L'opinion de Bernard Landry #46

L'Église a péché

L'Église du Québec reflète aussi un défaut québécois qui cherche souvent à se déguiser en qualité: la complaisance.

L'opinion de Bernard Landry


Encore au temps de mes études collégiales, nos maîtres, tous religieux, nous répétaient avec conviction: "La langue est la gardienne de la foi". Cela constituait une raison puissante de leur ardeur à défendre la langue française. Ils le faisaient tous d'ailleurs admirablement.
Une première relativisation de cette doctrine est venue du fait que des millions d'américains de la Nouvelle-Angleterre, émigrés du Québec, tout en restant plus catholiques que nous, avaient massivement perdu leur langue d'origine. Visiblement, le rôle de la gardienne n'était pas réversible.
Au Québec, comme conséquence collatérale de la révolution tranquille, le vieil axiome est devenu totalement obsolète. Pendant que les églises se vidaient, notre État national prenait le relais. C'est la Loi 101 et l'action de Camille Laurin qui ont mis en place une défense essentielle de notre héritage linguistique.
On ne doit pas pourtant oublier que l'Église, tant qu'elle a été puissante, c'est à dire pendant très longtemps, a joué un rôle prépondérant dans notre résilience. Ses motivations spirituelles et culturelles convergeant, l'action ecclésiastique a contribué à donner une cohérence remarquable à notre nation. Sans compter son impact sur notre prodigieuse natalité, une des plus importantes de l'histoire humaine. Le rôle de l'Église dans l'éducation à tous les niveaux a été déterminant. Les religieuses, les frères, les pères, les prêtres éduquaient la jeunesse par motivation spirituelle et culturelle, sans conventions collectives et avec une efficacité plus que comparable à ce qui se fait aujourd'hui.
C'est justement grâce à leur travail et à leur engagement valeureux que je trouve injuste l'expression "grande noirceur". Autant de lumière n'aurait pu surgir en 1960 d'une obscurité antérieure aussi opaque. Cette lumière est largement redevable à l'action formatrice des religieux. René Lévesque a étudié au séminaire de Gaspé, Georges-Émile Lapalme à celui de Joliette. Les abbés Dion et O'Neil ont éveillé bien du monde.
L'Église a-t-elle déjà trahi notre cause nationale? Il faut admettre que oui mais elle croyait bien faire. Elle a conclu un pacte de non-agression plus ou moins formel avec nos colonisateurs anglais. En gros, elle leur disait: "Laissez-nous diriger nos fidèles en paix et dans leur langue, et nous ne perturberons pas votre exercice du pouvoir politique et économique." C'est en raison de cet "indirect rule" que les patriotes de 1837 furent excommuniés! Il faut dire que les curés de campagne avaient eu tendance à les supporter. C'est la haute hiérarchie qui a commis l'infâmie. Ce n'est que dans les années quatre-vingts que le repentir fut exprimé.
Par la suite, on peut dire qu'une honnête majorité d'hommes d'Église supportèrent non seulement notre langue, mais pour plusieurs d'entre eux, et ardemment, nos objectifs d'émancipation nationale. Des Clercs de Saint-Viateur, les pères Farley et Lamarche (inspirateurs de Lacoursière et Vaugeois) de même que l'abbé Lionel Groulx et bien d'autres consolidèrent nos connaissances historiques. Un jésuite, le regretté Jacques Couture, fut ministre dans le gouvernement de René Lévesque. Plus récemment, l'abbé Raymond Gravel fut député du Bloc québécois.
D'ailleurs, au cours des dernières semaines, ce sont de vaillants ecclésiastiques qui ont mis en lumière, ce qui peut ressembler à une suprême ingratitude de l'Église du Québec, à Montréal en particulier: sa contribution à l'anglicisation des nouveaux arrivants. La foi ne serait plus gardienne de la langue, désormais elle la déservirait. L'Église, par son penchant naturel à l'ouverture et à la fraternité universelle (catholique signifie précisément universel) s'est laissée distraire de son devoir civique et historique envers notre nation. Elle doit réagir vigoureusement.
[L'Église du Québec reflète aussi un défaut québécois qui cherche souvent à se déguiser en qualité: la complaisance->24654]. Nous avons attendu 1977 pour envoyer les enfants des immigrants aux mêmes écoles que les nôtres. La moitié d'entre eux va encore au collège anglophone. Notre État national traite plusieurs immigrants comme s'ils faisaient partie de notre minorité anglophone traditionnelle de 8%. Plusieurs des nôtres passent à l'anglais dès qu'ils perçoivent un accent étranger chez l'interlocuteur. Oui l'Église a péché. [Oui elle doit réparer et avoir le ferme propos de ne plus recommencer. Mais hélas, au gouvernement comme ailleurs, beaucoup sont mal placés pour lui jeter la première pierre.->24707]
Bernard Landry


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