L’exécution publique dont a été l’objet Mario Beaulieu depuis une semaine me fait penser à celle qui s’était abattue sur ce « salaud » de Mgr Ouellet il y a quelques années. Rappelez-vous l’hystérie qui s’était emparée de nos bonnes âmes lorsque l’archevêque de Québec avait osé s’exprimer à la commission Bouchard-Taylor. Pourtant, le cardinal n’avait rien dit d’extraordinaire. Il avait simplement rappelé la position traditionnelle de l’Église sur l’avortement. La question que posait au fond Mgr Ouellet était la suivante : Québec, qu’as-tu fait de ton baptême ? Question insupportable pour les catholiques honteux que nous sommes demeurés et qui croient à tort avoir réglé leur compte avec l’Histoire.
Il se passe exactement la même chose aujourd’hui avec Mario Beaulieu. Pourquoi tant de haine et tant de hargne ? Pourquoi tant d’unanimité parmi notre clergé médiatique ? Pour la raison bien simple que, malgré toutes ses maladresses, ses positions un peu carrées et sa rhétorique approximative, Mario Beaulieu nous rappelle quelque chose que nous ne voulons pas voir. Alors, vite qu’on le brûle sur le bûcher de nos rêves déçus.
Pourquoi ce slogan « Nous vaincrons » soulève-t-il tant de colère ? Cela n’a rien à voir avec le FLQ. Ces mots n’ont d’ailleurs jamais été la propriété du FLQ. À l’époque, ils étaient repris un peu partout dans les assemblées syndicales et les manifestations. Et puis, qui peut s’imaginer que Mario Beaulieu a le profil d’un terroriste ?
Ce qu’on reproche à Mario Beaulieu, c’est de nous ramener brutalement à une époque que nous avions rayée de notre mémoire. En entendant la foule scander « Nous vaincrons », ceux qui s’en souviennent ont revu les combats pour la défense de la langue, les émeutes de Saint-Léonard, la lutte contre le bill 63, le Samedi de la matraque, ces coups de boutoir d’une minorité nationale forcée de résister pour survivre.
Ce n’est peut-être pas le fruit d’un vaste bilan ni d’une stratégie mûrement réfléchie, mais Mario Beaulieu a intuitivement compris qu’après deux échecs référendaires nous en étions revenus là. Il a compris que ces classes bilingues en sixième année avaient des relents de bill 63, que la bilinguisation accélérée de Montréal n’avait absolument rien à envier à ce qui se passait en 1969 à Saint-Léonard. Et il a compris qu’une partie de nos élites regardait ailleurs comme souvent.
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En bon patriote, au lieu d’organiser un colloque, Mario Beaulieu est allé chercher sa fourche pour se défendre. C’est ce que lui reprochent nos élites mondialisées pour qui la souveraineté n’est plus qu’une fleur à la boutonnière de l’universalisme marchand ou humanitaire. C’est ce que ne lui pardonnent pas tous ces souverainistes qui croyaient le nationalisme dépassé et avec lui tous les combats de la survivance. Ceux pour qui il n’y a plus d’ennemi, seulement des « partenaires » à convaincre de notre bonne foi. Il y a dans l’indignation de Gilles Duceppe cette conviction étrange que les Québécois feront l’indépendance non pas en se battant pied à pied pour leurs droits, leur langue, leur Code civil, leur culture, leurs traditions, leur mode de vie, mais en démontrant au reste du pays qu’ils sont respectables et « modernes », gentils et « ouverts ». Et ce serait encore mieux s’ils parlaient anglais sans accent — pour ne pas dire avec celui « de Milton et Byron et Shelley et Keats » comme a dit une grande poète. Un peu comme à l’époque on gagnait son ciel en tendant l’autre joue.
Avec ses souliers de boeuf, Mario Beaulieu est venu déranger la belle société qui prenait le thé à Ottawa. Exactement comme le fit notre regretté Pierre Falardeau lorsqu’une insouciante jeunesse, refusant le tragique de l’histoire, s’apprêtait à aller jouer à la guerre sur les plaines d’Abraham pour fêter le 250e anniversaire de notre providentielle Conquête.
Que reproche-t-on à Mario Beaulieu au juste ? D’avoir instinctivement senti la détresse de notre condition de Québécois soudainement et violemment ramenés à leur cruelle situation de Canadien français. D’avoir spontanément ressenti que, malgré les éphémères discours sur la « nation », les tragiques défaites dont nous ne nous relèverons peut-être jamais nous ramenaient brutalement à notre dure et terrible réalité de minorité nationale, depuis deux cents ans en voie de marginalisation au Canada. Bref, que nous ne sommes toujours pas « arrivés à ce qui commence », comme le croyait Miron.
« Qu’avons-nous fait au juste depuis 1960 ? Avons-nous célébré la fête exaltée que se donne une société avant d’entrer dans une agonie plus silencieuse ? » Qui pourrait croire que cette citation de Fernand Dumont date de 1970 dans La vigile du Québec ? Il faut tout le courage d’un intellectuel prêt à affronter l’Histoire comme Serge Cantin (La souveraineté dans l’impasse, PUL) pour nous la rappeler.
Et Cantin de conclure avec Renan : « Souvenons-nous que la tristesse seule est féconde en grandes choses, et que le vrai moyen de relever notre pauvre pays, c’est de lui montrer l’abîme où il est. »
Bonne fête nationale quand même.
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