer de toute urgence l’intégrité de l’assiette fiscale

Chronique de Richard Le Hir

L’iniquité patente du budget Charest-Bachand s’est imposée à tous, et il faut se réjouir du sursaut général d’indignation qu’il a provoqué. C’est la preuve que tout ressort n’est pas brisé et qu’une mobilisation générale des Québécois demeure possible sur un enjeu qui les touche au plus profond de leur sensibilité et de leur sens de la justice.
Il faut dire que ce budget a fait fort, comme je l’ai souligné dans le texte que j’ai soumis à Vigile dans les heures qui ont suivi son dépôt (http://www.vigile.net/Zero-sur-toute-la-ligne). Régressif comme c’est pas permis, et pas le moindre souci exprimé pour la capacité de payer des citoyens. Il fallait le faire ! C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la rancœur accumulée contre ce gouvernement depuis sa réélection.
Pourtant, il y avait moyen de faire autrement, malgré le martèlement ad nauseam du discours néo-libéral des « lucides » (au fait, quelle prétention de s’autoproclamer de la sorte !).
Sceptiques ? C’est compréhensible. Nos derniers ministres des Finances ne nous ont pas habitués à beaucoup de créativité.
Mais commençons par prendre un peu de recul pour examiner la problématique à laquelle nous sommes confrontés. En gros, nos dépenses augmentent à un rythme plus rapide que nos recettes et menacent notre capacité de maintenir nos programmes. Toute solution reposera donc nécessairement sur une triple action au niveau des recettes, des dépenses, et des programmes.
Pour ce qui est d’abord des recettes, on observe depuis quelques années une certaine tendance à l’essoufflement. Le rythme de l’évolution de l’économie y est pour quelque chose, c’est certain, mais ce n’est pas le seul facteur. Il n’y a qu’à prendre la mesure de la révolte des contribuables pour comprendre qu’ils s’interrogent de plus en plus sur le caractère équitable de notre régime fiscal. Il existe en effet un sentiment très répandu que c’est toujours les mêmes qui paient, que la classe moyenne est en train de disparaître, et que les écarts se creusent entre riches et pauvres.
Lorsqu’un tel phénomène survient, c’est toujours le signal d’une dangereuse érosion de l’assiette fiscale. Et il faut dire que la dernière réforme en profondeur de notre fiscalité tant fédérale que provinciale remonte au début des années 1970 où l’on avait tenté de donner suite aux conclusions du Rapport Carter qui avait introduit le concept de « comprehensive tax base », une expression très maladroitement traduite à l’époque par « l’assiette compréhensive de l’impôt ». Ce dont il s’agit tout simplement, c’est l’inclusion de tous les revenus, de quelque sorte qu’ils soient, dans l’assiette d’imposition.
L’idée était excellente, mais elle ne fut appliquée qu’en partie. On lui doit tout de même entre autre l’inclusion et l’imposition des gains de capitaux, quoique à un taux réduit. Hélas, au fil des années, il est arrivé ce qu’il arrive toujours avec n’importe quel code fiscal, ses dispositions se sont étiolées au fil des modifications consenties d’année en année, en catimini, sous l’influence des lobbys, donc des riches, car les pauvres n’ont pas les moyens de se payer des lobbys.
Aujourd’hui les deux lois de l’impôt sur le revenu qui nous régissent sont devenues des dédales d’abris fiscaux de toute sorte, et de véritables passoires. Il ne faut donc pas se surprendre que le citoyen moyen ait carrément l’impression de se faire tondre comme un mouton, alors que d’autres profitent insolemment des largesses du système, tout en faisant devant lui l’étalage vulgaire de leur richesse. Le bon peuple est scandalisé, et à bon droit.
À côté de l’évitement fiscal, ce joli euphémisme duquel on pare l’idée de se prévaloir des failles du système pour payer, en toute légalité, le moins d’impôt possible, il y a l’évasion fiscale qui consiste à ne pas payer d’impôt du tout dans la plus totale illégalité. Là encore, les signes se multiplient que la part de notre économie qui échappe à tout contrôle est en forte hausse. La quantité d’argent noir qui circule dans l’industrie de la construction et dans la consommation des biens de luxe, pour ne prendre que ces deux activités, en est le meilleur indice.
De façon générale, dans les pays relativement disciplinés sur le plan fiscal, on estime à 10 % la part de l’économie clandestine (appelée aussi économie cachée ou souterraine). Moins la discipline est grande, plus cette part augmente. En Italie, pays particulièrement réputé pour son indiscipline fiscale, certaines études évaluent la part de l’économie cachée à près de 50 %. Au Québec, on peut avancer sans grande crainte de se tromper le chiffre de 20 %, et il probablement très en deça de la réalité.
En combinant les revenus que le Québec pourrait tirer d’une réforme de sa fiscalité en revenant aux principes et aux modalités de la réforme des années 1970 et les revenus d’un retour dans l’assiette fiscale de la part attribuable à l’économie clandestine, on aboutit à une somme qui pourrait facilement aller chercher, en la calculant de façon très conservatrice, dans les 7 à 10 milliards de dollars par année. Avec un tel montant, plus de déficits. Si Jean Charest avait entrepris un tel ménage au début de son premier mandat, le Québec nagerait dans les surplus.
Mais cela, personne ne vous le dit. Pourquoi ? Pour une raison bien simple. Parce que si on le faisait, les riches seraient moins riches, et les pauvres seraient moins pauvres. Et tout le monde sait que ça, ça n’a pas de bon sens.
Au lieu de cela, on laisse filer la dette au détriment des générations futures. C’est entendu que la dette des générations futures, ce n’est jamais la dette des riches. Eux trouvent le moyen de transmettre leur patrimoine à leurs enfants pour qu’ils soient riches dans l’océan de la dette des autres, c'est-à-dire encore plus riches.
Et il existerait encore des moyens pour le Québec de générer des revenus supplémentaires en toute équité. Ainsi, quelqu’un peut-il m’expliquer en vertu de quelle raison on ne taxe pas la vente de billets de loterie ? Au Québec, il s’en vend pour près de 2 milliards $ par année. Faites le calcul : à 7,5 % de TVQ, vous êtes presque à 145 millions de revenus supplémentaires; à 8,5 %, vous êtes à presque 165 millions de revenus supplémentaires; et à 9,5 %, comme bientôt, on arrive à plus de 180 millions $.
Un billet de loterie n’étant pas un achat de première nécessité et constituant même un achat discrétionnaire, il n’y a aucune question de justice sociale à se poser. Et pour rester toujours dans les jeux, j’imposerais un droit d’entrée de 5 $ dans les salles de bingo et les salons de jeux vidéo, et de 10 $ dans les casinos.
Comme il s’agit de rentrées de fonds fortuites dont la nature ne répond pas à la définition d’un revenu, on n’impose pas les gains du jeu. Rien n’interdirait cependant de les taxer, à hauteur de, disons, 10 %, question de ne pas avoir un effet trop dissuasif (ce qui ne serait pas nécessairement mauvais compte tenu de l’abondance de l’offre). Comme je ne suis pas méchant, j’exempterais de la taxe tous les gains inférieurs à 100 $.
En tout et partout, on pourrait porter sans aucune difficulté les revenus fiscaux du jeu à près de 500 millions $ sans que personne ne verse une larme ou ne crie à l’injustice. Ce n’est tout de même pas négligeable !
J’ai aussi évoqué dans un texte précédent ou un commentaire sur le texte de quelqu’un d’autre la possibilité de taxer l’eau utilisée à des fins de nettoyage, de trempage ou d’embouteillage. En effet, il n’y a pas de raison que les pétrolières se fassent de l’argent sur notre dos avec notre eau. Il y a quelques années, un lavage d’auto était gratuit avec un plein d’essence. Aujourd’hui, il peut vous en coûter jusqu’à 10 $ pour le même lavage. Il y a quelqu’un, quelque part, qui s’en fout plein les poches, et ce n’est pas vous et moi. Et puis, pourquoi laisserait-on les embouteilleurs d'eau et de boissaons gazeuses, McDonald ou les cinémas Guzzo et autres de ce monde faire la passe avec notre eau ? Vivement une redevance raisonnable sur l’eau, ça presse.
En manifestant un peu de créativité, il y a encore plein de choses sur le plan des recettes que l’on pourrait faire pour que l’État ait les moyens de nos besoins.
Mais il y a aussi les dépenses. Au cours des derniers mois, un certain nombre de faits ont été portés à la connaissance de l’opinion publique sur l’abus que font certaines personnes des avantages de notre système. Soucieux de ne pas prêter flanc à la critique et surtout de ne pas aliéner la clientèle sur laquelle il compte pour se faire réélire, le gouvernement n’a guère parlé des abus de l’assurance-maladie ou du bien-être social par des pseudos-immigrants qui ne sont là que pour profiter des largesses aveugles du système. Il est temps que le vérificateur général procède à un examen en profondeur des réclamations que nous payons les yeux fermés, comme si elles étaient toutes légitimes. En fouillant tout ça comme il faut, on pourrait encore trouver à récupérer entre trois-quarts de milliards et un milliard et demi de dollars.
J’ai aussi évoqué plus haut la nécessité de revoir certaines dépenses de programme. Il y a des tas de dépenses que nous faisons dans le cadre de ces programmes qui n’ont absolument rien à voir avec les finalités recherchées. C’est là qu’il est le gras. Pas dans les programmes eux-mêmes, mais dans les dépenses inutiles que l’on effectue sous le couvert de ces programmes.
Le prochain « lucide » qui vous dit que le Québec est dans de sales draps, envoyez-le donc paître. La vérité, c’est qu’on cherche à nous faire croire que nous sommes dans la misère, des fois que… Cependant, il n'existe aucun doute que nous sommes mal gérés.


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9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 avril 2010

    Un adage dit :«l'argent est plat afin de mieux l'empiler».
    Pour tirer un profit maximum des contrats gouvernementaux .
    Pour éviter 50 % d’impôt sur l’encaissement d'actions privilégiées acquises à vil prix .

  • Archives de Vigile Répondre

    6 avril 2010

    [ « Gloire à Charest, et à son prophète Bachand!
    Les fausses maladies, les caprices pour ne pas travailler, les profiteurs du système, c'est fini, alléluia!
    Il est temps que les prétendus malades, les collectionneurs de médicaments, les simulateurs se rendent compte de ce qu'ils pèsent sur notre société.»]
    Extrait de la lettre de Christine Laplante,Le Devoir,6 avril 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    6 avril 2010

    Le plan Charest pour réussir l’équilibre budgétaire du Québec ne réussira pas…..sauf avec une vraie réinvention de la gouvernance.
    illustration

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2010

    Plusieurs litiges de péréquation entre le fédéral et la province Québec.
    [ « Les paiements de péréquation varient en fonction de la croissance économique annuelle des provinces. Le Québec a été frappé moins durement par la récession que les autres provinces canadiennes.Cette bonne performance relative a pour conséquence de priver le Québec d'importants transferts fédéraux.
    Le budget Charest estime qu’il perdra 664 millions en 2011-2012. Le Québec devra récupérer par exemple avec la TVQ ou l'impôt santé.
    Le litige principal concerne l'inclusion des revenus d'Hydro-Québec dans le calcul de la richesse du Québec.
    Pour Hydro-Québec,le fédéral inclus, au titre des revenus de ressources naturelles,ceux résultant du transport et la distribution de l’électricité.
    Pour l’Ontario, Hydro One,le fédéral les exclus.
    Québec réclame un traitement équivalent qui lui rapporterait 250 millions par année. » ]
    Texte de Francis Vailles,La Presse,6 avril 2010

  • Jacques Vaillancourt Répondre

    5 avril 2010

    Le budget 2010 préparé au domaine SAGARD?
    C'est derrière des portes closes au domaine Sagard que s'élaborent les grandes politiques de délestage du Québece aussi se confectionne le Budget du Québec 2010 et même les précédents.
    Pour en savoir plus:
    http://vailcour.blogspot.com/2010/04/le-quartier-general-du-gouvernement.html
    ****

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2010

    Le grand ménage de Charest
    [ « Charest n'y est pas allé de main morte en annonçant l'abolition ou la fusion de 28 organismes, fonds et sociétés qu'il avait créés sur un total de 170,une vaste opération de restructuration qui se déroulera sur quatre ans,pour une province mieux organisée et plus efficace.» ]
    Y-a-t-il réingénierie de l'État ou de la poudre aux yeux de la population ?

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2010

    Pour sortir le Québec du rouge…ses difficultés financières
    « Je pense qu’il ne faut pas être seulement dans cette mentalité qui est celle d’arriver à un équilibre budgétaire.Il faut plutôt investir dans une vision et une logique qui sont différentes et qui feront en sorte qu’à la longue on arrivera à un assainissement de nos finances publiques. » Nancy Neamtam, PDG du Chantier de l’économie sociale
    Le Québec a besoin d’un Plan d’actions stratégiques pour sortir le Québec du rouge.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2010

    Ottawa nous doit 2,2 milliards. Au lieu de nous récompenser, on nous punit pour avoir harmonisé la TPS avant tout le monde.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2010

    M. Le Hir,
    Enfin quelqu'un qui nous dit où prendre l'argent et qui croit que c'est possible...
    Lorsqu'on le citoyen évoque ce genre de dégraissage et des revenus possibles, on nous répond : « Que ces taxes et dégraissage ne rapporteraient pas beaucoup de sous et que ça n'en vaut pas la peine ». Dans les faits, on nous retourne comme des crêpes.
    Et nous nous taisons parce que nous ne connaissons pas cela (je parle pour moi). Cependant, nous savons intuitivement que c'est possible. Si ça l'est pour un budget personnel, pourquoi ça ne le serait pas pour celui du gouvernement ? D'ailleurs n'est-ce pas cette méthode que le gouvernement nous demande d'appliquer, afin de remplir les caisses dont il a dilapidé le contenu depuis des années ?
    Merci de nous expliquer si clairement les choses et de proposer des solutions.
    C'est un peu la lumière au bout du tunnel. Un espoir. À moins qu'il y ait derrière cette propagande un plan machiavélique... de nous amoindrir, de nous réduire à la misère matérielle et aussi psychologique. Ou encore les Libéraux et leurs complices auraient-ils adopté la philosophie dénoncée par un journaliste américain qui participait à l'émission Kiosque de TV5 et qui a déclaré dans l'essentiel : « Vous le savez, les Américains n'aiment pas les pauvres ».
    Au rythme où ils vont, ils en auront des pauvres à manger au déjeuner pour assouvir leurs bas instincts cupides et avides. Des « sarfs » comme nous disions avant l'avènement de la langue de bois.