Dans l’histoire canadienne, les situations de guerre ont constitué des exceptions circonscrites dans le temps. Elles ont également été accompagnées de mesures d’exception où le rôle de l’État a été accru et où les libertés individuelles ont été restreintes. Les deux guerres mondiales en sont l’exemple le plus connu. Le contexte actuel de guerre contre le terrorisme est tout à fait différent des autres périodes où le Canada était en guerre et la limitation des libertés civiles permise par la loi C-51 doit s’exercer avec un encadrement particulier.
Les deux conflits mondiaux du XXe siècle respectaient, du moins en apparence, les « lois » de la guerre généralement reconnues. Les responsables des holocaustes arménien et juif ont tout fait pour cacher ces attaques délibérées contre une population civile. Les belligérants représentaient des États souverains. La durée du conflit était encadrée au départ par une déclaration de guerre, et il se terminait avec un traité de paix. Son déroulement consistait en l’affrontement de deux camps symétriques, c’est-à-dire des camps composés d’armées sensiblement similaires en matière de structure de commandement, de formation, d’armement et d’objectifs tactiques et stratégiques. Graduellement, les États ont reconnu des limites à leurs actions en signant les différentes conventions de Genève et acceptant la présence de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge. Ne pas se conformer à ces « lois » pouvait être retenu contre le perdant à la fin du conflit.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons davantage assisté à des conflits asymétriques où une armée étatique affronte un adversaire très différent de lui. C’est le cas des différentes guerres de libération de la période de décolonisation. La guerre froide n’a pas opposé directement les États-Unis et l’URSS, mais un des deux contre l’allié de l’autre comme dans le cas des États-Unis au Vietnam ou des Soviétiques en Afghanistan. La guerre contre le terrorisme entre dans cette catégorie asymétrique, même si certains peuvent argumenter que le groupe État islamique (EI) est un État.
La guerre asymétrique ne respecte aucune des « lois » de la guerre. Il n’y a pas de déclaration de guerre, et un éventuel traité de paix entre EI et ses ennemis est fort improbable. Les blessés, les prisonniers de guerre et les civils sont à la disposition de leurs bourreaux qui en abusent ouvertement sans merci. Rien n’empêche le recours généralisé aux enfants-soldats et aux attentats suicide. Les soldats des armées étatiques sont fortement susceptibles de vivre un syndrome post-traumatique. Le suicide est la première cause de mortalité dans l’armée israélienne.
La loi C-51 s’inscrit dans le contexte de la guerre asymétrique en limitant les libertés civiles comme cela s’est fait lors des conflits traditionnels. Le SCRS ne se contente plus de collecter de l’information, mais peut intervenir contre des suspects. La détention préventive sans mandat est permise. On limite la liberté d’expression, mais on élargit les échanges de renseignement entre les agences.
Lors de la campagne électorale qui commence, la question de l’encadrement des agences de sécurité dans un contexte de guerre asymétrique doit être soulevée. C-51 n’est pas soumis à l’encadrement qui s’exerçait sur les limitations en temps de guerre alors qu’on savait quand cela débutait et se finissait. La guerre asymétrique n’a pas de début ni de fin.
Je suggère que dans le cas où un citoyen canadien considère que ses libertés constitutionnelles ont été brimées dans le cadre de C-51, le fardeau de la preuve revienne à l’État. Une forme de tribun du peuple comme il en existait dans la République romaine aurait le pouvoir de suspendre les procédures contre le plaignant le temps que l’État se justifie devant un tribunal civil. Les frais sont à la charge de l’État. C-51 est une loi d’exception qui s’exerce de façon permanente. Il faut éviter la tentation de la dérive totalitaire.
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