L'opinion de Bernard Landry #63

L'Euro: mort ou vif?

Crise de l'euro


La monnaie européenne a dix ans. Malgré son jeune âge, l'euro est assez brillant pour dépasser en valeur le dollar américain encore à ce jour en dépit de l'horrible maladie infantile qui le frappe. Ce mal a des causes réelles, d'autres plutôt artificielles.
Un des pays de la zone euro, la Grèce, vit de graves difficultés financières. Une longue négligence populiste interne en est la cause principale. L'intoxication venant des mauvais conseils des financiers de Wall street a poussé le pays à falsifier sa comptabilité. La Grèce a quelques millions d'habitants de plus que le Québec, mais une économie moins forte et moins diversifiée. Les malheurs d'une telle entité ne devraient pas être suffisants pour faire chavirer l'immense navire monétaire européen dont elle ne constitue qu'une faible part du tonnage.
C'est vrai qu'il y a quelques autres pays d'Europe qui ne sont pas en pleine forme. Les médias anglo-saxons, de façon méprisante, appellent ces moins bien gérés les "PIGS": Portugal, Italie, Grèce et Espagne (Spain). Les vingt-trois autres membres de la zone monétaire européenne sont quand même assez musclés pour aligner plus de mille milliards d'euros pour servir de garantie contre le pire. Pourquoi donc les malheurs d'un pays si économiquement modeste, ont-ils ébranlé le destin de l'euro?
D'abord la devise commune a été victime de la meute des spéculateurs qui, sans égard pour l'intérêt collectif, ne cherchent qu'à s'enrichir en alimentant des paniques. Une baisse leur permet d'acheter pas cher pour vendre à profit quand le beau temps revient. On connaît la chanson: "Il faut acheter au canon (bas) et revendre au clairon (haut)". Ce n'est donc pas le fond des choses seulement, qui est en cause, mais quand l'angoisse gagne, réelle ou provoquée, les dégâts peuvent être très lourds.
L'euro est également victime de son adolescence. Une défaillance de jeunesse, pourrait-on dire. Ce formidable idéal d'une monnaie commune, que l'Angleterre boude toujours, comme elle l'avait fait pour l'Union européenne à son début, s'est réalisé avec plus d'enthousiasme que de précautions. On a bien établi des règles de gestion -trois pour cent du PIB comme déficit budgétaire maximum par exemple- mais elles n'étaient pas suffisantes et surtout, pratiquement inappliquées. Et pas seulement par la Grèce. Parlez-en aux Italiens, aux Français et à d'autres!
Est-ce à dire que l'euro est mourant, comme le laissent entendre ses adversaires ou ceux dont il fait l'envie? Cette monnaie commune est l'étape ultime d'une formidable aventure de coopération internationale: l'intégration économique dans le respect des indépendances nationales.
En 1957, six nations qui s'étaient affrontées avec barbarie plusieurs fois dans l'histoire, causant un nombre incalculable de morts -cinquante millions entre 39 et 45 seulement- ont décidé d'établir entre elles une paix durable et solide. Par le traité de Rome, elles ont fait naître une zone de liberté totale de circulation des biens, des services, des capitaux, et même des personnes. Preuve du succès de cette entreprise: même la Grande Bretagne a fini par décider de rejoindre l'Union.
Après près d'un demi-siècle de fonctionnement de ce libre échange et de cette fluidité exemplaire, pourquoi les Européens ont-ils décidé audacieusement de se rendre à l'union monétaire? Parce que, lorsque toutes les barrières sont tombées, il en reste une, potentiellement la plus perverse et la plus hypocrite, la monnaie. Jouer avec la valeur de sa devise, change le prix des ventes à l'étranger ce qui crée une forte tentation de concurrence déloyale. L'autre ne peut pas, comme autrefois, se défendre par des droits de douane: il n'y en a plus. Il s'agissait donc d'une opération d'une logique implacable, bien que comportant certains risques: disparités économiques, manque de discipline, ou les deux, comme dans le cas de la Grèce.
Combien d'avantages par ailleurs. Les Européens de la zone ont payé leur pétrole beaucoup moins cher à cause de l'euro, et toutes leurs autres importations. Les prix à l'exportation ont monté, mais ce n'est pas forcément désastreux quand les produits sont excellents. Et que dire de l'avantage pour les touristes européens qui n'ont plus à changer d'argent en payant des frais, et qui peuvent comparer facilement les prix d'une chambre à Paris et à Rome. Même pour les étrangers, ce n'est pas sans attraits.
Devant tous ces avantages, les Européens vont tout faire pour mener sagement l'euro à l'âge adulte. C'est à souhaiter pour eux et pour le monde.
Bernard Landry


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