La marche à l'amour

Gaston Miron est plus vivant que jamais !

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"Levons-nous mes frères et mes sœurs d’espoir !"

en réponse au dernier texte d'Andrée FERRETTI
Gaston Miron a travaillé avec mon père, Luc Perrier, à couler les fondations de la Collection Les Matinaux, dédiée à l’émergence de la jeune poésie aux Éditions de l’Hexagone. Gilles Carles s’occupait des maquettes et du design graphique de ses petites perles de la parole libérée et un certain Roland Giguère viendra prêter main forte à l’équipe en illustrant certains recueils avec ses magnifiques estampes. Un sillon venait d’être gravé à même le sol de la mémoire collective.
Mon père n’écrivait-il pas, en 1954, dans son premier recueil de poésie intitulé «des jours et des jours» :
«Des jours et des jours
_ ancrés dans nos corps
_ nos corps de fatigues et de courages
_ nos corps que la mer moissonne
_ des jours et des jours
_ pour donner à la vie d’être
_ ce qu’elle ne sera jamais
_ sans toi».

À qui faisait-il allusion ? Au messie, à un prophète, à un thaumaturge à l’instar du frère André, à un leader politique ou, tout simplement, à une amoureuse entrant dans son existence de jeune homme de 23 ans.
De toute façon, l’amour, sous toutes ses latitudes, n’est-il pas le lieu de l’exultation de l’être et de la transmutation de la condition humaine ?
Gaston Miron, dans «La marche à l’amour», enfonce le socle de sa charrue de poète plus profondément encore :
«j'irai te chercher nous vivrons sur la terre
_ la détresse n'est pas incurable qui fait de moi
_ une épave de dérision, un ballon d'indécence
_ un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions profondes
_ frappe l'air et le feu de mes soifs
_ coule-moi dans tes mains de ciel de soie
_ la tête la première pour ne plus revenir
_ si ce n'est pour remonter debout à ton flanc
_ nouveau venu de l'amour du monde
_ constelle-moi de ton corps de voie lactée
_ même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon
_ une sorte de marais, une espèce de rage noire
_ si je fus cabotin, concasseur de désespoir
_ j'ai quand même idée farouche
_ de t'aimer pour ta pureté
_ de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue
_ dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
_ l'éclair s'épanouit dans ma chair».

Un jour, à la fin des années 1970, alors que je sifflais une bière avec des copains sur une galerie de la rue Coloniale, à Montréal, Gaston Miron vint à passer par là. Nous interpellant, avec sa voix tonitruante, il nous lança une semonce sans équivoque : «arrêtez de vous pogner le cul à boire de la bière les jeunes, on a besoin de vous pour bâtir le pays!». Je me souviens d’avoir rigoler à pleines dents, lui proposant de venir se joindre à nous pour partager quelques bières.
L’échec du référendum de 1980, la montée du néo-conservatisme et une première crise structurelle allaient mettre un terme à la dérive post-soixante-huitarde d’une jeunesse paumée… coincée entre les baby-boomers et les échos d’un «no-futur» british très apprécié à l’époque. Gaston avait raison. Le poète avait tout compris. Il fallait sonner la fin de la récréation hédoniste des années 70, nous réveiller et nous relever les manches. Ce que nous fîmes par la suite, poussés au pied du mur par la montée en puissance des élites mondialistes. Construire un pays, oui, mais pourquoi, comment et, pour qui ?
Nous sommes tombés de Charybde en Scylla depuis lors. Affrontant des récessions à répétition, essuyant des scandales politiques et financiers toujours plus fumants et nous soumettant à la médecine de cheval des «lucides» en fin de parcours … la désillusion fut grande.
L’amertume aussi. Le peuple québécois, pas seulement ma génération, venait de passer de l’enfance à l’adolescence en l’espace d’un demi-siècle !
Que nous reste-t-il des chants de libération des Miron, Perrier, van Schendel, Pilon, Giguère ou Lalonde de ce monde ?
Pour paraphraser Gaston-le-magnifique :
«… si je fus cabotin, concasseur de désespoir
_ j'ai quand même idée farouche
_ de t'aimer pour ta pureté».
Oui, nous avons baroudé d’une idée saugrenue à une autre, d’un plan cul à une boustifaille bien arrosée, d’un slogan publicitaire à une mode éphémère … mais il nous reste au fond des tripes le goût profond de la liberté.
J’en profite pour faire acte, moi aussi, de poésie :
« L'amour couve toujours, ce vif argent, ce phénix fabuleux, cette promesse de terres fertiles» – extrait d’une lettre envoyée à une amoureuse.
Ce n’est que par amour que nous pourrons nous libérer comme peuple. L’amour est un flot de vie capable de briser les digues les plus fortes et de faire éclater les citadelles du pouvoir.
Nous avons assez chiffré les pour et les contre d’une éventuelle séparation du Canada. Nous nous sommes trop longtemps complus dans les mises au point, les remises en question et les rectifications. Nous avons été déformés par la rectitude politique, l’esprit retors de nos maîtres prétendument «illuminés».
Ce que nos enfants, les nouveaux arrivants et toutes les forces vives du Québec attendent, c’est tout simplement «La marche à l’amour». Ce dégel des grandes eaux lustrales de l’espoir fécond au printemps de tous les possibles.
Levons-nous mes frères et mes sœurs d’espoir !

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

  • 202 899

Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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