Vingt-cinq ans plus tard, René Lévesque semble encore plus mort que jamais, moins présent par son héritage. Oeuvre spoliée, fissurée, malmenée par des générations d’êtres sans scrupules, au point où on se demande s’il ne faut pas tout reconstruire, tout réinventer.
«Intégrité » : le mot revenait pratiquement à toutes les pages de l’édition du Devoir du 3 novembre 1987, surlendemain de la mort de René Lévesque.
Le politicien avait réussi à établir des « normes d’intégrité », pouvait-on lire dans un article de Manon Cornellier. « Le plus bel héritage que René Lévesque a laissé à la classe politique est son exemple d’intégrité, de droiture et l’adoption d’une loi sur le financement populaire des partis politiques, affirment plusieurs députés fédéraux. »
C’était l’époque où l’on pouvait encore être ébahi lorsqu’on se racontait la chanson de geste de cette Loi sur le financement des partis « qui avait totalement nettoyé les moeurs politiques au Québec ».
Vingt-cinq ans plus tard, alors que d’une commission à l’autre (Charbonneau après Gomery ou Moisan) on démontre des histoires de prête-noms, de contournements massifs de la loi, René Lévesque semble encore plus mort que jamais, moins présent par son héritage. Oeuvre spoliée, fissurée, malmenée par des générations d’êtres sans scrupules, au point où on se demande s’il ne faut pas tout reconstruire, tout réinventer.
Comme le rappelait Jacques Parizeau en entrevue au Devoir cette semaine, la « propreté » des moeurs politiques fut une préoccupation dominante de René Lévesque, dès sa première élection dans l’équipe du tonnerre de Jean Lesage.
Un peu comme aujourd’hui, à l’époque « il y a un appétit de propreté extraordinaire », note celui qui a plongé en politique à la fin des années 1960 aux côtés de l’ancien journaliste. « Et Lévesque va traduire en gestes cette aspiration. »
Car, comme le rappelle Jacques Parizeau, le premier portefeuille que René Lévesque obtient n’est pas celui des Ressources naturelles, mais celui des « Travaux publics », véritable plateforme du patronage sous le régime duplessiste qui avait précédé. « C’est lui qui introduit au Québec pour la première fois les soumissions publiques ! C’est hénaurme - avec un “h” - à cette époque-là ! », tonne l’ancien chef péquiste.
Parallèles comiques
Dans ses mémoires, Attendez que je me rappelle (Québec Amérique, 1986), le récit que René Lévesque fait de cette époque a quelque chose de comique tant les échos avec ce qui est exposé ces jours-ci à la commission Charbonneau sont nombreux.
En arrivant au pouvoir en 1960, Jean Lesage avait décidé d’annuler tous les contrats concédés en catastrophe par l’Union nationale à ses amis avant la défaite. Or, comme ministre des Travaux publics, Lévesque est responsable de la construction et de la réfection des ponts. « Pour affronter ingénieurs et entrepreneurs, d’aucuns me conseillaient avec un sourire entendu de faire appel […] à la bonne sainte Anne », raconte-t-il. Surtout qu’un ingénieur qu’il embauche pour l’aider lui suggère de réclamer un « rabais de 20 % » à tous les entrepreneurs !
Dans son style inimitable, Lévesque décrit une rencontre avec un « contracteur » (qu’on imagine avec des traits à la Zambito), « qui scintillait sur toutes les coutures », portant « montre en or » et épingle à cravate en forme de « ruissellement de diamants ». Sous Duplessis, ce baron possédait l’exclusivité des contrats de ponts. « La farce a assez duré », lance l’entrepreneur fâché, qui dit détenir des contrats en bonne et due forme.« Son assurance était telle qu’en m’entendant souligner que ses contrats découlaient évidemment de soumissions gonflées, il osa répondre :
- Ben voyons, c’est ben pour ça qu’on devrait pouvoir s’entendre ! Vous savez, il y en aura assez pour tout le monde ! »
Lévesque se rend compte aussi que le mal est présent dans les rangs libéraux. Un ancien candidat libéral défait de justesse lui promet de continuer à travailler dans la circonscription. Pour éviter que les unionistes continuent à s’en mettre plein les poches, « il suffira […] de me confier le soin d’attribuer vos travaux aux gens que j’aurai choisis. Vous savez qu’on peut me faire confiance ».
Lévesque n’en revient pas. Il rappelle à son collègue les discours de campagne où ils prônèrent en choeur l’instauration de règles saines, comme celle du « plus bas soumissionnaire ». L’autre le traite de « naïf » et claque la porte !
Lévesque confie enfin qu’un collecteur de fonds libéral l’avait averti qu’il ne fallait pas décevoir la maison Perini, de Boston, qui avait eu jusque-là le monopole sur tous les grands travaux hydroélectriques, sur la direction des chantiers.
Lévesque préférait, lui, développer l’expertise québécoise. Sinon, les employés d’Hydro-Québec serviraient de « sous-ordres aux étrangers » pour toujours. Or, insiste-t-on auprès de Lévesque, « les Perini se sont montrés aussi généreux pour nous que pour les autres ».
L’ancien journaliste perd patience, téléphone au chef du parti et lui lance que la « caisse électorale » doit sortir de ses dossiers, sinon c’est lui qui rentrera à la maison. « Lesage me promit que ça ne se reproduirait plus. »
Aussi, après la victoire de 1976, René Lévesque se veut pressé. Déjà, les « sceptiques » lui disent qu’il est bien facile d’être vertueux dans l’opposition, « mais que le pouvoir aurait tôt fait de nous asseoir à notre tour devant la traditionnelle assiette au beurre ».
Le financement démocratique des partis, « notre engagement numéro un », insiste Lévesque, fut la « première réalisation majeure » du gouvernement péquiste. « De toutes les réformes que nous avons pu mener à bien, voilà celle dont je serai toujours le plus fier », n’hésite-t-il pas à écrire.
Actuel malgré tout
Jacques Parizeau, à l’autre bout du fil, ne tarit pas d’éloges pour Lévesque et cette réalisation. Mais la pléiade d’histoires de collusion, de corruption, les rapports Moisan, Gomery et bientôt Charbonneau ?
« Que 35 ans plus tard, on ait trouvé des moyens de contourner ces règles comme les soumissions publiques ou le financement démocratique des partis, je n’en disconviens pas. Mais pendant des années, elles auront bien fonctionné, il ne faut pas l’oublier. Qu’il faille trouver autre chose aujourd’hui, je n’en disconviens pas non plus ! »
À ceux qui soutiennent que, finalement, les efforts de Lévesque pour assainir les moeurs politiques apparaissent, 35 ans plus tard, comme « un échec », son ancienne chef de cabinet, Martine Tremblay, répond : « Il ne faut vraiment pas le voir ainsi ; il a fixé les standards lorsqu’il a été en position de le faire. Il doit demeurer une inspiration à cet égard. »
Mme Tremblay, qui a consacré une somme au Lévesque premier ministre en exercice (Derrière des portes closes, Québec Amérique, 2006), convient que, si les moyens sont à repenser, son principe cardinal n’a pas pris une ride : « Il faut que les hommes et les femmes politiques soient libres de toute influence indue ou extérieure, surtout celle de l’argent évidemment. » En ce sens, conclut-elle, « M. Lévesque est plus actuel que jamais ».
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