La nation québécoise et le sentiment mondial d'être berné

Toutefois, un énorme sentiment d’incrédulité monte devant tous ces chiffres astronomiques.

Chronique d'André Savard

Le Québec ne forme pas une nation à part. L’oncle Gustave dans la Beauce autant que Gustavo en Espagne voit les gouvernements essayer de réunir la somme pour aider la haute finance. Il voudrait bien cerner le problème. Or, on lui fait juste connaître le chiffre astronomique.
Le président Obama a frappé un grand coup en congédiant le président de General Motors. L’événement fut perçu comme un geste de courage sans précédent aux U.S.A. Un président relevait la tête devant les rois du capitalisme américain. L’acte venait à point pour soulager une opinion publique exaspérée par les primes versées par l’assureur AIG.
Aux dernières nouvelles, les primes ne furent pas remboursées au gouvernement. La compagnie a allégué que l’on ne revient pas sur un contrat. D’autres gestionnaires du monde de la haute finance ont d’ailleurs exprimé leur solidarité avec AIG. Ils reprirent cette idée de la prime au talent qui doit être versée d’autant plus que le talent est nécessaire en des temps difficiles.
Beaucoup de commentateurs proches des milieux financiers ont prévenu que toute intervention légale de la part de Washington serait inefficace. Rien n’empêcherait les primes au talent d’être versées. Si ce n’était pas par le truchement de clauses contractuelles, ce serait par des redevances aux actionnaires privilégiées. Après la crise comme avant, la bonne vieille rhétorique voulant que rien n’empêche le capitalisme de récompenser le mérite individuel sert de bannière à des exactions depuis longtemps devenues pratiques courantes.
Le sommet du G 20 nous a permis d’apprendre que 9 300 milliards de dollars sont empilés dans les paradis fiscaux. Pendant ce temps, les Etats doivent s’endetter pour, à ce que l’on comprend, permettre aux hautes instances financières de faire crédit à tout le monde présentant des actifs acceptables.
Les premiers 300 milliards versés par Washington se seraient évanouis sans laisser de traces. Comment peut-on dilapider 300 milliards en deux mois sans document et sans agent du fisc à ses trousses? Il paraît qu’on avait sous-estimé le pouvoir de ces fonds privilégiés pour investisseurs émérites.
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Et, en passant, l’enveloppe budgétaire allouée qui, dit-on, endettera pour des générations des Etats déjà endettés, demeure moins importantes que les 9 300 milliards de dollars déposés par les riches sociétés et les riches individus dans les paradis fiscaux. Obama se démène, Sarkozy s’éponge le front. Même Harper a des sueurs froides qui, selon la BBC, l’obligent à faire une pause-toilette. Toutefois, un énorme sentiment d’incrédulité monte devant tous ces chiffres astronomiques.
C’est qu’il ne faut pas oublier que même les classes moyennes des pays qui se classent dans le G-20 doivent, pour arriver à joindre les deux bouts, budgéter afin d’employer chaque cinquante dollars au maximum. Un vingt dollars mal placés peut presque causer une querelle de ménage. On ne parlera pas du reste de la population mondiale. Si la terre était un village de 100 habitants, 63 vivraient avec moins de deux dollars par jour. Au sortir de la crise, se demande-t-on, serons-nous plus riches ou aurons-nous simplement plus d’offres de crédit dans nos boîtes aux lettres?
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La phrase de Sarkozy sur la refondation du capitalisme dégage également une odeur de truquage. À la veille du sommet du G 20, on a présenté une liste noire des pays abritant des échappatoires fiscaux pour les très riches. Le plan de relance cependant ne semble pas prévoir la récupération de ces milliers de milliards. La « refondation » est un bien grand mot pour désigner une dénonciation verbale de l’avarice des riches sans garantie formelle touchant un meilleur contrôle de la finance internationale à l’avenir.
On nous dit que c’est ce qu’on veut mais qu’une prédiction demeure une prédiction. Ce n’est pas toujours la prédiction qui se trompe. Les milieux financiers peuvent s’outiller pour rendre l’outillage de contrôle étatique en voie de construction moins efficace que prévu.
Au niveau de la haute finance, l’argent ne semble pas avoir de valeurs. Les sommes vont par trillions. N’était du fait que cet argent paye villas et jet privé, on finirait par croire que c’est de la monnaie de singe. Le capitalisme en faisant de l’égoïsme une vertu économique n’a-t-il pas fini par contrevenir aux vertus minimales dont toute société a besoin pour perdurer? On a franchi le cap dangereux où quasiment tout le monde nourrit le sentiment d’être berné.
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Au Québec, le scepticisme prend un tour bien particulier. Nous convenions que la réfection des infrastructures s’imposait. Charest fut d’ailleurs fortement critiqué quand il préféra remettre en baisses d’impôts le milliard en compensation versé par Ottawa prévu initialement pour la réparation des routes et des écoles. Mais, aujourd’hui même, il n’y a pas de pire moment pour parler de relance de l’économie par des investissements massifs dans l’industrie de la construction.
L’industrie de la construction revient à peine de quinze années de surchauffe. Beaucoup d’entrepreneurs ne savaient plus où donner de la tête. Déjà, avant de repartir le bal, on nous apprend qu’au Québec, l’homme n’est pas prophète. Les devis devant prévoir les coûts des projets importants ne sont publiés qu’à titre indicatif.
On se fait dire sans rire que, passé un certain seuil de complexité, la prévisibilité des coûts n’existe plus. Le gouvernement Charest nous disait encore récemment que l’explosion des coûts s’expliquait par le rôle outrancier de l’Etat. Il était plus facile de voler le gouvernement. On s’en donnerait moins à cœur joie quand le privé serait de la partie, d’où l’idéologie du PPP.
Vient le vérificateur général qui nous informe que pour les projets complexes, le privé tenant à son droit d’initiative afin des respecter les contrats qui le lient, il en résulte une direction à plusieurs acteurs où on perd de vue le modèle à réaliser. Prédire devient un problème insoluble. On ne parle même plus de respecter les devis mais bien de fixer la marge acceptable d’explosion des coûts. L’imprudence originelle de cette disposition s’étale au grand jour entouré d’un parfum de scandale impliquant des figures du monde de la construction.
Construire au Québec coûte cher et en plus, souvent, c’est laid. Si au moins, quelques dépassements de coûts étaient causés par le souci de rendre les projets esthétiquement acceptables. On parle des normes environnementales. On rêve du jour où le critère de l’esthétiquement acceptable viendra aussi jouer une influence dans le façonnement de nos paysages.
Pour le parti Québécois, la tendance mondiale devrait l’inciter à adopter de plein cœur la vision social-démocrate de ses origines. Le social-démocrate ne nie pas que le marché soit une composante de l’organisation sociale mais il ne veut surtout pas qu’elle soit la seule.
André Savard


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