La France défend le Québec à Nairobi

Une sorte de «Vive le Québec vert» vite dénoncé par Ottawa

Kyoto



Québec - Le différend Québec-Ottawa au sujet de Kyoto a dégénéré en querelle diplomatique entre la France et le Canada, hier à Nairobi, où se tient la conférence des Nations unies sur les changements climatiques. En félicitant le Québec pour ses efforts dans la lutte contre les changements climatiques tout en pourfendant du même souffle le Canada pour son «repli» en la matière, la ministre française de l'Écologie et du Développement durable, Nelly Olin, a ravi le ministre québécois Claude Béchard mais a soulevé l'ire de son homologue fédérale Rona Ambrose.
Après avoir clairement exprimé sa profonde déception à l'égard du Canada, Mme Olin a déclaré: «Je suis quand même heureuse de savoir qu'au Canada, tout le monde ne suit pas et que nous avons le Québec qui, notamment, engage une politique extrêmement forte, et je salue leur politique et leur courage [...] Je dois dire [...] bravo parce que eux, ils comprendront et ils entraîneront aussi derrière eux d'autres personnes.» La ministre fédérale Rona Ambrose a répliqué peu après en reprochant à son homologue française de s'être immiscée dans les affaires canadiennes. «Je ne me mêlerai pas de politique intérieure française; je ne me comporterai pas comme elle à l'égard de la nôtre», a déclaré plus tard Mme Ambrose dans une entrevue à Radio-Canada.
Joint hier matin au Kenya, le ministre Béchard triomphait. La déclaration de Mme Olin - une sorte de «Vive le Québec vert!» - était à ses dires «une belle conclusion» d'une semaine qui a par ailleurs été difficile. Hier encore, Mme Ambrose a reproché à son homologue québécois, lors d'une entrevue, d'avoir annulé une rencontre qu'il devait avoir avec elle. M. Béchard a expliqué que le fédéral lui avait fixé le rendez-vous au seul moment où c'était absolument impossible pour lui. «On lui avait pourtant offert de la rencontrer n'importe quand, à n'importe quel moment, et de se parler. Alors, c'est un petit peu ridicule comme argument [...]. Car quand on veut, on peut», a répliqué le ministre à Radio-Canada. Durant toute la semaine, Mme Ambrose a ignoré le Québec et, lors de son discours en plénière, elle n'a pas mentionné, alors que le ministre Béchard l'avait réclamé tant en privé qu'en public, le plan de lutte contre les changements climatiques adopté par le gouvernement Charest en juin dernier.
À ce sujet, le ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, a affirmé hier que le gouvernement fédéral avait l'obligation d'exprimer la position du Québec à Nairobi, et ce, même si celle-ci différait de la sienne. En ne le faisant pas, selon lui, le Canada a nui à sa réputation sur la scène internationale: «Le gouvernement du Canada ne peut pas prétendre avoir une exclusivité en matière d'affaires étrangères ou de relations internationales. Il doit, à tout le moins, lorsqu'il s'exprime au nom du pays, tenir compte des intérêts divergents qui se manifestent au sein de ce même pays», a fait valoir hier le ministre à Québec.
«Gros coup»
Par ailleurs, au dire de M. Béchard, la déclaration de la ministre française représente un «gros coup» pour la «diplomatie parallèle» québécoise. «On avait rencontré [hier matin] de façon bilatérale Mme Olin et on avait pu lui expliquer notre plan», a raconté M. Béchard au Devoir. Il s'est félicité «d'avoir augmenté la pression d'un cran» sur le gouvernement fédéral en amenant les choses à l'échelle internationale.
Selon l'analyse de M. Béchard, «on ressent beaucoup d'exaspération, dans l'Union européenne [UE], à l'égard des pays qui ne respecteront pas Kyoto». Après tout, explique-t-il, l'UE a payé le prix pour rendre son économie plus verte, un coût que d'autres pays refusent d'assumer. «C'est pour ça qu'ils parlent de barrière tarifaire», a dit M. Béchard, soulignant que l'on a beaucoup discuté, à Nairobi, «de la manière d'imposer des pénalités aux pays qui n'atteindront pas Kyoto ou qui n'adhéreront pas au protocole».
Le Québec, qui a fait des efforts pour réduire ses gaz à effet de serre mais appartient à une fédération dont le gouvernement central refuse pour l'instant d'en faire, pourrait-il être pénalisé un jour sur le plan international? «J'en ai discuté avec Mme Olin, a confié M. Béchard, et j'ai justement commencé à lui faire valoir que, si jamais ce scénario-là [les pénalités] se réalisait, il ne faudrait pas que le Québec soit pénalisé. Mais je pense que, d'ici 2012, les pressions internationales vont être tellement fortes sur le Canada qu'il ne pourra qu'adhérer pleinement à Kyoto.»
Pour l'ancienne ministre des Relations intergouvernementales péquiste Louise Beaudoin, l'incident d'hier à Nairobi, où une alliance avec la France a permis au Québec de se faire valoir sur la scène internationale, n'est qu'une réédition de nombreux autres épisodes passés: pour l'entrée dans la Francophonie, pour le dossier de la diversité culturelle en 1998, etc. Sans cette alliance de dernière minute, «Claude Béchard serait revenu comme le dindon de la farce», a dit Mme Beaudoin, qui a codirigé, avec le politologue Stéphane Paquin, l'ouvrage Histoire des relations internationales du Québec (VLB éditeur), lequel vient de paraître. «La doctrine Gérin-Lajoie, ça fait 40 ans. C'est le temps qu'on passe à une autre solution pour prendre notre place sur la scène internationale», a dit la politicienne (dont le retour prochain en politique est un «secret de Polichinelle», selon le Journal de Chambly).
Pas de regrets
Ainsi, même sans les 45 secondes qu'il avait réclamées du temps de parole du Canada, M. Béchard a dit hier ne pas regretter «une seconde» son voyage au Kenya. Mercredi, le chef de l'opposition André Boisclair avait réclamé que M. Béchard rentre au pays pour protester contre le sort que le fédéral lui avait réservé. «J'ai eu l'occasion de rencontrer une dizaine d'États fédérés, de cinq à six ministres, la secrétaire en environnement de la Californie, de l'Écosse, deux États fédérés en Australie. On a aussi beaucoup travaillé avec le groupe Climate Change, formé à Montréal l'an passé», insistait hier M. Béchard. En Chambre hier, la ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, a défendu la mission de son collègue en faisant valoir qu'il avait pu «rencontrer l'ensemble des pays de la Francophonie réunis actuellement en conférence multilatérale».
Quant au fameux «plan québécois», il a toutefois besoin des deniers fédéraux (328 millions de dollars) pour être pleinement réalisé. À ce sujet, M. Béchard répétait hier qu'il «maintiendrait la même pression et la même approche» pour obtenir l'argent du fédéral. Il se dit optimiste: «D'ici quelques mois, le fédéral va présenter ses nouvelles cibles promises pour janvier prochain. Or, s'il veut qu'on les atteigne, il devra mettre sur pied des programmes fédéraux, par exemple sur l'efficacité énergétique et le transport. Et nous, on va se raccrocher à ça.»
Le Devoir
Avec la Presse canadienne


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