Voilà des années que l’on nous « promet » la guerre en Iran… Arlésienne ?
Alain de Benoist - Cela montre au moins que le sujet reste d’actualité. Mais l’Iran n’est pas le désert des Tartares, et il y a quand même de bonnes chances que les armes finissent par parler. Où en est-on aujourd’hui ? Quand on parle de l’Orient compliqué, il faut raisonner simplement, c’est-à-dire partir du certain pour aller au probable. Ce qui est certain, c’est que l’État d’Israël souhaite de toutes ses forces une frappe militaire sur l’Iran (à tort ou à raison de son propre point de vue, là n’est pas la question) et, si possible, que ce soient les Américains qui y aillent à sa place. Problème : Obama n’est pas très chaud, pas plus que ne le sont les militaires de Washington, pour l’excellente raison que tous les scénarios d’intervention militaire imaginés au Pentagone débouchent sur des catastrophes.
Obama s’en tient donc pour l’instant aux négociations et aux sanctions. Mais ces dernières n’auront sans doute qu’un effet limité, ce qui peut permettre aux « faucons » de reprendre le dessus. Dans ces conditions, une attaque israélienne reste hautement probable, malgré les difficultés techniques et les risques inhérents à une telle entreprise. Elle provoquerait immédiatement une réplique qui pourrait mettre à feu et à sang toute la région. Se mettrait alors en place une dynamique dans laquelle les États-Unis seraient obligés de s’impliquer. Du moins est-ce ainsi que l’on raisonne à Tel-Aviv.
Autre possibilité : une provocation de grande envergure, qui permettrait d’attribuer aux Iraniens ou à leurs alliés un attentat « sous faux drapeau », une tentative d’assassinat du président, ou que sais-je encore… Les États-Unis devraient alors intervenir sous la pression de l’opinion publique. On en est là.
Un énième conflit au nom d’une énième « croisade des démocraties »… Dans votre livre, « Au delà des droits de l’homme », vous dénoncez ce néo-impérialisme, à la faveur duquel les missionnaires catholiques ont été supplantés par de nouveaux évangélistes. Imposture ?
On peut y voir une imposture, mais il y a là une parfaite logique. Si je m’estime porteur de la vérité, alors je suis fondé à éradiquer l’erreur, c’est-à-dire à faire disparaître tout ce qui contredit mon point de vue. Et à le faire par tous les moyens. C’est le principe même de la « guerre juste ». Prétendre se battre au nom de l’humanité (les « droits de l’homme ») conduit immanquablement à placer ses adversaires hors humanité. Ceux-ci deviennent alors des ennemis absolus, des figures du Mal, avec qui une paix négociée est impossible. Le but de la guerre n’est plus la paix, mais l’extermination.
Au-delà des gesticulations verbales et de l’armée américaine qui bombe le torse en envoyant son armada dans le Golfe persique, on sait aussi que les Iraniens, en cas d’attaque aérienne, auraient désormais les capacités de détruire au moins la moitié de cette escadrille. D’un côté, Zbigniew Brzezinski, l’un des pontes de la géopolitique américaine assure que si Israël voulait bombarder l’Iran, il serait du devoir des USA de clouer son aviation au sol… De l’autre, les Israéliens retenteraient bien une Opération « Osirak »… Une autre guerre de retard ?
Le « danger nucléaire » joue, concernant l’Iran, exactement le même rôle que les armes de destruction massive dans le cas de l’Irak. Il s’agit de faire peur. Mais qui est en droit d’avoir peur aujourd’hui, sinon l’Iran ? J’ignore évidemment si les Iraniens auront un jour la bombe atomique. Ce que je sais, c’est que cette arme ne présente d’intérêt qu’en tant que force de dissuasion. Là aussi, les choses sont simples : on n’attaque pas une puissance dotée d’un armement nucléaire. La bombe atomique permettrait aux Iraniens de sanctuariser leur territoire, ce que les puissances occidentales, qui cherchent depuis toujours à contrôler ce pays en raison de la position-clé qu’il occupe sur le plan géopolitique, ne veulent évidemment pas.
Avec leur bombinette, les Iraniens ne seraient un « danger » pour personne, et surtout pas pour Israël, qui dispose déjà de plusieurs centaines de têtes nucléaires (non déclarées). Sait-on que l’actuel budget militaire iranien (un peu plus de six milliards de dollars par an) est inférieur à celui de la Grèce, de la Suède ou de Singapour ? À l’exception des Émirats, l’Iran dépense moins par habitant pour son armée que n’importe quel autre pays de la région.
La Turquie lâche Israël pour se rapprocher de Téhéran. Mais dans le même temps, la Russie semble renouer avec les USA. Sans même évoquer la Chine et l’Inde. Redistribution des cartes ?
La Russie et la Chine doivent faire face à des impératifs contradictoires. Même s’il ne fait pas de doute que ces pays sont hostiles à une attaque contre l’Iran, leur intérêt n’est pas à court terme d’affronter directement les Américains.
Tout comme Obama, Medvedev et Poutine doivent en outre compter avec la pression des factions qui s’affrontent dans leur entourage. L’émergence d’un axe Brésil-Turquie-Iran, concrétisé par l’accord tripartite signé en mai à Téhéran, est en revanche d’une importance majeure. Cet accord montre que le monopole dont jouissaient naguère les puissances occidentales pour décider de l’ordre du monde est brisé. N’en déplaise à Bernard Kouchner, il faudra désormais compter avec les « pays émergents ».
En arrière-plan, la cause palestinienne, peuple majoritairement arabe et sunnite, mais aujourd’hui défendu avec plus de vigueur par les Turcs (pas des Arabes) ou les Iraniens (toujours pas arabes et chiites de surcroît). Fin du mythe panarabe ?
Les mythes ne meurent jamais, mais il ne fait pas de doute que le panarabisme appartient au passé. Dans le monde arabo-musulman, à l’époque de la Guerre froide, les nationalismes laïcs ont constamment été combattus par les États-Unis qui craignaient leur instrumentalisation par le bloc de l’Est. Pour faire pièce à ces mouvements, les Américains ont systématiquement encouragé l’islamisme, stratégie qui a culminé au moment de l’invasion de l’Afghanistan par les Russes. Que cette stratégie se retourne aujourd’hui contre eux est un juste retour des choses.
Et une France et une Europe inaudibles sur le sujet. Enterrement de première classe de notre politique méditerranéenne ?
La France ne peut plus avoir de politique « méditerranéenne » depuis qu’elle a choisi de s’aligner sur les intérêts israéliens. Quant à l’Europe, elle vit à l’heure de l’impuissance et de la paralysie. Hubert Védrine voyait juste quand il parlait récemment de « l’irrealpolitik » européenne, ce ménage brumeux d’ingénuité, d’abstraction et de prédication moralisante qui fait croire aux Européens qu’ils vivent dans un monde post-tragique où ils n’auraient plus à se penser comme des acteurs du jeu mondial. « Les Européens, disait Védrine, ne se résignent pas à ce que l’histoire du monde reste celle d’une compétition de puissances. Ils se sont privés des outils mentaux pour penser cette situation… » Le problème, c’est que les puissances réelles du monde réel savent, elles, très bien ce qu’il en est. C’est pourquoi il y a des rumeurs de guerre contre l’Iran.
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