L’Écosse tentée par le «modèle écossais»

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Les suites du référendum écossais et les enseignements à en tirer

23 septembre 2014 – Effectivement, il est assez surprenant de voir un parti qui a lancé une initiative d’une importance telle pour lui qu’elle forme l’essentiel de son programme et de son existence, recevoir, au lendemain de l’échec de cette initiative, de nouvelles adhésions aussi massives que celles qu’enregistre le Scottish National Party (SNP). Dans les 72 heures qui ont suivi le vote négatif sur l’indépendance, le SNP a reçu 11 000 nouvelles adhésions (voir Strategic-Culture.org, le 22 septembre 2014). Lundi soir, le SNP pouvait annoncer qu’il était sur le point de devenir le troisième parti du Royaume-Uni, – puisque Royaume-Uni toujours il y a pour l’Écosse, – avec ses 18 000 nouvelles adhésions depuis le jour du référendum. Présentant la nouvelle le 23 septembre 2014, le Guardian écrivait :
«As evidence emerged of the extent of the Labour no campaign’s referendum defeat in Glasgow, the SNP announced on Monday that its membership had jumped by 70% in four days. More than 18,000 people joined the party since Thursday, lifting its overall membership to a record level of 43,644. Peter Murrell, the party’s chief executive, tweeted that this put the SNP on course to overtake the Lib Dems’ total membership to make the SNP the UK’s third largest party, outstripping the UK Independence party’s 35,000 figure on the way.»
... Curieuse façon de saluer une défaite, ou bien alors ce n’est pas tant la défaite qu’on croit, et peut-être que le SNP et ses nouveaux adhérents, ceux qui ont afflué et ceux qui continuent à affluer sont-ils tourné vers autre chose, vers quelque chose qui est à venir ... Un nouveau référendum, par exemple, ou bien l’indépendance unilatéralement déclarée, purement et simplement ? C’est ce qu'Alex Salmond, président démissionnaire du SNP, déclare sans ambages. Lui qui disait la semaine dernière qu’il n’y a un tel référendum qu’une fois par génération (“une fois tous les vingt ans”) déclare maintenant qu’un nouveau référendum pourrait très vite survenir, voire une déclaration unilatérale d’indépendance de l’Écosse. “Il y a toujours des facteurs qui modifient les circonstances”, dit-il pour justifier son changement d’avis.
The Independent du 22 septembre 2014 rapporte le changement d’avis et les nouvelles prévisions du président démissionnaire du SNP. L’un des arguments conjoncturels principaux de Salmond est l’énorme majorité de moins de 55 ans qui ont voté pour l’indépendance, le gros des votes contre étant le fait des plus de 55 ans. La dynamique est claire à cet égard.
«The Scottish First Minister, who has said he is standing down after voters failed to back independence last week, said a referendum was the “best route” to statehood, but added that there were others. He said if the Scottish Parliament was given more powers until “you have a situation where you’re independent in all but name … “then presumably, you declare yourself to be independent”. “Many countries have proceeded through that route,” he said in an interview with Sky News’ Murnaghan programme.
»Mr Salmond has previously said that he would accept the referendum result and that it was a “once in a generation” event. However, he said on Sunday that “there are always things can change circumstances”, saying if the UK voted to leave the European Union then Scotland or if the main UK parties failed to honour a pledge to devolve more power to Edinburgh then having another vote would be justified.
»Mr Salmond also said that demographics would see support for independence rising in the coming years. “I mean when you have a situation where the majority of a country up to the age of 55 is already voting for independence then I think the writing’s on the wall for Westminster,” he said. “I think the destination is pretty certain, we are only now debating the timescale and the method.” “I think Scots of my generation and above should really be looking at themselves in the mirror and wonder if we by majority, as a result of our decision, have actually impeded progress for the next generation which is something no generation should do.”»
D’une certaine façon, on émettrait le paradoxe que le refus de l’indépendance qu’on attendait comme un couperet qui enterrerait les velléités écossaises pour longtemps, s’est transformé, à cause de circonstances diverses dont on parlera plus loin, en une sorte de sursis vers une issue (l’indépendance), qu'il s'est même transmuté brutalement en une perspective inévitable. On complèterait ce paradoxe par un autre, plus opérationnel : avec le référendum, tout ce qui a précédé, son exécution, etc., l’Écosse a établi une sorte de “modèle” (“modèle écossais”) pour les nombreuses régions, entités, etc., qui cherchent à acquérir leur indépendance (voir le 22 septembre 2014) ; le paradoxe auquel nous faisons allusion est que l’Écosse elle-même, l’Écosse post-référendum, en vient à s’appuyer sur son propre modèle, sur le “modèle écossais” dont elle découvre qu’il l’a dépassée dans ses actes et ses perspectives politiques, pour tracer de nouveaux plans vers ce qui lui paraît désormais être inéluctable. Étrange inversion vertueuse : alors qu’une victoire rendait les perspectives de l’indépendance écossaise acquise bien difficiles sinon émolientes pour le rythme politique, la défaite suscite au contraire la perspective d’une indépendance qui se fera coûte que coûte, même au prix d’événements dangereux, déstabilisateurs, radicaux, – et, dans ce cas, une telle indépendance à peine hypothétique aurait nombre d’aspects bien plus radicaux que celle qui serait sortie d’un 18 septembre victorieux.
Venons-en donc à l’élargissement du dossier puisque celui-ci s’avère bien plus lourd que prévu. En effet, comme nous l’avions déjà signalé, le “cas écossais”, en fait méritant bien son label de “crise écossaise”, s’est considérablement élargi pour devenir un cas fondamental intéressant directement le Système. Du coup, la marche vers l’indépendance, déjà perçue comme telle, s’installe définitivement dans la logique antiSystème. Pour accompagner cet élargissement, on citera deux commentaires qui placent la crise écossaise sous deux lumières complètement opposées, pour en faire pourtant un foyer antiSystème actif, et justifier autant d’un côté que de l’autre l’hostilité du Système qui s’est révélée extraordinaire, sinon hystérique dans les derniers jours avant le référendum ... C’était comme si, – et l’on reviendra là-dessus, également, – comme si, brusquement, sans que personne ne l’ait voulu ainsi ni n’ait rien prévu à cet égard, la crise écossaise acquerrait sa véritable valeur et sa réelle signification de foyer antiSystème au cœur du bloc BAO.
Le 18 septembre 2014, sur Russia Today, le journaliste britannique Neil Clark trace un historique des trente-cinq dernières années (depuis l’arrivée au pouvoir de Thatcher) de l’histoire de l’Écosse par rapport au pouvoir central de Londres. Dans cette perspective, la lutte pour l’indépendance, après l’épisode intermédiaire de la dévolution, devient une lutte contre le néolibéralisme thatchérien, le fameux TINA (There Is No Alternativep), qui est une des première manifestations du Système dans sa phase ultime d’affirmation à visage découvert. Selon cette logique, l’Écosse est décrite comme une entité fondamentalement liée à une vision socialiste fondée sur la solidarité de la collectivité sociale, opposée à l’individualisme déstructurant du Système...
«There was a big swing towards Thatcher’s Conservatives in London and the South East of England in the 1979 general election, but in Scotland, Labour actually increased their number of seats and their share of the Scottish vote. While voters in other parts of Britain were tempted by aspects of Thatcher’s program, the Scots never were. That shouldn’t surprise us.
»Socialism has a long and proud history in Scotland. James Keir Hardie, the first Independent Labour member of Parliament in the 1890s, was a Scot. Many of Britain’s leading and most high-profile socialists have been Scots, think not only of Keir Hardie, but trade union leaders Mick McGahey and Jimmy Knapp, and politicians/activists James Maxton, John Maclean, Tommy Sheridan, and George Galloway. Think too of the legendary and truly inspirational football manager Bill Shankly, the man who made Liverpool Football Club into such a major force. “The socialism I believe in is everyone working for each other, everyone having a share of the rewards. It’s the way I see football, it’s the way I see life,” Shankly declared.
»cottish socialism was forged in Scotland's industrial towns, cities, and mining communities – a collectivist ideology that put people before profits and whose adherents preached solidarity and working-class resistance. Throughout the period of Conservative hegemony from 1979-97, the Scots made it clear what they thought of the Tories and their neoliberal economic policies which had led to the destruction of Scotland’s industrial base and mass unemployment. The Conservatives' unpopularity plummeted even further when they introduced their hated Poll Tax in Scotland, before other parts of the country. In the 1987 general election, the number of Conservative seats in Scotland fell from 21 to 10. By 1997, this had been reduced to 0.
»Scottish left-wing voters hoped and expected that when Labour eventually returned to power in Westminster, they would make a clean break with neoliberalism and go back to the more collectivist policies of the 1945-79 period. They expected that Labour would support industry and put manufacturing before the interests of the bankers and speculators in the City of London. They were to be cruelly disappointed. The New Labour government of Tony Blair, which was elected in 1997, merely offered more of the same neoliberal policies. If that wasn’t bad enough, the Blairites' foreign policy was more aggressive and hawkish than even the Conservatives. The Labour betrayal of everything it had ever stood for was complete when Tony Blair took Britain into a neocon war in 2003 against Iraq alongside a hard-right Republican US President – a war sold to the public with fraudulent claims about Iraq possessing weapons of mass destruction. This came after Blair had already taken Britain into two other wars - the 1999 ’humanitarian’ bombing of Yugoslavia, and the 2001 invasion of Afghanistan.
»As Scotland‘s disenchantment with the pro-war, neoliberal Westminster elite grew, so did support for independence. In March 1979, two months before the advent of Thatcherism, the Scots voted in a referendum on devolution. Only 32.9 percent of the electorate voted ‘Yes.’ In 1997, however, the Scots voted overwhelmingly for devolution, with 63.5 percent voting for the new Scottish Parliament to have tax-raising powers...»
• D’un autre côté, d’un tout autre côté puisqu’il s ‘agit de l’antithèse extrême du socialisme, Ryan McMaken, de l’institut Ludwig von Mises (par l’intermédiaire de ZetoHedge.com du 22 septembre 2014), attaque la mobilisation du Système contre l’indépendance écossaise. Cette fois, il s’agit d’une critique violente du centralisme, de l’interventionnisme au nom d’une vision complètement libérale de l’économie, – le libéralisme orthodoxe et sans la moindre interférence mettant en accusation son faux-double qu’est le néolibéralisme où la puissance publique vient en aide aux puissances privées, souvent en position monopolistique, au profit desquelles se développe le marché. (Dans ce cas, le thatchérisme, qui était plus haut mis en accusation au nom de son néolibéralisme, l’est ici au nom de son interventionnisme, – c’est-à-dire de son “socialisme néolibéral”.) Le résultat est pourtant, à partir d’une vision si opposée, complètement similaire : l’Écosse est défendue contre l’attaque des puissances d’argent monopolistiques du Système, du centralisme londonien et des diverses organisations du bloc BAO, notamment de l’entité européenne qui est bien entendu de tous les mauvais coups avec ses tendances régulatrices (du socialisme autoritaire, pratiquement du communisme en faveur du néolibéralisme !) que dénonce le libéralisme orthodoxe, tout cela au profit des banques et du corporate poower qui reçoivent l’appui inconditionnel et fort soumis des pouvoirs publics.
«Global elite institutions and individuals including Goldman Sachs, Alan Greenspan, David Cameron and several major banks pulled out all the stops to sow fear about independence as much as possible. Global bankers vowed to punish Scotland, declaring they would move out of Scotland if independence were declared. According to one report : “A Deutsche Bank report compared it to the decision to return to the gold standard in the 1920s, and said it might spark a rerun of the Great Depression, at least north of the border.” When it comes to predictions of economic doom, it doesn’t get much more hysterical than that. Except that it does. David Cameron nearly burst into tears begging the Scots not to vote for independence.
»The elite onslaught against secession employed at least two strategies. The first involved threats and “for your own good” lectures. Things will “not work out well” for Scotland in case of secession, intoned Robert Zoellick of the World Bank. John McCain implied that Scottish independence would be good for terrorists. The second strategy involved pleading and begging, which, of course, betrayed how truly fearful the West’s ruling class is of secession. In addition to Cameron’s histrionics based on nostalgia and maudlin appeals to not break “this family apart,” Cameron attempted (apparently successfully) to bribe the Scottish voters with numerous promises of more money, more autonomy, and more power within the UK.
»The threats that focused on the future of the Scottish monetary system are particularly telling. The very last thing that governments in London, Brussels, or Washington, DC want to see is an established Western country secede from a monetary system and join another in an orderly fashion. Political secession is bad enough, and is a thorn in the side of the EU which clearly hopes to establish itself someday as a perpetual union with no escape option. A successful withdrawal from a major global currency, even if to join the EMU later, would imply that countries have monetary options other than being absorbed wholesale (and permanently) by the EMU... [...]
»...As predicted by Martin Van Creveld and a host of other observers of trends in state legitimacy, the state’s status as the central fact in the political order of the world continues to decline with smaller national groups and economic regions breaking up the old order in favor of both local autonomy and international alliances. The Scottish secession effort is simply one of many recent examples. The short-term defeat of the referendum will do little to alter this trend.
»In addition, the economic realities of the modern world with constantly-moving capital and labor will continue to undermine the modern nation-state which has been largely built on the idea of economic nationalism and the myth that national economic self-sufficiency can be obtained...»
Inventer la “révolution postmoderniste”
Le 16 septembre 2014, nous avions publié un Faits & Commentaires sur le thème de “comment devenir une crise” à propos de l’Écosse, ou “comment l’Écosse est devenue une crise”. D’une part, nous écrivions ceci, à propos de la responsabilité de la transmutation de la question écossaise en crise écossaise :
«Comme d’habitude, dans cette affaire c’est le Système qui a créé lui-même le problème qui l’embarrasse. Comme d’habitude, ce sont l’incurie et l’irresponsabilité des relais du Système, en l’occurrence des partis-Système (les tories dans ce cas), qui ont conduit à l’opérationnalisation de la question de l’indépendance écossaise. Comme d’habitude, la certitude de la surpuissance mise en œuvre par le Système, tout comme cette certitude de pouvoir tenir les indépendantistes à distance grâce aux moyens du système de la communication et à la pseudo autorité/légitimité du centre londonien, ont motivé le risque pris qui est apparu comme mineur et aisément “gérable”. Comme d’habitude, ce ne fut pas le cas (pas “gérable”). Comme d’habitude, c’est le Système lui-même qui a déterré la hache de guerre, – une de plus, – qui allait créer un front antiSystème de plus.»
D’autre part, nous avancions clairement l’idée que la crise était promise à durer, notamment et peut-être encore plus sûrement, en cas de victoire du “non”. C’était impliquer que l’affaire écossaise était devenue une crise écossaise qui dépassait évidemment la seule question du référendum du 18 septembre et de son résultat, et même dépassant la seule question de l’indépendance de l’Ecosse. Sur la question du développement de la crise en cas de victoire du “non”, nous écrivions ceci :
«La première question de commentaire qui vient sous la plume est celle du retentissement du vote écossais. En d’autres termes, et en écartant le cas du “oui” dont les effets sont évidents, la question devient de savoir si, en cas de victoire du “non”, le dossier ainsi ouvert sera simplement clos, et la crise terminée ? Notre réponse tendrait à être négative, d’abord parce que des remous sont à prévoir en Ecosse et en Angleterre même, ensuite parce que cette affaire écossaise est devenue “crise” non pas à cause du seul sort de l’Écosse, mais à cause de tout ce que le sort de l’Écosse a révélé à cette occasion. La question de l’indépendance écossaise est devenue une “crise”, et la crise s’est constituée en dépassant la question de l’indépendance écossaise pour ranimer ou électriser toutes les tensions sous-jacentes des forces centrifuges, de dévolution, etc. Nous ne sommes même pas assurés du tout, et même au contraire, de ce qu’un vote négatif réglerait, même temporairement, le problème de l’indépendance écossaise en Écosse même, et dans la situation interne du Royaume-Uni. (Sans parler de l’évidence qu’un vote positif ferait automatiquement monter la crise vers son contexte international, avec des effets immédiats de grande tension dans nombre de pays.)
»Finalement, ce qu’a révélé la question écossaise et qui a fait qu’elle est devenue une crise, c’est l’existence d’une ligne de tension de plus affectant les activités du Système. Cette ligne de tension était connue en théorie, comme le sont toutes les lignes de tension créées par le Système, – et le Système ne peut créer rien d’autre que des lignes de tension, – mais l’“opérationnalisation” écossaise l’a faite sortir du plan théorique, justement, pour l’activer opérationnellement. C’est donc une nouvelle chaîne crisique qui est mise à jour, et l’on comprend alors que le phénomène dépasse évidemment l’Écosse, et même le résultat du vote de jeudi, – même si l’Écosse, quoi qu’il en soit du résultat de jeudi, doit rester à la place d’honneur...»
Ces supputations sont aujourd’hui largement substantivées par diverses situations évidentes. Les promesses faites à l’Écosse pour que le “non” l’emporte sont l’objet de tensions très fortes au sein des partis nationaux, particulièrement chez les tories, et aussi entre les partis nationaux avec en plus le joker menaçant de la montée du parti nationaliste UKIP. Ces promesses, qui donnent des avantages considérables à l’Écosse, sont difficilement supportées par les représentants de l’Angleterre, sans même considérer que d’autres entités du Royaume-Uni, comme le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, pourraient demander des avantages équivalents. On voit alors très mal comment les promesses faites pourraient être tenues sans provoquer des crises graves au sein de la direction politique britannique en général, et à l’inverse comment une révolte écossaise n’aurait pas lieu, jusqu’à une proclamation unilatérale d’indépendance, si ces promesses ne sont pas tenues. Or, le débat de réalisation de ces promesses est attendu pour immédiatement après les élections de 2015 et l’on peut dire, à cet égard, que la campagne a déjà commencé, y compris la campagne pour un nouveau référendum ou pour une déclaration unilatérale d’indépendance dans la période commençant après la fin du printemps 2015 (élections générales au Royaume-Uni, au plus tard en mai 2015).
La situation sera alors considérablement plus tendue, si l’on considère les premiers signes dans ce sens. Le formidable afflux d’adhérents au NRP, qui fait d’un parti “régional” indépendantiste (ou “national écossais”) le troisième parti “national”/UK en nombre d’adhérents, implique une mobilisation considérable. Cette mobilisation reflète la situation du vote indépendantiste telle que l’a définie Salmond. Les plus jeunes, les plus combatifs, ont voté pour l’indépendance, et ce sont eux qui rejoignent le NRP, fournissant au parti indépendantiste une masse de manœuvre qui pourrait exiger elle-même des initiatives extrêmes selon les circonstances et les événements. En ce sens, il se pourrait bien que le NRP soit en train de commencer sa transformation en un parti de plus en plus activiste, – on n’irait pas jusqu’à dire “révolutionnaire” mais presque, – ou bien l’on dirait “révolutionnaire postmoderniste”, la formule restant à définir ou bien à se constituer d’elle-même au gré des événements. Et, dans ce cas, l’orientation du NRP est moins purement indépendantiste, qu’indépendantiste dans un esprit d’antagonisme vis-à-vis des élites-Système londoniennes (politique, sociétales, financières, de communication) qui se sont mobilisées jusqu’à l’hystérie contre l’indépendance dans les derniers jours de la campagne du 18 septembre. L’on voit alors le schéma opérationnel qui se dessine : la dynamique pour l’indépendance dans cette deuxième phase devient majoritairement une lutte antiSystème, le Système étant fort justement représenté par le centre londonien ayant réussi à embrigader la partie la plus conservatrice par l’âge et les situations acquises en Écosse. Il y a là tous les éléments pour pousser à la constitution d’un foyer de révolte au cœur même du Royaume-Uni, pays central du bloc BAO. Dans ce cas, l’on comprend combien deux tendances si viscéralement opposées, – les tendances socialistes traditionnelles de l’Écosse et les tendances orthodoxes libérales antiétatistes se retrouvent, sans s’entendre sur rien par ailleurs, pour constituer un front de soutien de l’Écosse indépendantiste, contre le Système dans sa composante londonienne, identifiée comme une sorte de “socialisme néolibéral”, – c’est-à-dire la puissance publique mise au service des forces monopolistiques privées constituées à l’intérieur du Système, – formule-Système par excellence.
Ainsi la question écossaise, qu’on osait à peine qualifier de crise écossaise avant le scrutin, devient-elle une véritable crise au cœur du Royaume-Uni. Le “modèle écossais”, lui, est en train de se structurer formidablement, d’acquérir une psychologie collective de “modèle” à forte potentialité de contestation antiSystème, avec des potentialités de véritable révolte dont l’opérationnalité reste à définir pour notre époque postmoderniste, mais qui pourrait créer ces nouvelles conditions. En ce sens, l’on pourrait dire que le “modèle” pourrait bien avoir dépassé son créateur pour devenir une référence vers laquelle ce même créateur devrait se tourner à son tour pour développer une capacité de puissance de révolte. Là-dessus, on ne manquera pas d’ajouter les événements à prévoir entretemps, comme l’évolution de la situation en Catalogne au mois de novembre, qui ne peuvent que renforcer dans le sens de la contestation le “modèle écossais” tel qu’on le représente ici.
C’est par conséquent bien un nouveau modèle de crise qui se développe, au cœur même du bloc BAO. Il devient possible, à ce point, d’envisager l’hypothèse que le “modèle écossais“ est en train de devenir la référence fondamentale d’un germe de révolte de type postmoderniste, c’est-à-dire de déstructuration et de dissolution, à l’intérieur du bloc BAO. Il va de soi que, dans les conditions qu’on décrit, les principes qui sont si précieux en temps normal, dans les temps où le monstrueux Système ne fait pas trop peser sur la marche des choses ses pressions elles-mêmes déstructurantes et dissolvantes, ces principes n’ont plus guère de valeurs imposées et se trouvent dans une situation de redéfinition complète et bouleversante. On pense évidemment à la souveraineté nationale, qui se trouve mise à mal par des poussées telles que celle du “modèle écossais” ; la réponse à apporter à cette remarque est assez simple et tient dans le seul constat que ce principe de la souveraineté qu’on craint de mettre à mal, se trouve lui-même dans un état de dissolution accélérée dans le cadre d’un Système où la puissance publique (garante en principe de la souveraineté) n’est plus qu’un appendice des puissances privées liées au Système, avec comme seule tâche de rassembler les richesses venues des populations, pour les redistribuer vers ces puissances privées du système (système financier notamment). De ce point de vue, le “modèle écossais”, dans son développement en cours et à venir, aura très certainement la vertu de nous exposer la situation telle qu’elle est devenue, — comme le roi, la “vérité de situation” mise à nue.
Bien entendu, dans cette sorte de prospective dynamique qu’on envisage, la question européenne, – eurosceptique ou pas, Londres plus ou moins européen, que ferait une Écosse indépendante vis-à-vis de l’UE, – devient complètement académique. Quand on parle d’un brandon incandescent comme le “modèle écossais” dans sa fonction antiSystème, on comprend que ce “modèle”, qui est un danger mortel pour Londres en tant que l’un des centres du Système, est aussi bien un danger mortel pour l’UE, pour sa centralisation de type “socialiste néolibéral”, pour sa pression totalitaire exercée sur le domaine qui lui est confiée. On comprend que l’on parle de la possibilité d’événements complètement inédits, éventuellement brutaux, – d’une “brutalité postmoderne” à inventer, – qui pourraient constituer l’une des clefs que l’on cherche depuis des décennies, depuis la fin du communisme, depuis que la révolution classique ne peut plus être faite... Dans ce cas, la courageuse Écosse aurait bien mérité de l’antiSystème.


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