MBA en anglais aux HEC

La «louisianisation» de l’Université québécoise

Chronique de Louis Lapointe

Comme bien des Québécois, je n’ai pas pu m’empêcher de rire en voyant François Legault baragouiner l’anglais sur You Tube. Je n’ai pas pu non plus m’empêcher d’avoir la réflexion suivante. Air Transat, une compagnie aérienne qui a de nombreuses destinations extraterritoriales, est la preuve vivante qu’un entrepreneur québécois comme François Legault peut réussir en affaires à l'extérieur du Québec sans parler couramment l’anglais.
François Legault est aussi un professionnel, un comptable agréé qui a obtenu son diplôme aux HEC, une école affiliée à l’Université de Montréal qui ajoutera à compter de septembre prochain un nouveau programme de maîtrise uniquement en anglais destiné à une clientèle étrangère qui viendra s’ajouter au MBA déjà offert exclusivement en anglais, comme le rapportait le Devoir la semaine dernière. Une maîtrise 100% en anglais

On comprendra aussitôt que l’école des HEC souhaite marcher sur les traces de l’Université McGill en offrant des programmes de deuxième cycle à une clientèle internationale. Une initiative qui a permis à cette dernière d’exiger des droits de scolarité de 30,000 $ de ses étudiants étrangers, une vraie manne pour cette université.
Un événement qui m’avait alors inspiré le commentaire suivant :
«Dans le cas particulier du MBA de McGill à 30,000 $, tout le monde s’attend donc à ce que le ministère coupe la certification et la subvention de ce programme fait sur mesure pour de riches étudiants. Je dirais même que la stratégie de McGill est convenue et que les autres universités vont rapidement emboîter le pas (…) et toutes se verront, elles aussi, couper subventions et certifications pour ces programmes.
Comme il s’agit de nouvelles clientèles, cela n’aura aucun effet sur la subvention générale d’opération et augmentera les revenus des universités délinquantes. Elles seront, dans les faits, récompensées pour leurs gestes répréhensibles. De bonnes raisons pour récidiver dans d’autres secteurs qui nécessitent peu de fonds, comme les programmes de droit.» Punir McGill

Des programmes en anglais dans des universités francophones

L’idée d’offrir des programmes en anglais dans des universités francophones n’est pas nouvelle. Elle cogite dans l’esprit des recteurs depuis de nombreuses années.
En offrant des programmes complets à une clientèle anglophone, les universités se donnent une plateforme qu’elles pourront exporter via le WEB à une clientèle internationale qui souhaitera suivre ses cours à distance, une source supplémentaire de revenus pour les universités en manque de financement pour leurs activités de recherches. Un phénomène dont j’ai déjà traité dans cette chronique.
«C’est aussi dans la vie quotidienne que l’on sent le pouls de la société. Les lecteurs de Vigile savent tous que la langue française est menacée partout au Québec, pas seulement à Montréal, puisque de nouveaux indices nous le rappellent chaque jour. Qui n’a pas également remarqué que notre société sombre de plus en plus dans la médiocrité et que cela n’est pas toujours le fait de nos adversaires ?
La complaisance de nos dirigeants à l’égard de la situation du français au Québec est symptomatique de la bêtise dans laquelle nous baignons. Si Madame Marois a déjà chéri l’idée d’enseigner l’histoire en anglais aux petits Québécois de langue française, la plupart des universités québécoises souhaitent quant à elles devenir bilingue pour étendre leur offre de formation à l’ensemble la planète afin d’augmenter leurs revenus. Cela commence dans leur propre cour.
Ainsi, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue est devenue dans les faits une université bilingue depuis qu’elle a décidé d’offrir des programmes d’études à temps complet en anglais à la population crie de la Baie-James à son centre universitaire de Vald’or. Pourtant, l’Abitibi-Témiscamingue est une région où les anglophones représentent moins de 2 % de la population. »
Le bilinguisme et la médiocrité.

Or, depuis que j’ai écrit ce billet en 2009, l’UQAT a pris l’initiative d’ouvrir une école de langue destinée à ses étudiants ne maîtrisant pas notre langue, essentiellement des Cris et des Chinois.
Dans une autre chronique, Pierre Corbeil, le choix des Cris ?, j'expliquais pourquoi les établissements d'enseignement supérieur pouvaient se montrer si intéressés par l’idée d’ouvrir des programmes en anglais. Une façon originale d’offrir indirectement à la population francophone la possibilité d’étudier en anglais dans un établissement qui deviendra dans les faits bilingue.

À cet égard, la dernière chronique de Michel David ne peut être plus éloquente.
«Le message est clair : l’anglais pour les cracks, les futurs boss, le français pour les ploucs. Comment peut-on penser convaincre les immigrants qu’ils ont avantage à s’intégrer à la majorité francophone alors qu’on leur fait aussi clairement la démonstration du contraire ?
Les étudiants étrangers ne seront certainement pas les seuls à convoiter ce passeport pour la fortune. Bon nombre de Québécois francophones sauteront aussi sur l’occasion. Déjà, ils créent des embouteillages dans les cégeps anglais.»
Business is business

Professions, langue commune, uniformité et protection du public
Dans les premiers jours où j’ai pris la direction de l’École du Barreau du Québec en 1995, j’ai été l’objet de pressions provenant d’un lobby anglophone des grands cabinets d’avocats de Montréal qui souhaitait que l’École du Barreau devienne une école bilingue qui offrirait non seulement la formation en anglais à ses étudiants anglophones, mais également à ses étudiants francophones qui en feraient la demande, une occasion pour eux de devenir «fluant» en anglais.
Une idée qui ne pouvait rendre service à personne puisqu’elle enlevait aux anglophones la possibilité de se préparer pour l’incontournable examen de français destiné aux professionnels non francophones qui souhaitent exercer une profession au Québec et une aberration pédagogique lorsqu’on sait qu’au Québec le français est le premier outil de travail des avocats tant en rédaction, en interprétation, en négociation, en médiation qu’en représentation devant les tribunaux du Québec, peu importe l'origine ethnique des candidats à la profession.
Une uniformité linguistique qu'impose l'obligation légale de protection du public.
On ne peut pas concevoir la formation professionnelle initiale des avocats du Québec autrement qu’en français. L’introduction de l’anglais à ce stade de la formation risquerait d’abâtardir la pratique du droit, affectant sans aucun doute la qualité des services qui seraient par la suite offerts par ces professionnels à leur clientèle du Québec ou à celle qui souhaite venir faire affaire ici.
***
Voilà pourquoi je vois l’initiative des HEC d’ouvrir des programmes de deuxième cycle en anglais moins comme une occasion de s’enrichir aux dépens d’une clientèle étrangère anglophone, qu’un Cheval de Troie permettant d’offrir le programme anglais à sa clientèle francophone, les HEC devenant lentement mais sûrement une école bilingue dont l’une des missions serait désormais de permettre aux étudiants québécois d’apprendre la vraie langue des affaires : l’anglais, alors que François Legault, un finissant de cette institution, est la preuve vivante qu’un Québécois peut très bien réussir en affaires sans être parfaitement bilingue.
Loin d’être un gain pour le Québec, la «bilinguisation» des HEC est un risque bien réel pour l'ensemble du réseau universitaire québécois. Une initiative qui met en péril non seulement l’intégrité de notre système professionnel, mais également la qualité des services qui seront offerts aux Québécois dans ce nouvel environnement linguistique. Une occasion de plus de «louisianiser» le Québec en s’attaquant à son noyau dur : la langue de ses intellectuels, de ses scientifiques et de ses professionnels !

Featured bccab87671e1000c697715fdbec8a3c0

Louis Lapointe534 articles

  • 881 253

L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





Laissez un commentaire



5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 février 2012

    La question identitaire a été occultée depuis toujours au PQ. René Lévesque même y était fort opposé, de même que ses successeurs. Rappelez-vous les déboires de M. Parizeau au sujet des « ethniques ». Il fallait être civiques, tolérants, ouverts, de gauche de préférence. Résultat : les Québécois sont devenus des défenseurs du multiculturalisme qu'on déguise sous l'appellation interculturalisme ou plus récemment, le pluriculturalisme.
    Il ne nous reste que la langue du pâté chinois (source Le Devoir) pour nous identifier et pour combien de temps encore ?????

  • Gaston Boivin Répondre

    28 février 2012

    Monsieur Gilles semble viser juste, quand il emploie, dans son commentaire très pertinent, les mots ''MUER'' et ''MÉTAMORPHOSE'' et cette phrase(on ne peut plus significative et révélatrice)''MAIS QUEL AVENIR POUR NOUS COMME PEUPLE, QUAND UNE PARTIE SIGNIFICATIVE DE NOTRE ÉLITE EN EST RENDUE À SE CONCERTER DANS LA BUT ULTIME DE DE DEVENIR À TOUT PRIX AUTRE CHOSE'' et cette autre ''ET CETTE NOTION DE MINORITÉ PSYCHOLOGIQUE, SAVOIR CETTE MINORITÉ OU MAJORITÉ DÉMOGRAPHIQUE, QUI NE POSSÈDE PAS LES LEVIERS POUR SON ÉPANOUISSEMENT, CE QUI L'ENTRAÎNE VERS L'ASSIMILATION À TOUT PRIX À CETTE MAJORITÉ (dominatrice) PERÇUE COMME MAJORITÉ PSYCHOLOGIQUE''
    On pourrait aussi parler, dans le cas d'un tel groupe sujet à la domination d'un autre, d'une mutation qui lui est imposée par son élite démissionnaire et collaboratrice avec le dominateur. Et, à mon opinion, le mot qui décrit le mieux toute cette situation serait celui de ''MIMÉTISME'', ainsi décrit dans le Larousse ''RESSEMBLANCE QUE PRENNENT CERTAINS ÊTRES VIVANTS, SOIT DANS LE MILIEU DANS LEQUEL ILS VIVENT, SOIT AVEC LES ESPÈCES MIEUX PROTÉGÉES OU CELLES AUX DÉPENS DESQUELLES ILS VIVENT (LA RESSEMBLANCE AVEC LE MILIEU EST NOMMÉE HOMOCHROMIE).
    Ajoutez à tout cela, la contre-attaque fédéraliste à la démarche indépendantiste du peuple québécois, surtout depuis les deux référendums, dont l'une des manifestation est l'implantation, dans nos universités québécoises, de Chaires universitaires canadiennes de Recherche, financées par le gouvernement canadien et Patrimoine Canada, qui sont de véritables instruments de dénationalisation québécoise, ainsi que l'envahissement de nos universités, principalement et surtout à Montréal, par nos riches ''mon oncle'' aux services de l'excellence fédéraliste qui ont décidé de venir secourir ce peuple trop concentré sur sa québécitude, tout cela avec la complicité ou encore l'aveuglement et la naiveté ( mon clavier ne dispose pas du trémas) de nos élites. Et que dire de nos dirigeants universitaires qui sont devenus des pantins aux mains de politiciens démissionnaires et collaborateurs avec la majorité dominante, sinon tout simplement des poteaux qui relaient et appliquent leurs attitudes démissionnaires, véritable reddition d'un peuple à un autre.
    Tout passe à la moulinette, y compris l'histoire, et surtout tout ce qui caractérise nos caractères identitaires: On dirait la course effrénée d'un peuple qui se dirige allégrement vers le précipice pour s'y lancer dans le vide.
    Et, dans tout cela, la dame de béton? Il ne me semble pas l'avoir entendue sur le sujet?! Faut-il s'en surprendre? N'est-ce pas celle-là même qui voulait enseigner en anglais l'histoire de notre peuple à nos enfants, déclaration, qui, en ce qui me concerne, l'a clairement disqualifiée à le diriger et l'a dépossédée de ma confiance en sa capacité de pouvoir le faire.

  • Raymond Poulin Répondre

    27 février 2012

    De fait, la responsabilité de ces complaisances et de ces lâchetés de nos institutions, de même que ce sot préjugé à propos de la supposée nécessité absolue de traiter les «vraies affaires» en anglais au Québec, incombe d’abord et avant tout à nos supposées élites politiques, économiques et intellectuelles, qu’elles soient fédéralistes ou indépendantistes, sociales-démocrates ou néo-libérales. Après, on viendra taxer le citoyen ordinaire d’inconscience. Non, ce n’est pas le peuple qui est malade, mais bien ceux qui prétendent le conduire. Le vieux proverbe s’applique toujours : «les poissons pourrissent par la tête». Avant de songer à l’indépendance, il y a une «job de bras» à faire.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 février 2012

    Un tiers des étudiants sont des étrangers! Si on ajoute les résidents permanents, on est rendu à la moitié!!!!
    Le gros des étudiants étrangers est formé de Français qui viennent étudier au tarif québécois (2k par année) alors que les études en coutent 14k
    La hausse des frais universitaires est le sujet de l'heure. Personne ne parle de l'entente à la con avec les Français qui nous coute 100 millions par année!
    http://www.hec.ca/experience/a_propos/index.html
    Quelques faits saillants sur HEC Montréal :
    Près de 12 000 étudiants
    3 930 étudiants étrangers, soit 32,8 % de la clientèle étudiante

  • Archives de Vigile Répondre

    27 février 2012

    Cela ayant été dit, et votre démonstration conduisant à une conclusion parfaitement logique, la situation qui s'annonce est une décision de l'Institution. Les changements sont annoncés et sans doute déjà en voie d'actualisation.
    Et quand nous aurons fini de protester, la décision va demeurer. Les HEC, sont un héritage précieux. Il fut constitué au temps où les chefs de file de la nation s'identifiaient au Québec.
    Cette institution majeure, ce monument qui fait partie intégrante de notre patrimoine culturel est maintenant livré aux Desmarais et autres sombres individus qui gravitent autour.
    Vous avez certainement raison de signaler la très grande importance que la formation des avocats soit faite en français au Québec.
    Je ne suis pas juriste mais j'ai néanmoins lu en bonne partie le traité du juge Pigeon qui insiste beaucoup sur la richesse que constitue la clarté de la langue, et notamment du français qui est la nôtre dans la rédaction et l'interprétation des lois. je ne vous l'apprendrai certainement pas.
    La clarté de notre langue nous offre, comme son pendant anglais offre aux «natives» anglophones, une capacité d'approfondir les connaissances en puisant aux racines de la culture qui en est le fondement.
    La connaissance intime que l'on peut avoir de notre langue c'est indéniablement une force et une richesse. Pourtant en ce qui nous concerne tout cela est ravalé au rang de vétille aux yeux de ces «décideurs» qui n'ont qu'une idée en tête, et un mot à la bouche, fric.

    Mais quel avenir pour nous comme peuple, quand une partie significative de notre élite en est rendue à se concerter, dans le but de devenir à tout prix autre chose.
    Quand les chefs de file d'un peuple ne sont plus capables de reconnaître la valeur propre de leur culture. Quand ils se montrent incapables de l'apprécier à sa juste valeur, et j'ose ajouter de l'aimer. Quand l'élite est prête à nier fondamentalement sa nature. Dans de telles conditions, quel est l'avenir d'un peuple ? Il n'est pas reluisant.
    Et ce qui me frappe, c'est l'analogie que l'on peut établir entre la sirtuation que vous décrivez et la notion de minorité psychologique qu'en son temps Lewin avait énoncé, en observant les minorités culturelles dans la métropole américaine.
    Cette notion de minorité psychologique s'énonce à peu près comme suit: Il s'agit, soit d'une majorité, soit d'une minorité démographique, qui ne possède pas les leviers pour assurer son épanouissement. Ce qui entraîne un comportement de fuite en avant vers l'assimilation à tout prix à la majorité perçue comme majorité psychologique.
    Et moi je vais vous dire que toutes ces décisions, ces virages, ces renonciations à affirmer notre existence en soi, ça me fait beaucoup penser à cette notion de minorité psychologique comme comportement collectif, qu'avait découvert et décrit Lewin dans le cadre de sa théorie du champs social.
    Vous citiez le procès de Kafka l'autre jour. Savez-vous moi à quoi je pense ? À la métamorphose. De Kafka bien entendu. On a un tas de Grégoire à pied d'oeuvre en train de muer. Ce n'est pas à notre avantage je pense.
    Si ça continue comme ça, la bibitte ne sera pas belle à voir quand nous en serons finalement réduits à la Louisianisation qui nous attend patiemment au bout du chemin de notre déchéance...