L’illusion de la majorité

Chronique de Louis Lapointe

L’actuel débat sur les valeurs québécoises aura probablement un effet révélateur sur ceux qui y participeront.
C’est d’ailleurs déjà commencé.
Pour ma part, jamais je ne défendrai l’idée de conserver le crucifix à l’Assemblée nationale, ni la prière à Saguenay.
Jamais je ne reconnaîtrai non plus la légitimité de la Charte canadienne des droits et libertés pour trancher ce débat.
Toutefois, je suis suffisamment lucide pour reconnaître que, quels que soient les résultats du présent exercice démocratique, ce sera la Cour Suprême qui aura le dernier mot.
Quand ce moment surviendra, elle ne s’appuiera pas sur les valeurs québécoises pour le prononcer, mais bien sur les valeurs canadiennes.
Faire cette bataille à l’ intérieur du carcan fédéral, c’est donc accepter de la perdre d’avance, peu importe la générosité de nos valeurs ou de nos sentiments.
L'histoire du Québec est celle d'un peuple conquis qui subit le dictat de la majorité canadienne, point à la ligne.
Une nouvelle charte sur les valeurs s’ajoutant aux trois autres et nous présentant encore une fois comme une majorité démocratique n’y changera rien.
Mon analyse de la situation n’a pas changé depuis 2007.
Sans l’accession à l’indépendance, sans pays, les Québécois ne pourront jamais constituer une majorité à l’intérieur du Canada.
Prétendre le contraire, c’est se mentir à soi-même.
Le mensonge des chartes
«Les Québécois auraient la chance de bénéficier de la protection de plusieurs chartes : la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et la Charte de la langue française. Ces trois chartes ont toutes en commun qu’elles induisent le postulat que les Canadiens français du Québec forment une majorité. Une lecture contraire à la réalité !
Par une fiction purement juridique, ces chartes transforment une minorité canadienne de langue française en majorité québécoise, de sorte que les Canadiens français du Québec ne peuvent pas jouir de la même protection juridique que les autres minorités canadiennes et québécoises. Comble de l’ironie, ils sont moins bien protégés que les Canadiens anglais du Québec, qui eux possèdent le statut de minorité, alors que nous baignons dans une mer d’anglophones.
Dans un tel contexte, nonobstant le fait qu’une loi puisse bénéficier de l’exception du caractère raisonnable, ce qui n’est pas le cas ici en vertu du jugement majoritaire de la Cour d’appel, la Charte de la langue française ne pourra jamais trouver grâce aux yeux des tribunaux puisqu’elle ne peut objectivement passer les tests de légalité des deux chartes des droits, qui offrent leurs protections seulement aux minorités. Ce que les Canadiens français ne sont pas en vertu de nos chartes.
Bien qu’étant une minorité au sein du Canada, les Canadiens français ont été transformés légalement en majorité de la même façon que le Canada a parqué légalement ses autochtones dans des réserves. Les lois canadiennes et québécoises ont créé de toutes pièces, par de pures fictions, des situations discriminatoires envers deux des trois peuples fondateurs à l’encontre de la réalité des faits objectifs. Ils ont sacrifié ces peuples sur les autels du multiculturalisme au Canada et de l’interculturalisme au Québec. Peu importe les mots, les résultats sont les mêmes.
Comme on peut le constater, le problème de nos chartes, c’est qu’elles-mêmes ne passent pas le test de l’objectivité des faits qu’elles interprètent. Elles décrivent une réalité tout autre que celle que nous percevons et vivons chaque jour sur le terrain. Elles appellent majorité une minorité et minorité une majorité.
Dans un tel contexte, les jugements rendus par les cours de justice ne peuvent pas être cohérents avec la réalité sociologique et dans cette perspective, la Charte de la langue française continuera à être grugée et invalidée d’une cause à l’autre par les tribunaux tant que la fiction légale décrite dans les chartes ne correspondra pas à la réalité objective des faits sur le terrain. Les Canadiens français forment une minorité au sein du Canada même s’ils donnent l’illusion d’être majoritaires au Québec, et leur langue est menacée par la langue anglaise.
La grenouille québécoise qui se croit aussi grosse que le boeuf canadien continuera donc à se dégonfler au fil des jugements jusqu’à ce qu’elle soit complètement disparue. Le fait que nous soyons maintenant une nation reconnue au sein du Canada ne fera qu’accélérer ce processus. Cette nouvelle fiction encouragera les tribunaux à interpréter les chartes comme si nous étions désormais une majorité bien établie à l’abri de tout danger. Encore là, il s’agit d’une fiction qui ne passe pas le test des faits. À force de s’enfler de fausses reconnaissances comme celle de nation et de société distincte, notre bulle chimérique, à défaut de se dégonfler, finira par éclater. Comment peut-on objectivement être une nation sans l’attribut fondamental qu’est la souveraineté ?
Comme le Québec risque de ne jamais accéder à cette essentielle souveraineté, préférant l’illusion tranquille de la reconnaissance canadienne à la tourmente indépendantiste, le législateur québécois devrait faire preuve de plus de prudence et de rigueur lors d’adoption de lois qui protègent ses minorités. Tout d’abord, les chartes québécoises devraient mieux décrire la réalité sociologique du Québec : les Canadiens français ne forment pas une majorité, encore moins une majorité linguistique, ils forment une minorité prépondérante de langue française sur le territoire du Québec. Ils doivent donc obtenir cette reconnaissance s’ils veulent bénéficier d’une protection pleine et entière des chartes québécoise et canadienne des droits.
Dans un tel contexte, la Charte de la langue française serait légitimée de protéger cette minorité prépondérante en péril au sein du continent nord-américain. Les cours de justice ne pourraient alors continuer à invalider la Charte de la langue française chaque fois qu’un présumé nouvel anglophone réclame plus de droits pour sa majorité non prépondérante de langue anglaise.
À cet égard, l’article 15 de la Charte canadienne des droits reconnaît le droit à l’égalité pour toutes les minorités et comme corollaire, le droit à une protection légale. Le législateur québécois devrait donc s’appuyer sur l’article 15 de la Charte canadienne pour amender les deux chartes québécoises en reconnaissant le caractère prépondérant de la minorité canadienne française sur le territoire du Québec. Les enjeux seraient alors plus clairs puisque nous aurions dès lors cessé de nous bercer d’illusions sur notre présumée existence majoritaire, sachant que la seule façon pour les Canadiens français de devenir majoritaires au sein du Québec serait d’accéder à la souveraineté.»

Le mensonge des chartes, Le Devoir, le vendredi 24 août 2007.

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2013

    Voilà plus de trente ans que les gouvernements québécois usent de subterfuges et de pis-aller pour tenter de contourner l’écueil mortel que constitue pour les Québécois le fait de ne pas être un État au sens plein du terme, et, presque toujours, en sachant pertinemment que ça ne peut, en définitive, fonctionner tant que le Québec est soumis à la constitution canadienne et au gouvernement d’Ottawa. En fait, il s’agit de coups électoraux afin de redorer le blason du parti au pouvoir lorsqu’il se sent en situation fragile. On crée de vains espoirs, et ça marche le temps que ça dure. Que des gouvernements fédéralistes agissent ainsi ne devrait étonner personne, mais que qu’un gouvernement dit souverainiste se livre au même jeu me paraît le comble du cynisme, à moins qu’il s’agisse, ce que je ne crois pas, d’une naïveté insondable.
    Peut-on encore s’imaginer que la population se réveillera majoritairement indépendantiste un beau matin parce que la Cour suprême ou le gouvernement fédéral aura invalidé une loi ou un geste du gouvernement québécois? Si le passé est garant de l’avenir, alors nous disposons déjà de multiples preuves que cette stratégie ne fonctionne pas. La seule fois où une stratégie a fonctionné en faveur de l’indépendance, ce fut 1995, et il s’agissait d’un plan clair et simple : faire campagne pour l’indépendance visièree levée; et encore, nous avons gagné de justesse (plus ou moins 51%), comme l’a ensuite prouvé l’enquête du DGE, mais le successeur de Parizeau n’a pas voulu se prévaloir de cette carte maîtresse dont il disposait, alors que tous les sondages montraient alors une majorité nette (environ 54%) pour une réponse positive de l’électorat.
    Qu’en conclure? D’abord, que le peuple pouvait se commettre sur un enjeu présenté clairement et articulé. Ensuite que, même à ce moment, sa majorité était tout de même faible et pouvait s’avérer bancale advenant un coup dur. Bref, que le peuple québécois n’a pas encore atteint le point où l’indépendance formelle lui paraît l’assise incontournable de sa liberté, son épanouissement et sa pérennité, même si on le renseigne, ce qu’a déjà fait (dans le passé) le PQ. On ne convainc pas un peuple malgré lui-même, il faut l’accompagner jusqu’au moment où il sera prêt. Et c’est bien mal le préparer que de lui faire miroiter des promesses ponctuelles qu’on sait d’avance ne pas pouvoir respecter ou des projets de loi non seulement inapplicables dans le contexte fédéral mais tellement mal ficelés qu’ils le divisent.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 septembre 2013

    Monsieur Lapointe
    Vous avez parfaitement raison sur toute la ligne! Le gouvernement Marois va se péter la fraise sur le mûr fédéral encore une autre fois comme les gouvernements précédents l'ont fait; la tour de Pise penchant toujours du même bord ou du même côté comme le disait si bien Duplessis, à l'époque. Rien ne change pour la peine ici au Québec; c'est toujours le CONFORT ET L'INDIFFÉRENCE.
    C'est depuis 1960 que je me bats pour l'indépendance du Québec et je trouve que c'est devenu désespérant de se battre pour un peuple qui ne veut pas évoluer vers un pays et la liberté qui s'ensuit. Notre incapacité à se prendre en main nous mène directement vers l'acadianisation du Québec ou l'assimilation progressive. Marois court vraiment après les problèmes en ne déclarant pas un moratoire sur l'immigration. La charte de la laïcité en est le plus bel exemple et ça ne fait que commencer à moins qu'on réduise les quotas d'immigration de 55 000 par année à 20 000 nouveaux immigrants.
    Présentement et je n'exagère pas, nous assistons à un vrai suicide collectif! Toute cette mascarade autour de la laïcité (je me répète hélas!) n'est qu'une diversion bien calculée pour nous faire oublier l'attentat terroriste du 4 septembre 2012, crime qui est encore impuni avec en plus l'incapacité du PQ d' aller de l'avant avec le renforcement de la loi 101 (projet de loi 14). Du vrai provincialisme de basse échelle ou de basse-cour.
    Et dire que Trudeau nous a sortis du Canada en 1982; ce qui prouve que tous nos partis politiques au Québec sont confédéralistes et pour le maintien du statu quo "canadian". Le PQ, c'est la plus grande abherration politique créée au Québec! Pas surprenant que nous avons perdu 2 référendums; nous sommes la risée du monde entier. Au lieu de la liberté, nous avons préféré le colonialisme "canadian" et ses chaînes. Curieux de peuple!
    André Gignac 13/9/13

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    13 septembre 2013

    Pour comprendre le principe de l'équivalence :
    La nécessaire doctrine d’État
    Tribune libre de Vigile 22 août 2010
    http://www.vigile.net/La-necessaire-doctrine-d-Etat
    On ne peut opposer à la Constitution canadienne qu'une Constitution de l'État du Québec. Dans le cas où le Québec n'a pas le statut d'État souverain, on peut prévoir un conflit de légitimité à être trancher par le peuple. La choix devient plus clair.
    ...
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    13 septembre 2013

    Vous avez partiellement raison si on se fie à la victoire l'an passé de la ''niqabienne'' ontarienne qui a gagné sa cause en Cours Suprême du Canada et va pouvoir témoigner le visage caché.Par contre le temps nous presse et il ne reste que l'exercice de se rassembler sous les valeurs communes issue de notre culture qui nous définissent comme peuple fondateur après celui des amérindiens.
    La démarche pour ce gouvernement actuel minoritaire-nationaliste est brillante dans le sens qu'il sait très bien qu'une élection peut se produire à chaque instant.Un gouvernement majoritaire du parti québécois pourrait changer la donne même si j'ai de grosses réserves envers Marois.Mais j'avais voté O.N. aux dernières élections alors...
    Tout le monde le sait que seul un Québec indépendant pourrait nous affranchir de la Supreme Court of Canada et de la Charte des droits et libertés de Trudeau,ne reste qu'à le faire pour vrai cette fois-ci.