Centre de recherche du CHUM

La démission collective

Mais on a eu droit à une salve d’invraisemblables réponses pour nous convaincre que ce résultat était respectueux des règles et donc absolument irréprochable. Blanc comme neige.

Par quelque côté qu'on l'approche, le gouvernement Charest est un fruit pourri.


Malgré l'accumulation de preuves selon lesquelles la construction d'hôpitaux en mode PPP coûte plus cher, qu'elle limite l'offre de services et mine toute souplesse, le gouvernement et certains groupes ont continué d'en vanter les avantages imaginaires: vive concurrence, moindres coûts, transfert du risque, injection de fonds privés, meilleure conception, etc.
Mais ces fantaisies ont déjà été, une à une, contredites: la «concurrence» se limite chez nous à deux propositions (ce qui n'a rien à voir avec une saine concurrence); le «transfert du risque» n'existe plus (le gouvernement a changé la formule, fournissant 45 % du montant pour la construction de même que des garanties de prêt); les coûts sont beaucoup plus élevés que prévu (et c'est nous, non pas «le privé», qui payons); l'injection de fonds privés est un leurre (de tels consortiums, dont certains partenaires sont en quasi-faillite, n'arrivent plus à amasser de fonds, d'ailleurs plus chers à l'emprunt); et la conception en pâtira.
Je n'aurais toutefois jamais imaginé qu'on pousserait plus loin la dérive: pour le centre de recherche du CHUM, dont la construction a été annoncée hier, il ne reste en effet... qu'un seul consortium! Un concours avec un seul concurrent! Qui a gagné à votre avis? On nous en avait pourtant promis de nombreux, et donc une lutte acharnée nous assurant du meilleur prix.
Course haletante...
Mais rassurons-nous, la ministre Monique Gagnon-Tremblay affirme sans sourire que «le consortium restant n'a jamais été mis au courant que l'autre s'était désisté. Il a donc soumis sa proposition avec un esprit de compétition». Ouf! On respire: Accès recherche CHUM ne savait donc pas qu'il était seul, personne ne l'avait informé, d'ailleurs il ne l'avait pas demandé, et pendant que ses ingénieurs peinaient jour et nuit sur le projet, ils ne voyaient pas que de l'autre côté, on allait plutôt dépenser au golf les quelques millions reçus en primes. Avait-on aussi débranché téléphones et Internet?
Se concurrençant dès lors lui-même avec vigueur, voulant s'arracher coûte que coûte le contrat si convoité, le courageux consortium a écrasé ses propres prix, s'est doublé lui-même dans la dernière courbe et a remporté une course haletante en solitaire.
Heureusement, par la vertu de cet «esprit de compétition», le centre de recherche sera tout de même construit au meilleur coût possible. Je dois donc avoir un esprit de loser pour douter à ce point de la probité du processus. Mais lorsque même le Vérificateur général dénonce vertement l'Agence des PPP pour un travail aussi bâclé que partial, j'ai la faiblesse de m'interroger, surtout quand on réussit à annoncer la première pelletée de terre une semaine avant l'annonce de la décision. Et je me dis: honte à moi de le penser, mais les dés auraient-ils été pipés?
Un gâchis
Mais on a eu droit à une salve d'invraisemblables réponses pour nous convaincre que ce résultat était respectueux des règles et donc absolument irréprochable. Blanc comme neige.
Un vrai gâchis. Mais le gouvernement persiste et signe. Au fait, il faudra bien, un jour, répondre à cette question simple: pourquoi? C'est qu'il faut être naïf pour croire qu'on peut à ce point s'obstiner sans raison bien pesée. Pourquoi, en effet, imposer contre vents et marées un trip PPP, presque sans appui, sauf des cercles restreints qui n'osent pavoiser puisque souvent juges et parties? Pourquoi persister malgré tous les avertissements? Par idéologie? Certains l'affirment. Ce serait pourtant trop simple.
Certes, il s'agit de transformer la société, ce qui pourrait être idéologique. Mais en réalité, il s'agit surtout d'en faire coïncider la gouvernance avec certains intérêts bien identifiés, pas nécessairement ceux des patients, du personnel, des médecins ou de la population.
Renoncement majeur
Un tel choix participe plutôt d'un mouvement de fond visant à relever l'État de ses responsabilités premières en santé (cet immense marché) afin de les confier au secteur privé (qu'on parle d'ingénierie, de finances, d'assurances, de droit, etc.). Le mode PPP pour les CHU agit donc simplement comme un cheval de Troie permettant d'accélérer cette transformation sociale majeure et les rôles fondamentaux: qui demain planifiera les grands projets, qui les financera, qui les contrôlera et qui en profitera.
Ce précédent constitue en quelque sorte la pierre d'assise d'une transition qui vaut sans doute la peine de risquer temporairement quelques points dans les sondages. De toute façon, il faut se rendre à l'évidence: la question ne soulève pas les foules, donc peu de risques de ce côté.
Mais cet affaiblissement progressif de la capacité de nos pouvoirs publics d'influencer les choses, ce mouvement directement opposé à celui de la Révolution tranquille, participe d'une sorte régression tranquille dont nous léguerons les malheureux effets à nos enfants — après avoir profité au mieux des fruits de la première.
C'est donc un renoncement aussi majeur qu'irréfutable — et surtout irrémédiable en raison des échéanciers démesurés en cause — que nous aurons bêtement accepté sans broncher, étonnamment aveuglés ou encore tout simplement distraits devant des enjeux pourtant aussi graves.
Pressés d'avoir nos «CHU», nous avons refusé de bien examiner les enjeux de fond, obnubilés par notre désir de rattraper le temps perdu et faussement convaincus que d'accepter ce «moindre mal» était une avancée pour le système de santé. Mais dans les faits, en refusant de réagir, nous avons choisi notre camp: celui de la démission collective. J'ignore si nous nous en remettrons.
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Alain Vadeboncoeur - Vice-président de Médecins québécois pour le régime public


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