Texte publié dans Le Devoir du jeudi 24 janvier 2008 sous le titre "Une terminologie nuisible"
Ainsi donc, les gestes de souveraineté sont, essentiellement, des mesures que l'on peut adopter de manière tout-à-fait légale et acceptable à l'intérieur du cadre fédéral. Des gestes comme en posent depuis longtemps presque tous les gouvernements québécois, aux dires mêmes de la chef du PQ.
À ce compte-là, la loi sur la couleur de la margarine est un geste de souveraineté. Il faudrait peut-être la teindre en bleu, la margarine.
Mais jusqu'où ce parti ira-t-il pour faire croire qu'il veut faire ce qu'il ne veut plus faire ?
Cette nouvelle terminologie " stratégique ", gestes de souveraineté, risque fort d'aller en retrouver d'autres au palmarès des expressions péquistes que nos analystes et chroniqueurs se plaisent à ridiculiser depuis des lustres. Pensons ici aux célèbres conditions gagnantes, cages à homards et autres mille jours...
La presse et les adversaires de l'indépendance -- ce qui revient souvent au même -- adorent ces expressions, parce qu'ils peuvent s'y accrocher pour évoquer constamment le prétendu " agenda caché " des méchants séparatisses, même quand ceux-ci n'ont, dans les faits, aucun plan concret pour faire l'indépendance dans un avenir prévisible.
À cet égard, le Parti Québécois ne semble pas comprendre que, peu importe ce qu'il avance, il provoque toujours, en bout de ligne, la même polarisation sur la question nationale. Ainsi, en se disant souverainiste mais en prônant plutôt le nationalisme intra-fédéral, ce parti perd sur toute la ligne. D'abord parce que, toute option politique ayant des " coûts " et des " bénéfices " électoraux, le PQ paie bêtement le prix de l'indépendantisme sans en récolter les fruits; il éloigne ceux qui craignent l'indépendance, sans attirer ceux qui la souhaitent.
Si on comprend cet état de choses, on devrait aussi réaliser que, pour un parti dont le fondement du programme est la souveraineté, proposer ladite souveraineté ne saurait être moins rentable que de se perdre en conjectures autour de concepts fumeux et alambiqués qui ne font que donner à l'électeur l'impression que ce projet est une chose suspecte qu'il faut déguiser pour la faire passer en douce. Ici, le parti perd, et l'option perd aussi.
Mais le PQ ne fait pas que tripoter l'indépendance et tenter d'hypnotiser, comme une espèce de fakir de marché-aux-puces, les tenants de cette idée dont il sollicite la militance; en voulant concurrencer le nationalisme de l'ADQ, il mélange aussi les concepts, ce qui risque de jouer en sa défaveur et, encore et surtout, de nuire à l'objectif indépendantiste.
Nationalisme et indépendantisme, on tend à l'oublier, sont deux choses absolument distinctes. On le voit bien dans l'histoire très récente du Québec : l'indépendance, une valeur et un concept politique, et le nationalisme, un sentiment, une attitude, évoluent suivant des courbes qui, loin d'être parallèles, sont souvent même inversement proportionnelles. Les deux sont légitimes, mais il m'apparaît contre-productif de les confondre. Les deux concepts sont légitimes, mais il m'apparaît potentiellement contre-productif de les relier, voire de les confondre, dans une même stratégie.
En effet, si l'indépendance est une valeur d'une noblesse incontestable, le nationalisme, lui, est un ingrédient instable. Il serait fastidieux de dresser ici la longue liste des horreurs qu'on attribue au nationalisme devenu exclusif ou intolérant, au cours de l'histoire du monde. Mais on sait que les adversaires du mouvement indépendantiste québécois ont souvent brandi ces dérives peu glorieuses en guise d'argument. C'est à ce genre de critiques affligeantes que le PQ expose l'indépendantisme, lorsqu'il le lie de trop près, volontairement ou par défaut, au nationalisme.
Il a parfois été fort difficile pour les indépendantistes de se dépêtrer, par exemple, d'accusations de racisme et de xénophobie, pourtant complètement calomnieuses.
Bref, des énergies mises à défendre des positions nationalistes sont autant d'énergies qu'on ne met pas nécessairement dans la promotion de l'indépendance. Pire, cela peut même entraver ou discréditer la démarche.
L'indépendance n'est pas le nationalisme, elle en est l'antidote. Elle est la réponse à ce sentiment, elle est ce qui doit servir à enrayer le repli défensif dans lequel nous cantonne la domination canadienne. C'est quand le spectre de l'indépendance s'éloigne que le nationalisme est en croissance. Ainsi, durant les deux périodes post-référendaires, on en remarque la recrudescence, et ce, de façon encore plus marquée sous des gouvernements libéraux très pro-canadiens, dont les règnes voient toujours éclater quelque crise identitaire ou linguistique. Puis, la mode nationaliste s'estompe, et on devient fatigué de cette odeur de renfermé qui caractérise ces périodes de repli. C'est à ce moment qu'un parti politique clairement indépendantiste doit jouer son rôle. Et nous y sommes presque.
Quoi qu'il en soit, si la preuve que les gestes de souveraineté -- lire : une gouvernance nationaliste fédéraliste -- mènent à la souveraineté, est bien loin d'être faite, on sait par contre que la gouvernance elle même, qu'elle soit nationaliste ou autre, est nocive, à terme, pour tous les gouvernements. Ainsi, s'imaginer qu'après un certain temps au pouvoir, le PQ verrait l'option indépendantiste gagner en faisabilité, fut-ce à coups de gestes de souveraineté, est d'une naïveté consommée.
Je ne condamne pas les gestes nationalistes des Duplessis, Lesage, Lévesque, Bourassa, Parizeau, Bouchard, Landry, Charest et cie. Ils nous ont au moins permis de ralentir notre déclin. C'est beaucoup mieux que rien, et on peut bien en planifier d'autres, comme par exemple le projet de loi de mme Marois sur la citoyenneté. Mais l'histoire nous montre qu'avoir ça comme seule bouée de sauvetage, c'est continuer de jouer au pays dans une province, et se condamner à gaspiller temps et énergie dans d'elvisgrattonnesques débats existentiels récurrents. C'est se construire sur du vide une identité chambranlante, et devoir assurer sa pérennité sans en avoir tous les moyens. Bref, c'est le Québec dans le Canada tel qu'on le connaît. Rien à voir avec l'indépendance.
N.Payne
Montréal
L'indépendance n'est pas le nationalisme, elle en est l'antidote
Mais jusqu'où ce parti ira-t-il pour faire croire qu'il veut faire ce qu'il ne veut plus faire ?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
26 janvier 2008Je vous remercie, Monsieur Payne, pour votre réponse.
Dans ce cas, dire quelque chose comme "l'indépendance rassurerait les Québécois sur la pérennité de leur culture et de leur langue" me semblerait plus approprié.
Archives de Vigile Répondre
25 janvier 2008Bonjour Madame Lachance.
Je dis bien dans mon texte que le nationalisme, en soi, est légitime. Tout est dans le contexte. Le nationalisme de tous les partis au Québec est de même nature, avec quelques variations dans l'intensité. À mon humble avis, bien sûr.
Cela étant, supposons que vous soyez, per exemple, Française. Est-ce que le nationalisme peserait aussi lourd dans vos choix politiques, qu'en tant que Québécoise ? On peut supposer que non. La France qu'on connaît n'est pas, à ce que je sache, à l'article de la disparition identitaire. Il faut discuter avec des Français pour se rendre compte, bien souvent, qu'ils n'ont pas cette peur de disparaître qui caractérise de nombreux Québécois -- que je ne blâme absolument pas --. Ainsi, là-bas, nationalisme peut rimer avec Le Pen, et, sans être un spécialiste de la politique française, je crois comprendre qu'on trouve souvent Jean-Marie Le Pen exagérément nationaliste. Voilà, dit-on, un nationalisme exclusif.
Et les nationalistes de bien d'autres pays déja farouchement souverains sont fréquemment perçus de la même façon.
C'est que, je pense, ces états assument, ou transcendent, le nationalisme à travers leur souveraineté. Leurs populations n'ont donc pas le réflexe, comme nous, de mettre des énergies folles à se convaincre qu'ils méritent d'exister. C'est ce réflexe qui se traduit plus souvent qu'autrement par un certain nationalisme dont l'indépendance pourrait nous permettre de nous détacher un peu.
Archives de Vigile Répondre
25 janvier 2008Je suis d'accord avec votre appréciation de la position intrafédérale du PQ. Et avec le fait qu'elle nous éloigne de l'indépendance, tout en ayant l'air de s'en approcher sur la pointe des pieds. Cependant, vous faites un bien mauvais sort au nationalisme, comme s'il s'agissait d'une tare dont nous devrions nous débarrasser. Je ne sais pas par quoi le projet d'indépendance du Québec pourrait être porté s'il n'y avait pas à la base un sentiment identitaire. Voudrions-nous bâtir un pays s'il n'était pas question qu'il soit français? Bâtir un pays seulement pour la justice sociale? Aussi bien demeurer au Canada et voter NPD.
Je suis au courant des dérives que le nationalisme a pu provoquer au cours de l'histoire, mais ne suis pas de ceux qui croient que nous sommes forcés de les répéter. Comme je le dis souvent, le nationalisme ne mène pas nécessairement à l'enfer nazi.
D'ailleurs, il est faux de prétendre que l'indépendance est l'antidote au nationalisme, car on trouve de celui-ci chez les citoyens de pays indépendants.
J'ai l'impression, lorsque vous utilisez votre formule, que vous désirez surtout dénigrer le projet adéquiste (qui se sert du nationalisme) et la copie que tente d'en faire le PQ. Ai-je tort?
Archives de Vigile Répondre
24 janvier 2008Très belle et juste présentation que votre texte monsieur Payne ! La "confusion des genres" est bel et bien une autre facette de la même fausse médaille. Toujours cette omniprésente désinformation fédéraste que nous n'avons de cesse de dénoncer tant sont aveugles et sourds nos actuels dirigeants péquistes pour la plupart depuis longtemps intoxiqués par la propagande ennemie et francophobe. Une désinformation sournoise que partagent pleinement les fédéralistes et ces ineffables porteur(e)s de valises que sont nos internationalistes gauchistes (i.e. les "verts solidaires") recyclés en faux souverainistes ainsi que ces néfastes crypto-fédéralistes reliés à Hill and Knowlton qui se prennent pour de grandes éminences grises et dupent depuis des lustres en toute impunité les décideur(e)s du PQ ... Hélas, trois fois hélas !