Lorsque la probabilité d'accéder à son indépendance dans un avenir prévisible s'amenuise, comme c'est le cas progressivement depuis 1995, le Québec réapprend à se penser comme province canadienne, avec toutes les limitations à ses aspirations que cela impose. Ainsi, alors que le débat référendaire culminait et que la souveraineté devenait palpable, il était de mise pour les souverainistes de donner dans un nationalisme civique, hyper-inclusif et peu défensif, tout simplement parce que l'émancipation semblant imminente, le Québec s'habituait et se préparait à s'ouvrir sereinement sur le monde, fort de l'assurance que lui procurerait le nouveau statut à venir. C'est dans cette perspective qu'il faut replacer ce que certains appellent aujourd'hui une " dérive ", dans le discours péquiste et souverainiste, vers quelque chose qui pouvait même ressembler au multiculturalisme canadien.
Dix ans de mutisme indépendantiste plus tard, ce qui devait arriver arrive : Le repli, le rétrécissement des horizons. Cette belle ouverture tranquille des années 90, et la modération nationaliste qui en découlait, deviennent caduques, et à proscrire. Elles sont en total porte-à-faux avec la situation actuelle. Cette situation, c'est le grand retour de l'insécurité identitaire québécoise, qu'exacerbe la subordination perpétuelle au régime canadien sans alternative concrète.
Dans les faits, Mario Dumont fut le premier chef politique à tenir un discours répondant directement à ce sentiment. Le chef de l'ADQ fait son pain et son beurre, depuis plusieurs mois déjà, d'un certain " nationalisme de consolation ", nationalisme qui consiste à ruer dans les brancarts à l'intérieur du système fédéral, à faire miroiter aux québécois une éventuelle incarnation dans la réalité de la grosse farce d'Yvon Deschamps : Un Québec indépendant dans un Canada uni ! Un nationalisme a priori défensif, mais assorti d'un espoir d'avancement significatif malgré l'immuable statu quo canadien, voilà ce que propose l'ADQ. Incroyable mais vrai. Dubitatifs, les commentateurs, éditorialistes et adversaires politiques de l'ADQ réagirent d'abord plutôt négativement aux sorties de Dumont. Sauf que la population, elle, a suivi, et la popularité du politicien populiste est montée en flèche.
Pendant ce temps, le Parti Québécois, dont l'objectif souverainiste est passé de projet à posture (j'ai envie de dire imposture, dans l'état actuel des choses), s'est retrouvé Gros-Jean comme devant, voyant ses appuis s'effriter. Ce parti, sous Mme Marois, a finalement décidé de réagir sur le terrain de l'identité et, qu'on soit d'accord ou non avec son projet de loi sur la citoyenneté, il faut admettre que cela a eu pour effet de démasquer instantanément Mario Dumont.
Bien que je sois consterné par l'abandon du PQ de tout engagement à réaliser la souveraineté de quelque façon que ce soit -- ce qui a pour effet, outre de discréditer l'option, de nous précipiter encore davantage dans ce navrant épisode de repli, faute d'espoir -- il faut reconnaître qu'au chapitre du nationalisme de consolation, Mme Marois vient de battre Dumont de façon spectaculaire, et de faire ressortir le vide absolu et l'absence de volonté réelle derrière les belles phrases-choc du chef adéquiste. Lui qui accusait le PQ de refuser toute amélioration au régime fédéral, lui qui disait qu'il ne fallait pas hésiter à poser des gestes audacieux à l'intérieur de la fédération pour protéger et promouvoir les intérêts et aspirations du Québec, quitte à étirer plus qu'à son maximum l'élastique constitutionnel canadien, le voilà qui s'écrase et fait demi-tour devant le projet de Mme Marois qui s'inscrit pourtant exactement dans cet esprit. Désormais, les anciens péquistes qui rament à l'ADQ sauront à quoi s'en tenir...
Quoiqu'il en soit, nous sommes en plein repli, les bonnes vieilles peurs sont de retour, et de nombreux débats, comme celui sur les accommodements raisonnables, continueront de s'échafauder autour de notre impuissance à dire convenablement qui nous sommes, et de la frilosité qui en découle inexorablement. À travers eux, la question de l'indépendance continuera de se poser de façon récurrente, sans que personne ne la nomme trop fort puisque, même le PQ a peur de sa propre option. Lorsque les leaders indépendantistes ratatinent leurs ambitions, le spectre entier du débat sur la question nationale se déplace vers le fédéralisme.
À l'heure où le français fout le camp des rues de Montréal à la vitesse grand V, il faut agir. Je ne sais pas si je voterais, demain matin, pour un PQ sans engagement indépendantiste concret. Mais, faute de mieux, et dans la résignation, j'appuie les principes essentiels du projet de loi sur la citoyenneté de Mme Marois, sachant qu'il faudra en cours de discussion se taper les sempiternelles accusations exorbitantes des adversaires canadianisants, qui trouvent leur source dans le fait que la nation québécoise n'existe toujours pas dans la pensée canadienne, autrement que de façon purement superficielle.
N. Payne
Montréal
Identité québécoise
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