"La grande illusion" par Daniel Baril

Laïcité — débat québécois

L'éditeur:
Le début du 20e siècle nous avait annoncé la disparition imminente de ce que Karl Marx avait appelé « l’opium du peuple » et Sigmond Freud « la névrose de l’humanité».
La fin du siècle nous a plutôt montré qu’après un déclin relatif, la religion a repris de la vigueur.
Comment expliquer cette persistance du religieux ?
Comment expliquer l’universalité de ce que nous appelons « religion » et qui s’observe à toutes les époques, dans toutes les régions du monde, dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés humaines, du Paléolithique jusqu'à l'ère spatiale ?
Comment expliquer ce besoin apparemment irrépressible qu’a l’humain de créer du surnaturel ?
Ce livre propose de nouvelles réponses à ces questions éternelles en recourant à la théorie de l’évolution.
En se référant aux avantages adaptatifs liés à l'appartenance religieuse, à la morale sociale, au comportement ritualiste et à la croyance au surnaturel, l'interprétation développée dans cet essai conduit à considérer le religieux comme un phénomène dérivé des mécanisme cognifits nécessaires à la vie sociale.
De la neurothéologie à la « religion du chimpanzé » en passant par les différences entre hommes et femmes, l'auteur explique en termes clairs et vulgarisés les fondements biologiques du sentiment d'appartenance, du geste rituel, de l'altruisme et de notre « irrépressible » anthropomorphisme.
L'AUTEUR :
Anthropologue de formation, DANIEL BARIL est journaliste à l'hebdomadaire Forum de l'Université de Montréal. Il est connu pour son engagement en faveur de la laïcité.
LA GRANDE ILLUSION

Comment la sélection naturelle a créé l’idée de Dieu

Daniel Baril

LES ÉDITIONS MultiMondes

2006 - 128 pages

Table des matières
0. Introduction Repenser le religieux L’étendard du clan Expliquer ne veut pas dire justifier Quelques principes à avoir à l’esprit
1. Dieu prend du mieux Désaffection et mouvance interconfessionnelle États-Unis et Europe Russie et Chine Tendance globale : religion à la carte
2. La religion ou la vie sociale en raccourci L’essentialisme dans « la forme élémentaire de la vie religieuse » L’évitement de l’inceste et l’« odeur de parenté » L’amour du prochain ou le gène égoïste L’altruisme réciproque ou le plaisir du don Le sacrement du pardon ou l’angoisse de l’exclusion Le sacrifice extrême ou le syndrome du kamikaze Et la religion dans tout ça ?
3. Le rituel ou le prix à payer pour faire partie du groupe La réification d’un symbole Décourager les tricheurs La théorie à l’épreuve des faits L’émotion des profondeurs ou le rituel vu par le scanner Une parenthèse sur la neurothéologieLa réalité induite par le rituel
4. Le surnaturel ou l’irrépressible anthropomorphisme L’intelligence sociale L’algorithme darwinien de l’altruisme réciproque Le module de «biologie intuitive» dans la religion Le surnaturel naturel et contre-intuitif La danse de la pluie ou le religiopithèque
5. La religion a-t-elle un sexe? Différences intersexes Les interprétations sociologiques Profil psychologique «féminin» Universalité des «stéréotypes» La sélection sexuelle Marqueurs cognitifs et marqueurs comportementaux
6. Synthèse : la religion est un épiphénomène
7. Gènes, hormones et culture: comment ils interagissent dans le comportement religieux La molécule de la foi Les jumeaux et la religion Le faux problème du déterminisme Causes proximales et causes ultimes
8. Conclusion :La sagesse humaniste de l’évolutionnisme
Références
***
Début de l'introduction
Repenser le religieux
Faire disparaître le besoin de Dieu exigerait un bouleversement qui ressemblerait à une mutation de l’espèce.

Peter Berger
Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, la religion se porte bien. Le début du 20e siècle nous avait annoncé la disparition imminente de ce que Marx considérait comme l’opium du peuple et Freud la névrose de l’humanité, mais la fin du siècle nous a plutôt montré qu’après un déclin relatif la religion a repris de la vigueur.
Comment expliquer cette persistance du religieux ? Comment expliquer l’universalité de ce que nous appelons « religion » et qui s’observe à toutes les époques, dans toutes les régions du monde, dans toutes les cultures et dans toutes les sociétés humaines, du Paléolithique jusqu’à l’ère spatiale ? Comment expliquer ce besoin apparemment irrépressible qu’a le primate humain de créer du surnaturel ?
Ce livre propose de nouvelles réponses à ces questions éternelles en recourant aux théories de l’évolution. L’approche diffère radicalement d’avec les interprétations sociologiques ou psychologiques habituelles du fait religieux. La plupart des sociologues ont en effet attribué la persistance de la religion à des capacités d’adaptation insoupçonnées à l’égard de la modernité, comme dans le cas du christianisme, ou à un regain de résistance contre cette modernité, comme dans le cas de l’islamisme (Berger ; Lambert) .
Mais ceci ne concerne que les religions institutionnalisées. En se limitant au contexte social et économique d’une époque donnée ou d’un groupe donné, la sociologie s’avère impuissante à proposer une analyse satisfaisante de la persistance de la religion indépendamment des facteurs invoqués. En expliquant la religion par les fonctions qu’elle remplit, les sociologues adoptent une perspective « créationniste » qui veut que la fonction crée l’organe.
Si le surnaturel répond aux questions existentielles de l’être humain, c’est que cet être a en lui une propension à penser le monde de cette façon, c’est-à-dire à créer du surnaturel ; sinon, il se satisferait des explications matérialistes et la morale humaniste suffirait à guider sa conduite. L’analyse développée dans ce livre cherche à identifier les fondements biopsychologiques qui font que l’individu, et non la société, est spontanément porté à créer du surnaturel. Dans cette approche, la citation de Peter Berger présentée en exergue peut être prise à la lettre : le religieux repose en effet sur des bases biologiques identifiables et qui caractérisent l’espèce. La religion qui en découle est sans doute le phénomène culturel qui nous permet le mieux de comprendre l’ensemble des dispositions sociales et cognitives d’Homo sapiens.
L’analyse qui suit ne porte que sur les fondements biologiques de ces dispositions, mais ceci ne signifie pas que je réduis la religion à ces éléments. Il est incontestable que le comportement religieux et les croyances religieuses sont influencés par l’environnement social et l’éducation ; ce n’est toutefois pas sur ces composantes sociales que porte cet essai mais sur les fondements plus lointains qui leur donnent une assise.
L’analyse diffère également de la plupart des études qui ont traité des facteurs biologiques à l’oeuvre dans la religion et qui ne se sont arrêtées qu’aux facteurs proximaux comme la neurologie du cerveau. Bien que ces aspects soient mentionnés au passage, l’interprétation proposée repose sur les causes lointaines, c’est-à-dire évolutionnistes, du comportement religieux.
L’évolutionnisme dont il est question n’a rien à voir avec l’évolutionnisme culturel des anthropologues et des sociologues de la seconde moitié du 19e siècle, incarné notamment par Herbert Spencer, et qui postulait un progrès dans le développement des institutions sociales, des structures politiques et économiques, des langues et des religions. Il ne s’agit pas de l’évolution de la religion, mais de l’évolution biologique dont les lois sont décrites par les théories darwiniennes de la sélection naturelle et de la sélection sexuelle. Même appliquées au comportement humain et à l’institution culturelle qu’est la religion, ces théories n’ont rien à voir avec le darwinisme social qui est un projet politique et non un outil scientifique.
L’étendard du clan
Les auteurs darwiniens qui se sont aventurés sur le terrain de la religion ont presque tous commis l’erreur de ne pas définir ce qu’ils entendaient par religion et ont eu tendance à la considérer comme un élément social distinct. Ceci est manifeste chez Edward Wilson lorsqu’il considère que la religion est en elle-même une adaptation (Paulson). D’autres l’ont réduite à l’une ou l’autre de ses fonctions adaptatives comme le sens de l’appartenance ethnique (MacDonald), l’investissement parental (Reynolds), la morale sociale (Alexander), l’altruisme (Wenegrat), le besoin d’organisation hiérarchisée et cohérente (Burkert). Certains enfin n’ont abordé que l’une de ses composantes, comme le rituel (Rappaport), la croyance (Boyer) ou les fonctions cérébrales à l’oeuvre (Atran).
Définir la religion représente un réel défi puisque cette notion recoupe toutes les dimensions de la société humaine et de l’agir humain. La définition qu’en donnait Émile Durkheim il y a presque 100 ans constitue un excellent point de départ pour établir une jonction entre des observations socio-anthropologiques et une interprétation biologique. En observant que les éléments les plus sacrés de la vie des aborigènes d’Australie équivalaient aux règles de la filiation clanique et de l’appartenance sociale, Durkheim définit l’essence de la religion comme étant « l’étendard du clan », c’est-à-dire le symbole par lequel un individu définit et maintient son appartenance à un groupe social en particulier.
Dans les sociétés tribales précoloniales, il était impossible de dissocier la religion des autres composantes de la vie sociale. Plusieurs de ces sociétés n’ont d’ailleurs pas de mot pour désigner ce que nous appelons religion parce que le surnaturel est en toute chose et que tout comportement ou événement est toujours en lien avec le surnaturel. Dans ce contexte, la religion n’est pas un élément social parmi d’autres : « la vie religieuse est comme une expression raccourcie de la vie collective tout entière », écrivait Durkheim.
Pour proposer une interprétation évolutionniste consistante et cohérente de la religion, il faut donc fragmenter ce concept selon ses principales composantes et faire porter l’interprétation sur chacune d’entre elles comme on le ferait s’il fallait analyser les avantages adaptatifs d’un ensemble aussi large que « la culture » (Sperber). En terme simple, il n’y a pas de « gène de la religion » (puisque la religion est un concept), mais tout ce qui compose la religion repose ultimement sur un substrat génétique (Baril).
Après avoir établi le fait de la persistance du religieux dans la modernité (chapitre 1), les principaux éléments sur lesquels portera l’interprétation darwinienne sont l’appartenance à un groupe et la morale sociale (chapitre 2), la pratique de rituels (chapitre 3) et la croyance au surnaturel (chapitre 4). Lorsqu’on recherche les facteurs adaptatifs qui sous-tendent ces éléments, on constate que chacun d’entre eux trouve une fonction sociale en dehors de la religion. Ceci conduit donc à voir la religion et le religieux comme un épiphénomène de nos dispositions sociales et cognitives retenues par la sélection naturelle pour leur adaptation aux interrelations dans un groupe. Cette interprétation est étayée par les différences observées entre les hommes et les femmes dans le domaine du religieux et qui s’expriment exactement selon le modèle prévu par la sélection sexuelle (chapitre 5). Ces cinq chapitres traduisent le discours anthropologique traditionnel sur la religion selon les termes et concepts de la biologie évolutive. D’autres éléments relevant de la biologie proximale sont examinés au chapitre 7 où sont abordés les rapports entre gènes, culture et comportement.

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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