Réplique cordiale à M. Didier à propos de QS

L'indépendance non pas sans, certes, mais bien avant la social-démocratie

Tribune libre

Ce qui suit est une réplique des plus cordiales à un récent texte de M. Didier et à certains des commentaires qu'il a suscités.
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— Notre employeur nous impose de plus en plus l'usage de l'anglais.
— C'est révoltant ! Nous sommes avec vous de tout cœur. Vous pouvez compter sur notre appui. Nous allons nous battre pour vous, à vos côtés, en toute fraternité.
— Notre employeur nous exploite, il veut réduire nos salaires et nos avantages sociaux et il nous menace de délocalisation et de chômage.

— Ah ! bien là, ça c'est votre problème, pas le nôtre. Arrangez-vous avec vos troubles et allez jouer dans le trafic !

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Explicite ou implicite, un message comme celui-là souffle le chaud et le froid. Est-ce bien celui que nous, indépendantistes, devrions adresser à tous nos compatriotes victimes du capitalisme néolibéral, sous prétexte de transcender la gauche et la droite ?
En tant qu’indépendantistes, nous en appelons volontiers à la solidarité linguistique, à la solidarité culturelle et à la solidarité politique. C'est excellent. Le problème, c'est que la solidarité, qu’on le veuille ou non, ne peut être limitée. Si nous sommes solidaires de la masse des nôtres, ce ne peut être que de façon totale, c’est-à-dire non seulement sur les plans linguistique, culturel et politique, mais aussi sur les plans social et économique.
Au travailleur qui se demande ce que donnera l'indépendance et quel peut être l'intérêt de se faire exploiter en français plutôt qu'en anglais, il faut toujours bien que nous ayons autre chose à dire que des niaiseries. En somme, il faut, et c'est bien le moins, que nous le convainquions qu'après l'indépendance il y aura moins d’exploitation qu'avant, plus de justice sociale qu'avant.
Du coup, cela nous situe forcément, nous indépendantistes, à gauche du centre. Et c'est bien normal. Un peuple colonisé qui lutte pour son indépendance est un peuple qui lutte contre une domination, celle d’un colonisateur. Sa lutte, on le voit, n’est pas sans ressemblance avec celle des travailleurs contre les capitalistes. Du reste, l'employeur qui nous impose l’anglais est bien souvent le même qui comprime nos salaires et qui sabre dans nos avantages sociaux.
Voilà pour les principes. Passons maintenant au cas de Québec solidaire. Ce parti nous a montré que, pour lui, la social-démocratie passe avant l'indépendance. C'est pourquoi, bien que moi-même social-démocrate et même socialiste, je ne puis appuyer QS. Dans le cadre fédéral, ni QS à Québec ni même son cher NPD à Ottawa n'accéderont de sitôt au pouvoir. Pour un Québec vraiment social-démocrate, il faut donc d’abord et avant tout un Québec indépendant.
Par conséquent, il ne saurait être question de subordonner l’indépendance à la réalisation d’un projet social-démocrate ou socialiste. Quiconque s'engage à n'appuyer l'indépendance qu'à la condition expresse qu'elle s'accompagne d’un projet social de gauche n'est pas un véritable indépendantiste, pas davantage que celui, à droite, qui n'y est favorable qu'à la condition expresse qu'on privatise tout ce qui bouge.
Mais, attention, un indépendantiste qui s'oppose mordicus à ce que le projet d'indépendance soit aussi porteur d’un message de justice sociale, c'est un indépendantiste qui se tire dans le pied et qui, certes sans le vouloir, nuit à la cause.
Ni à gauche ni à droite, c'est bien beau, mais, face au capitalisme néolibéral dont est victime la masse du peuple et qui est un système de domination au même titre que le colonialisme, il n'y a pas moyen de rester neutre. Ou bien nous ne sommes pas contre, ce qui d'emblée nous fixe à droite, ou bien nous sommes contre, ce qui d’emblée nous projette à gauche.
Au fond, pas toujours peut-être, mais en général, n'être ni de gauche ni de droite, convenons-en, c'est en pratique être de droite, tout comme n'être ni indépendantiste ni fédéraliste équivaut, dans les faits, à soutenir l'ordre fédéral établi.
Alors, comme il y a infiniment plus de victimes du capitalisme néolibéral que de privilégiés, plus d’exploités que d’exploiteurs, et comme, jusqu'à nouvel ordre, c’est non par les armes mais avec le soutien populaire que nous entendons faire l'indépendance, il tombe donc sous le sens qu’en tant qu'indépendantistes, nous avons beaucoup, mais beaucoup plus intérêt à nous identifier à la gauche qu'à la droite.
Ici, sans doute l'aura-t-on remarqué, c'est au sens socio-économique que j'entends ces notions de gauche et de droite. Or, comme on sait, ces notions de gauche et de droite ne sont pas relatives qu'à la répartition de la richesse. Ainsi, en matière de culture et de mœurs, il existe des opinions, des idées, des valeurs que l'on a l'habitude de classer les unes à droite et les autres à gauche, sans que ce ne soit toujours, admettons-le, de façon judicieuse. De gauche, vraiment, le multiculturalisme ? Pas si sûr, et d'autant moins que même un Harper en raffole. De droite, vraiment, la préférence pour une éducation fondée davantage sur la transmission de connaissances que sur l'acquisition de compétences ? Très discutable, à mon avis.
Mais qu'importe ! Si notre intérêt, en tant qu'indépendantistes, consiste indéniablement à pencher à gauche sur toute question socio-économique, il ne nous est nullement interdit de fureter ailleurs quand il s'agit d’autre chose. Aussi est-ce uniquement de cette façon, j'en suis convaincu, qu'il nous sera possible, sous la bannière et au profit de l'indépendance, d'unir la gauche et la droite. Autrement dit, pas toute la gauche ni toute la droite, seulement la bonne gauche, la vraie, l'économique, et la bonne droite, qui n'en est peut-être pas une, la culturelle.
Luc Potvin
Verdun


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2012

    Bon, je vais me résumer pour que l'on comprenne encore mieux, si possible, mon propos.
    Nous, indépendantistes, n'avons aucun intérêt à basculer à droite, surtout pas sur le plan socio-économique. Car ce n'est pas en défendant les intérêts d'une minorité de privilégiés et d'exploiteurs, comme y excellent le PLQ de Charest et la CAQ de Legault, que nous pourrions nous rendre sympathiques à la vaste majorité de celles et ceux qui peinent à joindre les deux bouts.
    Aussi, quand quiconque tente de nous déplacer vers la droite, surtout vers ce genre de droite, je m'insurge, voyant dans pareille tentative rien de moins que le comble du comble de la bêtise.
    Cela dit, s'il advenait un jour qu'un parti de droite au pouvoir proposât avec sérieux de faire l'indépendance, alors jamais, tout socialiste que je sois, je ne m'y opposerais.
    Voilà tout !
    Un parti de droite au pouvoir et déterminé à faire l'indépendance, voilà une perspective hautement improbable, tant les gras-dur du capitalisme se fichent en général de la nation et ont tendance, ici comme partout ailleurs, â préférer le statu quo politique. Mais ce que je dis, c'est que si la chose arrivait contre toute attente, alors je ne dirais certainement pas non à l'indépendance sous prétexte que ce serait un premier ministre de droite qui en deviendrait en quelque sorte le père.
    C'est sur ce point précis que je ne peux m'entendre avec les dirigeants, les militants et les partisans de Québec solidaire. Tout comme eux, j'estime peu probable la possibilité qu'un parti de droite ait la volonté et la capacité de faire l'indépendance. Et tout comme eux, je préférerais qu'elle soit faite par un parti de gauche, ce qui m'apparaît du reste infiniment plus probable. Mais, contrairement à eux, ou du moins contrairement à plusieurs parmi eux, jamais l'éternel socialiste que je suis ne se retournerait contre l'indépendance si des circonstances aussi particulières qu'imprévisibles donnaient à un parti de droite l'honneur d'en être l'artisan.
    Dans les années soixante-dix, certains socialistes glosaient sur ce qu'ils appelaient «l'indépendance de papier». Eh bien, on peut dire que, sous Batista, Cuba n'avait qu'une «indépendance de papier». Toutefois, sans cette «indépendance de papier», qu'auraient pu faire Castro et le Che ? À Cuba, État alors indépendant bien que dépotoir de la pègre étatsunienne, leur révolution avait au moins quelques chances de réussite. À Porto-Rico ou, pire encore, en Floride, c'est peu dire qu'elle eût été étouffée dans l'oeuf !
    Certes, il nous faut l'indépendance la plus totale. Mais ne fût-elle que de papier, jamais, sous aucun prétexte, on ne refuse l'indépendance.
    Bon, j'ai vraiment essayé de me résumer. Disons que les cinq premiers paragraphes disent tout et que les suivants ne font qu'apporter des précisions supplémentaires. Puissé-je au moins avoir été d'une totale clarté.
    Luc Potvin
    Verdun

  • Jonathan Godin Répondre

    12 janvier 2012

    Excellent texte M. Potvin. C'est ce que je répète sans cesse depuis l'existence de Québec solidaire qui saute une étape à mon avis et nuit malheureusement à la cause indépendantiste. Il n'est pas trop tard pour QS d'interchanger l'ordre de ses priorités. Ainsi, on se donnerait plus de chances d'avoir notre Québec indépendant social-démocrate. Bref, votre avis est aussi le mien.

  • Pablo Lugo Herrera Répondre

    12 janvier 2012

    Voilà ma pensée. Pour moi, c'est plus important d'avoir un pays que de régler la question de justice sociale, mais ceci ne m'empêche pas d'être un citoyen de la lutte sociale. Avant de songer de changer le monde, je songe à faire changer ma Nation. Bref, j'aimerais voir Option nationale au pouvoir avec Québec solidaire comme opposition!

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2012

    Monsieur Potvin,
    Je vous remercie pour votre article que je trouve très intéressant et qui rejoint en bonne partie mes positions.
    Je pense qu'il faut faire attention quand on parle qu'il faut absolument le pays avant la justice socio-économique. Je pense que la stratégie de QS est de pousser les deux en même temps.
    Car bien des pays souverains sont sous le contrôle de l'oligarchie capitaliste internationale. L'éventualité que le Québec devienne un jour souverain ne signifie en rien qu'il échapperait un tant soit peu à ce contrôle.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2012

    Je partage votre opinion. Mon ami Bernard Landry, bien qu'il soit social-démocrate, dit toujours : l'indépendance n'est pas à gauche ni à droite, elle est en avant.
    Je ne suis pas hostile à QS, mais contrairement à ce parti, je suis d'abord indépendantiste (Independence First! disent les Écossais)et le reste suivra.
    Je suis favorable à une constituante citoyenne, mais il n'est pas question que cette constituante accouche d'une souris provinciale au lieu d'une montagne indépendantiste.
    Je ne me suis pas battu pendant toutes ces années pour rester dans le Canada, même gouverné par le NPD. De toute façon, je doute fort que cela arrive depuis la mort de Jack Layton.
    Pierre Cloutier