La « grandeur » est notre destin commun

Face à la menace qui pèse sur nous, notre destin prend la forme d’un défi lancé à chacun, mais qui nous concerne tous.

Penser le Québec - Dominic Desroches

Confronté à la crise environnementale, l’homme se voit dans l’obligation de
modifier son style de vie. Quand la température passe de -5 degrés la nuit
à 27 le jour, on doit prendre une pause et réfléchir. Si l’homme réfléchit,
il verra l’obligation de s’améliorer. Le sort que la nature lui réserve, et
il ne s’agit pas d’une ruse, est la grandeur. Car l’homme qui veut
continuer à habiter la Terre n’a plus le luxe d’attendre, il doit faire
tout de suite de petits gestes qui lui assureront un espace habitable et le
rendront meilleur. Comme le prophétisait le philosophe Nietzsche, il faut «élever» l’homme.
Or la « bonne nouvelle » n’est pas religieuse ou scientifique, elle est
politique. L’homme s’améliorera, car c’est son destin. Cette amélioration
ne passera pas d’abord par des inventions techniques, mais par une
acceptation des limites. L’économie triomphante, vantant la croissance
infinie sur une terre finie, doit céder le pas à une politique des limites.
Dans la modestie nouvellement réhabilitée, le destin se veut évidemment
commun.
Le destin comme vérité politique commune
Face à la menace qui pèse sur nous, notre destin prend la forme d’un défi lancé à chacun, mais qui nous concerne tous. Si l’espérance de grands
changements reste illusoire, éduquer des hommes et les rendre politiquement
meilleurs est nécessaire. L’obligation de se changer soi-même traduit alors
une vérité politique commune. Apprendre à se fixer des limites, voilà ce
que de plus en plus d’hommes doivent apprendre à ressentir et à espérer des
autres. La rhétorique environnementale, le discours qui conduira à une
politique commune, est devenue trop importante pour être laissée aux
écologistes, aux économistes ou aux idéologues patentés. Elle nous concerne
tous.
Si la rhétorique environnementale questionne la surconsommation éhontée,
c’est parce que l’American way of life, qui ne cesse de nous définir,
constitue une fuite et un mensonge. La « grandeur » ne se trouve plus dans
le gros, mais dans le petit, le minuscule, le détail. Contre le rêve d’une
fausse grandeur, il faut opposer la culture des limites et l’esprit de
finesse. Voilà le suprême retour sur soi-même auquel est appelée notre
humanité : combattre le mensonge de la fausse grandeur par la défense de la
modestie. L’idée d’un point tournant à ce sujet fait lentement son chemin
en nous-mêmes.

Sentez-vous le tournant ?
Contre un rêve américain pour lequel tous nos problèmes se réglèront dans
la consommation et la technique, il importe de défendre la modestie, car un
tournant s’est opéré dans notre destinée commune. En effet, il ne faut plus
consommer comme si nous vivions « au-dessus de la nature », mais se sentir
un peu plus en elle. Quand on place le centre de gravité dans la vie et non
plus au-delà, on sent les choses différemment. La sensation peut nous
guider vers ce que nous sommes : des animaux cultivés, des animaux qui se
construisent une maison et qui doivent s’en occuper. Nietzsche écrivait
dans Ecce homo en 1880 : « Je suis le premier à avoir découvert la vérité,
par le seul fait que je suis le premier à avoir senti - à avoir flairé - le
mensonge comme mensonger... Tout mon génie est dans mes narines ». Il
voulait dire que l’on peut soupçonner le « mensonge » du courant dominant.
Contre le rêve actuel, peut-être faut-il défendre l’idée que l’avenir
consiste à ressentir l’urgence de se créer un nouvel espace commun, moins
gros mais habitable. L’homme n’est plus au centre du monde : il est à sa
limite et voit sa fin. À tous les jours se rapproche-t-elle un peu plus de
lui et l’interpelle.
Grandir, une chance unique dans l’Histoire ?

Notre situation est dès lors unique dans l’Histoire. Contrairement aux
générations précédentes, nous formons la première génération confrontée à
l’appel de son destin. L’obscurcissement de notre avenir, notre fin qui
s’avance vers nous, voilà une vérité que n’ont pas connue nos grands-parents.
Interpellé par la crise environnementale marquant la seconde limite de
l’Histoire après la bombe atomique, l’homme reconnaîtra-t-il sa chance de
grandir ? Car s’il continue à se moquer de l’avenir en utilisant les
changements climatiques comme de nouvelles possibilités économiques, demain
sera court. Mais il y a de l’espoir car la grandeur se révèle à la
difficulté de l’épreuve que l’on doit surmonter. L’homme, disait Nietzsche,
est appelé à un grand destin…
Dominic DESROCHES

Département de Philosophie /Collège Ahuntsic
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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