La crise traverse l'Atlantique

L'Europe encaisse le coup, mais n'envisage pas de plan Paulson... pour l'instant.

Crise mondiale — crise financière

Paris -- Après un lundi noir sur les marchés boursiers européens, l'Europe s'est mobilisée hier pour freiner la propagation de la crise financière qui a d'ores et déjà traversé l'Atlantique. Même si les banques européennes sont jugées moins vulnérables, partout, les responsables politiques ont affirmé qu'ils étaient prêts à intervenir comme l'ont d'ailleurs fait la France et la Belgique dans la matinée pour sauver le groupe bancaire franco-belge Dexia en déboursant 6,4 milliards d'euros.
Pour plusieurs, la journée d'hier fut celle de tous les dangers. Certains analystes n'hésitant pas à dénoncer au passage l'insouciance du Congrès américain qui a rejeté le plan Paulson et celle du gouvernement Bush qui a laissé la banque d'affaires Lehman Brothers faire faillite il y a trois semaines.
Toute la journée, les appels au calme se sont multipliés aux quatre coins du continent. Réunis hier matin à l'Élysée par le président Nicolas Sarkozy, les principaux banquiers et assureurs de France ont tenté de rassurer les épargnants. «Il y a des pilotes dans l'avion», a déclaré le président du groupe d'assurances Axa, Henri de Castries, en sortant de la réunion. «Aucune grande banque européenne ne doit être acculée à la faillite», a ajouté le premier ministre François Fillon. Jeudi dernier, certains avaient jugé maladroite l'intervention de Nicolas Sarkozy. En affirmant que l'État ferait tout pour garantir l'épargne des Français, il aurait laissé du coup penser que les grandes banques françaises n'étaient pas aussi solides qu'on le disait.
Personne ne s'attend pour l'instant à la mise en place, en Europe, d'un vaste plan de sauvetage comme celui que doit adopter le Congrès américain. Selon le quotidien Le Monde, de proches conseillers du gouvernement français estiment pourtant qu'il serait le seul moyen d'arrêter véritablement l'incendie. Cette opinion est cependant loin d'être majoritaire. «Aux États-Unis, il y a une vraie crise systémique. Pas en Europe», a déclaré hier Ewald Nowotny, représentant de l'Autriche au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE).
La BCE souhaiterait-elle lancer rapidement une telle opération qu'elle ne le pourrait d'ailleurs pas. Il faudrait en effet que les 27 pays membres se mettent d'accord puisque l'Europe n'a pas de budget propre, les trésoreries étant de la responsabilité des États. Tout ce que peut faire la BCE, c'est de rendre disponible les liquidités nécessaires sur les marchés.
Voilà pourquoi ce sont les gouvernements belge, français et luxembourgeois qui se sont portés hier matin à la rescousse du groupe Dexia. Après le sauvetage lundi de Bradford & Bingley (Royaume-Uni), Hypo Real Estate (Allemagne), Glitnir (Islande) et Fortis (Belgique et Pays-Bas), Paris et Bruxelles se sont entendus pour injecter 6,4 milliards d'euros dans Dexia. La banque représentait «un risque systémique», selon la ministre de l'Économie, Christine Lagarde. «Nous avons sauvé Fortis et Dexia, mais au-delà, c'est l'ensemble du système financier qui est consolidé par cette action concertée des trois gouvernements», a renchéri le ministre du Budget luxembourgeois, Luc Frieden.
Pour le premier ministre Yves Leterme, le monde financier belge a néanmoins connu hier un «véritable ouragan». Alors que la bourse perdait 5 %, Bruxelles gardait un oeil inquiet sur les deux grandes banques ING et KCB. Plus optimiste, le ministre des Finances, Didier Reynders, a soutenu que, si cette opération entraînait une augmentation de la dette, «en contrepartie, l'État dispose de nouveaux actifs». À Bruxelles, on faisait savoir que la règle des 3 % de déficit budgétaire imposée aux États européens par le traité de Maastricht pourrait être levée, comme le prévoit le traité dans des circonstances exceptionnelles.
«Les actifs détenus par ses banques ne sont pas trop mauvais, a déclaré au Figaro le directeur du Centre européen d'études politiques, Daniel Gros. Le problème des banques européennes, c'est leur sous-capitalisation. Les géants comme Fortis, BNP Paribas, Deutsche Bank ou Barclays ont multiplié les acquisitions [...]. Du coup, le jour où le marché perd confiance, cela devient un problème majeur.»
Selon l'agence Bloomberg, environ 40 % des pertes de la crise des derniers jours sont survenues en Europe, dont la moitié en Grande-Bretagne. La Commission européenne doit faire connaître demain sa directive révisée sur les fonds propres des banques et les agences de notations. Des mesures qui n'auront d'effets qu'à long terme.
Président de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy réunira vers la fin de la semaine ses collègues italien, britannique et allemand, tous membres du G 8, pour préparer rien de moins que «la tenue d'un sommet mondial de la refondation du système financier international». Le président a évoqué «un Bretton Woods du XXIe siècle», du nom de la petite ville du New Hampshire où fut créé le système des changes fixes après la guerre. Participeront à la réunion les présidents de la BCE, de la Commission européenne et de la Conférence des ministres des Finances de la zone euro. Les États-Unis, le Canada et le Japon n'ont toujours pas fait connaître leur intention.
En attendant, la Commission européenne a lancé un appel aux Américains. «Nous escomptons que la décision [rejetée par le Congrès] puisse être prise bientôt, les États-Unis doivent prendre leurs responsabilités dans cette situation», a indiqué un porte-parole. De ce plan dépend non seulement le sort des entreprises américaines, dit-il, mais aussi «le sort du reste du monde».
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Correspondant du Devoir à Paris


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