La langue est une libération

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Un rapport à la langue française à revoir

Au sujet de Mauvaise langue de Marc Cassivi.

«La langue n'est pas une prison», nous apprend Marc Cassivi. Vrai. Elle est une libération, mais elle ne la devient qu'à condition qu'on puisse tout faire avec elle. L'objectif de la Charte de la langue française, que M. Cassivi prétend soutenir, a été justement cela : libérer les Québécois en donnant à leur langue un statut qui pourrait se résumer comme suit : le français pour tout, pour tous et partout. Ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle.

Il suffit de citer un cas parmi des milliers : une dame d'un certain âge du nom de Dionne se rend à un grand hôpital pour un grave problème de dos. Le médecin ne parle pas un traître mot de français ; n'eut été la présence de ses enfants, la patiente et le médecin n'auraient pas pu communiquer. Cette scène, tout droit sortie de Bonheur d'occasion, s'est déroulée en juillet 2015 au très moderne CUSM, non pas 70 ans plutôt au triste hôpital pour enfants lorsque Gabrielle Roy a publié son chef-d'œuvre.

La clé pour sortir de la prison que la langue française représenterait au Québec serait l'ouverture à l'anglais. Il soutient sa thèse de deux façons : son parcours personnel, et la prétendue universalité de la langue anglaise. Le premier élément vaut ce qu'il vaut. À chaque anecdote personnelle, on pourrait opposer une anecdote tirée du parcours d'un Akos Verboczy (voire une anecdote du parcours de l'auteur de ces lignes). Qu'il soit fascinant, charmant, provocant ou ennuyant, un parcours personnel ne prouve rien. Au plus, il aide à comprendre les gouts et choix culturels de l'auteur, dont acte en ce qui concerne les Dead Obies et autres Lisa LeBlanc. À chacun son gout. Pas besoin d'en faire un plat.

Le deuxième élément, la prétendue universalité de l'anglais, pose problème. Qu'il ressorte le terme «universel» pour décrire l'anglais surprend. L'esperanto se voulait «universel» ; les Français se plaisaient jadis, à tort, à décrire leur langue comme «universelle». Langue universelle signifie que tout le monde la parle et la comprend. Une élite d'affaires n'est certainement pas tout le monde. Pour le constater, il suffit de sortir des aéroports, des hôtels et des lieux touristiques du Japon, de la Chine, mais aussi de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Argentine, du Niger, du Congo... Il y a des lingua franca dans ces pays, mais ce n'est certainement pas toujours l'anglais.

Surprenant aussi qu'il cite sans nuances les chiffres les plus mirobolants sur l'utilisation de l'anglais dans le monde : «quelques deux milliards de personnes, selon les spécialistes», nous dit-il. Or, tous les documents sérieux sur le nombre de locuteurs de l'anglais servent une sérieuse mise en garde : ces statistiques sont au mieux peu fiables.

Plus important encore, son chiffre de «deux milliards», qui est de loin le plus élevé qu'on trouve, ne tient pas compte du nombre de locuteurs maternels de l'anglais (350-400 millions), ni du fait que ils se trouvent seulement en Amérique du Nord, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, ni que ce nombre n'augmente à peu près pas, et même qu'il descend selon certains.

L'attitude de Marc Cassivi à l'égard de l'anglais ressemble à celle d'une certaine élite russe du 19e siècle qui ne jurait que par le français - dans Guerre et paix, Tolstoï fait parler des membres de l'élite dans une sorte de «frusse» (française-russe), une phrase en français, une en russe. Contrairement à l'élite, le peuple russe ne s'entichait pas tellement du français ; aussi la Révolution d'octobre a mis une fin abrupte à cette folie.

Dans des pays où l'anglais demeure une langue officielle, les langues nationales tendent à supplanter l'anglais dans plusieurs domaines (le hindi en Inde, le haoussa au Nigeria et dans les pays avoisinants, le swahili en Afrique de l'Est). Pour certains linguistes, il s'agit là du facteur le plus important quant à l'avenir de l'anglais comme langue internationale, mais aussi, et peut-être surtout comme facteur décisionnel pour les pays et les peuples qui doivent veiller à la promotion et à la pérennité d'une langue.

Les autorités politiques québécoises portent la lourde responsabilité de réfléchir et d'agir pour s'assurer que le français soit la langue commune de tous les Québécois dans 50, 100, 200 ans. C'est aujourd'hui qu'il faut décider.

Alors que partout sur la planète des pays et des peuples se battent (souvent avec succès) pour que leurs langues nationales atteignent le statut qu'elles méritent, qu'ils se libèrent en utilisant leur propre langue, le Québec ferait le contraire s'il devait suivre les conseils d'un Cassivi. Ce serait l'apprentissage généralisé de l'anglais, la bilinguisation du Québec, le franglais, l'abandon des objectifs de départ de la Charte de la langue française.

Mais Ô surprise : c'est exactement ce qui se passe sous les libéraux à Québec et à Ottawa, sans même que Cassivi ne les conseille!


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