La non-méthode Sarkozy

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Ce matin-là, Nicolas Sarkozy était à Rungis. Il s'était levé tôt pour rendre hommage à cette France dont il aime dire justement qu'elle «se lève tôt». Rungis, en banlieue de Paris, c'est le plus grand marché de France. La caverne d'Ali Baba où s'approvisionnent tous les commerçants et restaurants de Paris. De quoi faire saliver n'importe qui. Mais Nicolas Sarkozy n'avait pas oublié d'amener son arme secrète. Pour goûter les fromages, humer les poissons et contempler les pièces de boeuf, il était accompagné de Carla Bruni. Car la première dame de France est devenue depuis quelques mois l'un des principaux instruments des faiseurs d'image présidentielle afin de reconquérir l'opinion.
À 42 % dans les sondages, le président sait que le combat sera long. Mais il a cruellement besoin de remonter la pente s'il veut mettre en pratique ces «réformes» dont il parle tant. Car, qu'on se le dise, le président réforme. Cela, on l'entend dire partout et pour ainsi dire un peu trop. Nul doute que le gouvernement a entrepris un grand nombre de chantiers. Reste que, plus d'un an après l'élection présidentielle, la population peine toujours à voir exactement dans quelle direction tout cela s'oriente.
Peut-être cette confusion tient-elle surtout à la méthode brouillonne de Nicolas Sarkozy, qui se comporte toujours comme s'il était en campagne électorale. Récemment, les Québécois n'ont-ils pas eu une petite idée de ce qu'il faut bien appeler la méthode Sarkozy? Ou son absence de méthode. L'épisode du «ni-ni» illustre toute la part d'improvisation qu'il y a dans ce gouvernement qui possède souvent mal ses dossiers et agit sans consulter personne. En moins de deux mois, on a d'abord appris que la formule réglant les relations France-Québec depuis 30 ans allait changer. Le président a ensuite laissé penser qu'il placerait dorénavant le Canada sur le même pied que le Québec. Constatant le tollé qu'il suscitait dans les milieux informés au Québec comme en France, il a vite reculé pour revenir à une formule somme toute peu éloignée de la précédente.
Les Québécois ne sont pas les seuls à avoir goûté à cette médecine. La méthode Sarkozy consiste en effet à agiter la réforme pour la réforme, au point que le mot commence à se vider lentement de son contenu. Les choses se passent souvent ainsi. D'abord, le président brosse un tableau noir de la situation. Plus noir que noir. Un peu comme si la France était un pays du Tiers-Monde. Il annonce ensuite que ça va bouger en grand. Mieux vaudrait attacher sa tuque. Il accouche enfin d'une réformette qui rassure ceux qui s'attendaient au pire.
Qui se souvient de la promesse du président de créer un service minimum dans les transports en commun comme il en existe un dans les services publics au Québec depuis les années 70? En campagne électorale, le candidat Sarkozy avait annoncé qu'il adopterait une loi sitôt élu. Pas question de transiger. On allait voir ce qu'on allait voir! Quelques semaines de négociations suffirent au gouvernement pour s'entendre avec les syndicats sur un simple préavis de grève. Rien de plus.
Mais voilà que récemment il ressort cette idée de service minimum, non plus pour les transports mais à l'école. Là où le problème n'existait pas. Le monopole syndical étant inexistant en France, il est rare que plus de la moitié des professeurs d'une école fassent grève en même temps. Ceux qui restent peuvent donc accueillir les enfants que les parents ne peuvent garder à la maison. Aujourd'hui, la population n'a toujours pas les services essentiels qu'elle réclame dans les transports depuis 20 ans. Mais le gouvernement trouve le moyen de se bagarrer avec les enseignants pour créer un service essentiel que personne ne demandait.
L'élimination de la publicité à la télévision publique est une autre «réforme» dont personne ne voulait. Sauf peut-être les chaînes privées. Mais le public, lui, se satisfaisait de la situation enviable de la télévision française, où il est interdit de couper les émissions, à l'exception des longs métrages ou des émissions de plus d'une heure, limitées à une seule coupure. On est très, très loin du véritable saucissonnage du Téléjournal de Radio-Canada. Depuis des semaines, une commission cherche à résoudre la quadrature du cercle afin de sortir de l'improvisation dans laquelle Nicolas Sarkozy a plongé la télévision publique. Avec un déficit qui frise les 3 %, l'État n'a tout simplement pas les moyens de se passer de la publicité.
Trop souvent la frénésie du président cache son impréparation et son ignorance des dossiers. On se perd par exemple en conjectures pour savoir ce qu'il veut faire en éducation. Au primaire, il serait question de revenir à l'apprentissage par coeur et au lycée, de réduire les cours magistraux.
En matière économique, les réformes ne sont guère plus lisibles. Même Jacques Attali, qui a fait 300 propositions pour libéraliser l'économie, ne semble pas y retrouver ses petits. L'ancien conseiller de François Mitterrand refuse pour l'instant de tirer un bilan. On constate bien quelques tentatives de libéralisation éparses, mais rien de majeur comme la simplification des conditions de licenciement, la dérégulation du logement et le redressement des comptes publics. Toutes choses qui seraient par ailleurs utiles. Par contre, le gouvernement s'attaque au prix unique du livre qui protège les petites librairies de qualité contre les grandes surfaces qui vendent des romans de gare au kilo.
La méthode Sarkozy, qui ressemble aux tactiques de guérilla, est peut-être finalement la meilleure pour déjouer la résistance. Où donner de la tête quand le président crie «au loup» partout? Mais elle a le désavantage de rendre le projet du gouvernement illisible. Si projet il y a.
Pour retrouver un peu de crédibilité, Nicolas Sarkozy ferait mieux d'acquérir un peu de méthode au lieu de s'agiter sur les marchés. Il devrait aussi cesser de décrire un pays à feu et à sang comme s'il était toujours en campagne électorale. Il ne serait pas non plus inutile qu'il explique là où il veut aller. Dans ce domaine, les beaux yeux de Carla Bruni ne nous ont rien appris.
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crioux@ledevoir.com


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